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Logements insalubres : Un programme pour lutter contre la précarité énergétique

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Au terme de la rénovation de leur logement, les Pruvot  pourront lancer leur projet d'accueil d'une personne handicapée mentale.

Crédit photo Margot Hemmerich/Clémentine Méténier
En France, cinq millions de ménages sont en situation de précarité énergétique. Si de nombreux dispositifs d’aide existent, les plus précaires en sont toujours exclus. Dans les Hauts-de-France, Réseau Eco Habitat, accompagné de bénévoles du Secours catholique, épaule les familles modestes dans leurs démarches de rénovation.

 

C’est un paysage typique de la Somme. De petites maisons de briques côtoient d’anciens corps de ferme. Autour, des champs de maïs et de pommes de terre s’étalent à perte de vue. Seule la toiture de l’église du village casse la ligne d’horizon. Cet après-midi-là, le vent annonce l’automne puis, bientôt, le froid qui s’engouffrera dans les bâtisses mal isolées.« Malheureusement, on repère très vite ces maisons. La toiture, les gouttières, les fenêtres… Il y a toujours quelques signes extérieurs qui ne trompent pas », soupire Franck Billeau. Il y a deux ans, le directeur de Réseau Eco Habitat (REH) a lancé un programme dans les Hauts-de-France destiné à accompagner les familles propriétaires les plus précaires dans de larges travaux de rénovation de leur logement. Marie-Thérèse et Manuel Pruvot font partie des cent premières familles concernées par le dispositif.

Attablés à la grande table de leur cuisine-salle à manger, c’est le sourire aux lèvres qu’ils évoquent le démarrage imminent des travaux. « ça fait bientôt deux ans que les démarches ont été lancées. C’était long, mais on n’a rien lâché. » A 52 ans, Marie-Thérèse a tout d’une battante. Le regard droit, les explosions de rire, mêlant impatience et nervosité. Originaire de la région lilloise, elle s’est installée il y a 26 ans dans le petit village de Candas à 30 kilomètres d’Amiens, d’où est natif son mari. Il y a sept ans, tous deux décident d’acquérir la maison qu’ils louent depuis deux décennies. « Au moment du décès de la propriétaire, on travaillait tous les deux, alors on a décidé d’acheter. »

A l’époque, ils déboursent 50 000 €. Un bon deal, sur le papier seulement. « On a toujours eu des grosses factures d’électricité. En moyenne, on payait autour de 1 000 € tous les six mois. En fait, on chauffait les rues », ironise Marie-Thérèse. L’expression parle d’elle-même. Sous la porte d’entrée, un jour de plusieurs centimètres laisse entrer l’air et sortir la chaleur. Les fenêtres, en simple vitrage, ont été posées par le couple lui-même, à son arrivée dans la bâtisse. Quant au plafond au-dessus de leurs têtes, il n’est plus, à certains endroits, qu’un large trou laissant entrevoir la charpente. « L’hiver, il neigeait dans la maison, et l’humidité a créé des auréoles au plafond de toutes les chambres à l’étage. Plusieurs fois on est montés sur le toit pour remettre en place des ardoises qui tombaient », se souvient la quinqua­génaire.

 

Problématique du non-recours

Silencieux, Manuel acquiesce à ses côtés. Si la famille est restée soudée, c’est grâce au soutien des enfants, aujourd’hui majeurs. Mais l’équilibre précaire bascule le jour où Marie-Thérèse perd son emploi. « De 1 200 € par mois, je suis tombée à 800 € au chômage. Aujourd’hui, je touche 300 € par mois. » Son mari, lui, est en attente d’une lourde opération chirurgicale. Alors la rénovation, même si les Pruvot y ont songé plus d’une fois, est systématiquement repoussée. Avec trois enfants, la famille doit en effet régulièrement choisir entre le chauffage et les courses. « Il m’est arrivé de solliciter des colis alimentaires, notamment pour le lait. J’étais obligée de demander de l’aide si on voulait avoir un pack toutes les semaines », assume Marie-Thérèse.

Surtout, le couple ignore tout des aides existantes en matière de rénovation énergétique. La première fois qu’ils se renseignent auprès de l’assistante sociale, c’est pour tenter d’échelonner une facture EDF. « On n’était pas dans une démarche de travaux au départ », se souviennent-ils. Finalement, le couple est réorienté vers Réseau Eco Habitat. Un coordinateur technique les aide alors à établir un diagnostic global, puis à démarrer les premiers travaux avant l’automne. Le reste doit se poursuivre à temps pour passer ce nouvel hiver au chaud. Pour Marie-Thérèse, la situation est à peine croyable. « J’ai encore du mal à réaliser que les travaux vont réellement démarrer dans la maison. Tant que je ne vois pas les artisans à l’œuvre, je n’y crois pas. »

Le Réseau Eco Habitat, qui a vu le jour en 2014, va les épauler dans toutes les étapes de la rénovation thermique de leur logement : du diagnostic à la coordination du chantier, en passant par la recherche de financements. Franck Billeau, ancien salarié du Secours catholique pendant vingt ans, en est le fondateur. « On est partis du constat que 25 % des aides financières versées par le Secours catholique servaient à payer les factures d’énergie. Autrement dit, on donne indirectement tout cet argent à EDF, plutôt que de l’utiliser pour de la rénovation à long terme. » Ayant lui-même fait construire une maison écologique avec son épouse, Franck Billeau affirme que l’on sait faire des maisons « qui consomment 80 € de chauffage à l’année en utilisant des matériaux biosourcés. » Mais encore faut-il en être capable, ou bien comprendre les rouages du système. Car c’est là que le bât blesse. En France, si une myriade d’aides financières existent à destination des propriétaires, les familles les plus pauvres y ont très peu recours.

