Des cafés multiservices en milieu rural. Voilà ce qu’a lancé en 2019 le Groupe SOS. Et cet acteur de l’économie sociale et solidaire vient de nouer autour de ce projet dit des « 1 000 cafés » un partenariat avec Véolia, important groupe du CAC 40. La multinationale a déjà créé ailleurs dans le monde des tiers-lieux et dispose donc d’un savoir-faire qu’elle entend partager avec les gestionnaires de ces cafés ruraux, au moyen d’une formation au fonctionnement écoresponsable d’un tel établissement. Réduction des déchets, création d’activités comme des ateliers de réparation et des jardins partagés, ou encore préservation des ressources en eau compteront parmi les enseignements proposés. « Nous avons la volonté de diversifier les partenariats privés autour d’un même projet tant en termes de montant que d’expertise apportée », explique Chloé Brillon, directrice du secteur « actions territoriales » du Groupe SOS. Avant de citer d’autres exemples : une PME locale du Nord, qui a offert des babyfoots, la marque Ethicable, qui a négocié des contrats fournisseurs, ou Le Bon Coin, qui forme les gestionnaires au marketing digital. « Nous voulons fédérer des cœurs de métier divers, donc des entreprises différentes, complète-t-elle. Au-delà d’un soutien financier, chacune apporte son expertise au programme. »
Ce partenariat autour des « 1 000 cafés » peut sembler hors norme, compte tenu de son ampleur et de la multiplicité de ses ramifications. En revanche, l’idée qu’un acteur associatif ou un entrepreneur social puisse s’allier à un acteur privé de l’économie traditionnelle ne semble plus taboue. Elle s’avère même parfois un outil utile de management des équipes. Du moins dès lors que ces partenariats remplissent un certain nombre de conditions.
Il existe différentes façons et raisons pour une association et un acteur économique de marché de s’unir autour d’un projet. Outre le mécénat, les alliances peuvent aussi se nouer pour porter des innovations sociales, bâtir une coopération économique en allant parfois jusqu’à créer une structure commune au travers d’une joint-venture sociale, ou promouvoir des pratiques responsables, par exemple autour de l’approvisionnement en produits fabriqués de façon durable et socialement acceptable. « Dans tous les cas, il faut partir d’un besoin, prévient Charles-Benoît Heidsieck, président fondateur du Rameau (voir encadré ci-dessous). Et aussi, en guise d’invitation à financer un projet, expliquer que celui-ci est un lieu de construction de solutions collectives d’intérêt général. »
Un lien avec le projet associatif
Thibaud Walter, responsable des partenariats et de la collecte de fonds à l’Unapei (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis), partage cette vision ambitieuse des partenariats. Il insiste pour différencier le mécénat d’un appel à la charité : « Soutenir un de nos projets offre aux entreprises un engagement sociétal. » Il reconnaît toutefois que sans les entreprises, certains projets de l’Unapei n’auraient jamais pu être menés à bien. « L’autonomie d’action n’est pas garantie si on dépend des seules subventions publiques ou si on fait appel à un seul financeur », confirme Manuel Pomar, directeur des partenariats d’Unis-Cité, qui précise que, chaque année, 20 % à 30 % du budget de l’association découle d’alliances avec le secteur privé.
Dès lors, les partenariats se voient souvent liés au projet associatif des associations. « Les jeunes accueillis par Unis-Cité en service civique doivent pouvoir à la fois jouer leur rôle de citoyen engagé dans des missions d’intérêt général et se voir offrir chez nous une fenêtre sur le monde de l’entreprise », poursuit Manuel Pomar. Même approche au sein d’APF France handicap qui, elle aussi, inscrit les partenariats dans la ligne de ce que promeut son projet associatif, une société inclusive et la défense des droits : « Nous ne pouvons pas fonctionner en autarcie, souligne son directeur général, Prosper Teboul. Nous bâtissons donc des partenariats en lien et en phase avec la société civile. » D’où le choix de s’impliquer au sein du « pacte du pouvoir de vivre », du collectif Alerte, du projet « Territoires zéro chômeur de longue durée » ou du Mouvement impact France. « Nous participons de manière très forte à la dynamique d’urgence sociale et écologique pour créer un nouveau type d’entreprise et favoriser un nouveau modèle de société », résume-t-il. Pour cela, l’association s’implique dans nombre des instances de gouvernance de ces regroupements. C’est dire combien la question du choix de nouer tel partenariat plutôt qu’un autre s’avère cruciale.
