Un « soulagement », mais également « plus de confort et de tranquillité » … Pour Patricia Butaud, le rachat en 2018 de son association de soins et de services à Mâcon (Saône-et-Loire) par le réseau APA a permis à celle-ci de traverser une très mauvaise passe. La nouvelle organisation des personnels en équipes autonomes – une pratique apportée par le réseau – améliore les conditions de travail ; l’assistance du siège sur les fonctions support dégage du temps pour soigner la relation avec les clients ; quant à l’ajout de services de portage de repas et de téléassistance, il rend l’offre plus attractive. Depuis, l’activité est repartie à la hausse. Et Patricia Butaud voit désormais plus loin : l’association va passer de 160 à 250 salariés par l’absorption de l’Assad (association de soins et de services à domicile) Val-de-Saône. Pour elle, c’est bien l’union qui fait la force : « Le but n’est pas de racheter tout le monde mais de trouver un équilibre. Il faut s’entraider pour donner le maximum aux usagers et ne plus dire “non” à quelqu’un qui nous appelle. »
Le parcours de cette association familiale a de quoi interroger : serait-ce la fin du modèle « small is beautiful » ? « Les études ont tendance à montrer la baisse du nombre de structures et donc l’augmentation de leur taille », rapporte Nadine Richez-Battesti, enseignante-chercheuse à Aix-Marseille Université. Les trajectoires de forte croissance d’acteurs à ambition régionale ou nationale s’étant fait une spécialité d’absorber des structures en difficulté – un phénomène courant dans le secteur de la dépendance – ont de quoi interpeller. « On observe des phénomènes de concentration visibles par la progression en taille très marquée de certaines structures », remarque Guillaume Jaubert, maître de conférences en sciences de gestion à l’Institut de formation et de recherche sur les organisations sanitaires et sociales (Ifross) de Lyon et spécialiste de ces enjeux dans le domaine du handicap.
Cpom : avantage aux grands groupes
Depuis 2005, la fondation OVE (Œuvre des villages d’enfants), spécialisée dans le handicap, a ainsi réalisé une quinzaine d’opérations de regroupements. Elle compte désormais 112 établissements et services et se montre à l’affût de nouvelles absorptions. C’est sa force de frappe financière, grâce notamment aux prêts consentis par les banques, qui fait la différence. « Il nous est arrivé de réaliser des opérations de reprise à travers lesquelles, grâce à un effet de volume, nous avons optimisé des ressources financières qui ont servi à développer des places supplémentaires », détaille son directeur général, Christian Berthuy. L’arrivée des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (Cpom) renforce d’autant l’avantage des groupes de grande taille, permettant d’équilibrer activités excédentaires et déficitaires. « L’accroissement des Cpom, d’une part, et les négociations autour des frais de siège, d’autre part, incitent les organismes à se regrouper et à bénéficier d’un effet d’échelle pour renforcer des fonctions support et de direction générale. Les autorités font ainsi pression de manière indirecte », explique Jean-Claude Marty, commissaire aux comptes au cabinet d’audit Deloitte.
A la fois désireuses d’avoir moins d’interlocuteurs à gérer et en recherche d’une meilleure utilisation des deniers publics, les autorités stimulent, bien sûr, cette tendance en invitant à des regroupements (voir ASH n° 3179 du 9-10-20, page 34). « Aujourd’hui, il faut optimiser au maximum chaque euro donné pour le mettre sur la qualité de vie au travail, la vie associative, la professionnalisation », reconnaît Thierry d’Aboville, secrétaire général de l’ADMR (Aide à domicile en milieu rural). Une nécessité qui conduit le réseau aux 2 700 associations locales (comptant chacune entre 30 et 40 salariés en moyenne) à amplifier ses mutualisations au niveau des achats comme sur les fonctions support et politiques. Les niveaux de financement incitent aussi aux concentrations. « Quand vous avez un prix de journée très bas, il faut gagner en efficacité », ajoute Nadine Richez-Battesti. « Pour les résidences sociales, on sait qu’en dessous de 150 logements, c’est compliqué, alors que la demande des élus locaux s’oriente vers des résidences de plus petite taille », observe Arnaud de Broca, délégué général de l’Unafo (Union professionnelle du logement accompagné). Il en va de même pour les pensions de familles : « Certains essaient de créer des structures avec moins de 25 personnes. Cela pose ensuite des questions de financement, et donc de survie. » Dans un tel contexte, des mutualisations viennent limiter la casse. Alors, « cela pose forcément des questions sur la qualité de l’accompagnement », objecte Arnaud de Broca.