De l’avis général, le partenariat doit d’abord offrir une complémentarité entre deux acteurs bien différents. Cela distingue cogestion et coconstruction selon Charles-Benoît Heidsieck : « On part d’un enjeu commun, et chacun y contribue à sa façon, selon qui il est. » D’après Manuel Pomar, la sincérité doit aussi guider le choix du partenaire : « Cherche-t-il vraiment à répondre à un besoin formulé par l’association et à avoir un impact social ? » Une façon de s’en assurer, à ses yeux, consiste à bâtir des partenariats autour des thématiques portées par les entreprises, par exemple l’environnement pour un projet de développement durable. « Lorsqu’une entreprise connaît le secteur, elle ne va pas saupoudrer des fonds auprès de nombre d’associations sans se soucier de l’impact des projets soutenus », détaille-t-il.
« Une question de feeling »
Pas besoin pour autant, selon lui, de partager des valeurs communes. Il privilégie une approche pragmatique et revendique davantage des « principes d’action » communs. « Si la condition préalable à tout partenariat tenait au partage de valeurs, on se retrouverait dans un cercle extrêmement restreint », abonde Prosper Teboul, qui considère qu’APF France handicap peut avoir un pouvoir d’influence, et faire changer les choses : « Un partenariat peut se révéler excellent justement quand il n’était pas évident. Peut-être parce qu’on a davantage envie de l’évaluer. »
Ainsi, les partenariats demandent de l’investissement, financier mais aussi humains. Ce qui conduit Manuel Pomar à recommander de ne pas les démultiplier.
Au-delà du choix de la structure, une des conditions de réussite tient aussi aux relations interpersonnelles. « Intervient une question de feeling avec les équipes que l’on rencontre, puisque l’on va travailler ensemble », reconnaît Chloé Brillon du Groupe SOS. L’importance d’avoir en face de soi la bonne personne au bon moment est si évidente que parfois, souligne Manuel Pomar, deux ans peuvent s’écouler entre le premier contact et la signature d’un accord. En cas de blocage, il peut, explique-t-il, s’avérer utile de faire appel à un « tiers de confiance », le plus souvent un consultant, pour établir le lien. Celui-ci noué, reste à animer et fidéliser la relation, à apporter au partenaire du contenu entre les différents points d’étape, et, le plus important peut-être, à incarner sur les territoires, dans des actions concrètes, le projet de l’accord signé par les directions générales au niveau national.
C’est là peut-être la bonne manière de garantir son inscription dans la durée, autre ingrédient nécessaire à la réussite d’un partenariat. « On met un premier pied, puis l’autre. On construit progressivement », confie Prosper Teboul. Rien d’étonnant pour Charles-Benoît Heidsieck, qui y voit le temps nécessaire à l’établissement de la confiance mutuelle. Un long terme utile également à l’aboutissement des projets : « Sur des sujets aussi compliqués que le lien social, la lutte contre la pauvreté ou la précarité énergétique, qui peut dire qu’on aura des résultats en un an ? », questionne Manuel Pomar. Pour lui, une bonne durée s’établit entre trois et cinq ans, le temps de mener des projets structurants et d’accorder aux associations la visibilité dont elles ont besoin. En retour, celles-ci, indique Chloé Brillon, doivent rendre des comptes aux financeurs sur ce qui a été réalisé. Tout partenariat semble donc contraint à se doter d’un outil de mesure d’impact.
L’effet de ces alliances sur les équipes s’avère difficile à quantifier. Mais entreprises comme associations paraissent pouvoir tirer un bénéfice pour leur marque employeur et dans le management de leurs équipes. « Nos partenaires désirent mobiliser leurs collaborateurs, qui apportent leur expertise sur le terrain. Elles ne souhaitent pas seulement apposer un logo et donner de l’argent », constate Chloé Brillon. Elle en veut pour preuve que les entreprises ne passent plus seulement par le mécénat ou une fondation pour soutenir un projet. Du côté associatif, Prosper Teboul pointe : « Ce qui fait vibrer les équipes, ce sont les partenariats qui n’arrivent pas tout cuits. Cela crée une volonté de construire quelque chose qui va impacter l’avenir. »
Or, cet avenir a été modifié par la crise actuelle, qui devrait favoriser les partenariats : « Elle engendre des problèmes auxquels aucun acteur isolé ne pourra répondre. Il va falloir créer des alliances », prédit Manuel Pomar. Ce dont Prosper Teboul se félicite, persuadé que si on pense à APF France handicap pour mener de concert un projet, c’est justement parce qu’elle a déjà fait montre de sa capacité à nouer des partenariats. Autre motif de satisfaction, cette fois de Charles-Benoît Heidsieck, ces alliances sont frugales, et demandent moins de moyens que des actions solitaires. Une autre façon de construire un avenir meilleur ?
Partage d’expériences
Le Rameau, qui se définit comme un mouvement de construction du bien commun, met à disposition sur son site Internet une plateforme de partage d’expérience pour bâtir des partenariats réussis. Et le 12 janvier prochain, de 18 h 00 à 20 h 00, ce think tank organise un colloque intitulé « L’intérêt général : dès aujourd’hui, l’affaire de tous ! », à suivre en direct en ligne.
Plus d’informations et inscriptions : https://www.lerameau.fr/