L’autre facteur qui pousse aux mutualisations, voire aux fusions, est la hausse globale du niveau d’exigence, lié au poids des réglementations. Au-delà des difficultés financières qui jettent fréquemment les structures dans les bras de repreneurs, la recherche de fonctions support performantes motive aussi des regroupements. « Il est important d’avoir des fonctions support très professionnelles. Face à la hausse des réglementations, des contrôles, on est parfois sur des métiers pointus dans la finance, la comptabilité, l’immobilier. Il faut avoir les moyens d’embaucher de tels profils », observe Guy Sebbah, membre du directoire du groupe SOS.
Certains observateurs invitent pourtant à relativiser cette nécessité de la taille critique. Chez OVE, « on ne fait pas d’économies sur le prix de journée », affirme Christian Berthuy. Pour le maître de conférences Guillaume Jaubert, le modèle de la petite association perdure ; les reprises d’établissements qui pâtissent d’une mauvaise gestion ne confirment pas, en soi, la pertinence d’atteindre une taille critique. « L’explication des concentrations ne se trouve pas dans les économies d’échelle mais dans la manière dont les marchés sont structurés à la base. Dans le secteur du handicap, les grandes associations gestionnaires étaient déjà dominantes sur leur périmètre bien avant la mise en place des appels à projets. »
Risque de dénaturation du projet associatif
Pour l’universitaire, la notion de « taille critique » est donc assez contestable : « L’idée selon laquelle il existerait un nombre d’or optimal est fausse. Car plus une association s’agglomère, plus ses modes d’organisation antérieurs sont caduques. Des rationalisations existent, mais elles interviennent après coup. » Pour Frédéric Rouvier, directeur général de l’association La Sauvegarde du Nord, « l’effet “taille” apporte une réponse de court terme, mais risque de dénaturer le projet associatif. A trop centraliser, cela génère des logiques technocratiques. Il y a un équilibre à trouver. » A la tête de sa structure comptant 90 établissements et services et 1 500 salariés au large champ d’expertise » (enfance, inclusion, handicap, addictologie et santé), il souligne encore : « Les enveloppes budgétaires ne sont pas interchangeables. Le financeur peut penser qu’il vous enlève peu au regard de votre taille, mais cela finit forcément par menacer des activités. »
Outre parfois des raisons économiques, divers phénomènes expliquent la concentration à l’œuvre dans le secteur associatif. « Les difficultés à renouveler les membres bénévoles des conseils d’administration peuvent aussi conduire des associations à se rapprocher d’autres structures. La volonté de peser davantage auprès des autorités de tarification et de contrôle est un autre motif », explique Jean-Claude Marty, de Deloitte. C’est finalement un climat de concurrence qui finit par alimenter des regroupements associatifs, par anticipation.
A l’ADMR, qui intègre « entre une dizaine et une quinzaine d’association par an », l’un des motifs des rapprochements peut être de vouloir « conserver son statut associatif », explique Thierry d’Aboville. De son côté, Francis Silvente, directeur général du Groupement des possibles, qui réunit les associations Le Relais Ozanam, L’Oiseau bleu, Cycles &Go et Cultures du cœur. « Nous sommes des associations construites sur des valeurs assez fortes. L’évolution du secteur nous conduit à nous regrouper car nous nous positionnons comme des partenaires et non comme des opérateurs. En nous regroupant pour candidater ensemble à des appels à projets, on met en avant notre stratégie d’expérimentation et d’innovation. Si l’on ne se regroupait pas, il risquerait d’y avoir des difficultés » L’intérêt est ainsi de gagner des appels à projet et, in fine, de « faire bénéficier les publics des différentes actions que nous menons ».
Gain de représentativité
Gagner en influence politique est aussi la raison pour laquelle Loïc Blanchard, directeur général de la petite association Le Grain de blé, s’est rapproché de deux partenaires. L’objectif ? « Pouvoir se représenter mutuellement devant le département, qui invite surtout les grosses associations », explique-t-il. Mais point de mutualisation au programme, ni de développement au-delà de 20 salariés, limite fixée par cette association qui compte 10 places d’hébergement pour personnes en situation de handicap. « La proximité entre l’échelon politique et les bénéficiaires est une vraie valeur ajoutée », soutient cet ex-responsable aux Apprentis d’Auteuil. Selon lui, cela entretient l’investissement des administrateurs, des bénévoles, mais aussi des volontaires en service civique : autant de forces vives qui permettent de faire fonctionner avec un supplément d’âme la Maison Saint-Damien, au Mans (Sarthe), sans augmenter les coûts. Certains choix stratégiques comptent, comme celui de créer un lieu de vie et d’accueil à la place d’un autre type de foyer : une modalité qui autorise l’installation d’une permanence sur site plutôt que le recrutemen d’un veilleur de nuit.
En somme, c’est toute une réflexion qu’il faut mener pour trouver le bon équilibre et compenser les désavantages d’une petite taille. Pour Loïc Blanchard, « innover pour trouver les moyens de faire petit et solide, cela prend beaucoup de temps ». Chronophage, donc. Mais possible.