« A chaque fois que des dispositifs d’aide publique ont été créés en France, ils ont eu du mal à trouver leur cible, notamment lorsqu’il s’agit des ménages les plus modestes », abonde Marie Moisan, chargée de la lutte contre la précarité énergétique au Cler-Réseau pour la transition énergétique. Une association agréée pour la protection de l’environnement. « Les propriétaires occupants estiment souvent qu’ils n’ont droit à aucune aide, et les locataires sont très mal informés. On remarque que plus les gens se trouvent dans des situations sociales difficiles, et moins il leur est facile de savoir où aller chercher de l’information et un accompagnement adapté », poursuit-elle. En politiques publiques, on parle alors de « non-recours » : le fait, pour une personne ou une famille, de ne pas percevoir des aides auxquelles elle pourrait pourtant prétendre, du fait d’une méfiance intériorisée par les plus pauvres, d’une méconnaissance des dispositifs ou d’une complexité qui pousse beaucoup à abandonner.

Franck Billeau, directeur de REH (au milieu) et Christian Guillier, bénévole du Secours catholique et référent du département (à gauche).
Crédit photo :

 

Recensées, entre autres, par l’Observatoire de la précarité énergétique, les aides financières liées à la rénovation thermique se déclinent à la fois sur les plans local et national. « Au total, début septembre 2020, on comptait 18 grands programmes pour les propriétaires, mais en les déclinant à l’échelle des collectivités locales, on arrive à plus de 1 500 dispositifs », dénombre Franck Billeau. « Donc, de l’argent, il y en a. Mais pour atteindre 90 % de financement des travaux, il faut parfois remplir jusqu’à huit dossiers différents. » En d’autres mots, pour beaucoup de familles éloignées des démarches administratives et d’Internet, c’est mission impossible.

 

Factures moins élevées

Face à ce constat, le rôle des intermédiaires est essentiel. Associations, travailleurs sociaux, bénévoles, tous concourent à lutter contre le non-recours. Au sein de Réseau Eco Habitat, les bénévoles du Secours catholique sont un maillon indispensable de la chaîne, comme Christian Guillier, référent sur la précarité énergétique dans l’Oise. Il rend visite à des familles une fois par semaine en moyenne. « Seules, les personnes ne peuvent pas s’en sortir face à tous les dossiers qu’il faut constituer », témoigne-t-il. Mais l’accompagnement des bénévoles va au-delà de la mise en place d’un planning de travaux. « On essaie de les soutenir moralement et financièrement. Leurs factures d’énergie sont parfois tellement élevées qu’on peut aussi leur apporter de la nourriture », poursuit-il.

Un avis partagé par Marie Moisan : « Ces intermédiaires permettent d’apporter de l’information au niveau le plus bas possible. » Le Cler-Réseau a également créé un programme, appelé « service local d’intervention pour la maîtrise de l’énergie » (Slim) : « Il s’agit de dispositifs mis en place au sein des collectivités locales pour cofinancer des actions de visites à domicile chez des ménages identifiés avec des problèmes liés à l’énergie, pour traiter leur situation de façon individuelle. Aujourd’hui, trente départements l’ont déjà mis en place, et on croit que l’échelon local peut vraiment apporter une dimension humaine. »

A la veille du début des travaux qui dureront six semaines, Marie-Thérèse Pruvot est impatiente. Au total, ils s’élèveront à 60 000 €, avec un reste à charge pour la famille de 5 000 €. « Ici, on va inverser le salon et la cuisine et installer un poêle à granulés à côté de la cheminée ; au fond du couloir, je pourrai enfin transformer la vieille chambre en pièce à vivre », s’extasie-t-elle en imaginant les transformations de sa maison. Si l’impact doit être écologique et économique – en France, en moyenne, la facture d’énergie s’élève à 1 700 €, contre 2 300 € pour les ménages en précarité énergétique –, il se ressent plus largement sur la vie sociale des familles. « On redonne de la dignité », confie Franck Billeau. Marie-Thérèse espère ainsi délaisser les antidépresseurs qu’elle prend « depuis un moment déjà », et se consacrer à son projet, tant espéré, de famille d’accueil pour une personne handicapée mentale.

A quelques dizaines de kilomètres de là, dans le département voisin de l’Oise, Clarisse et Stéphane habitent une grande bâtisse dans le petit village de Pont-Sainte-Maxence. Après des années de galère et un suivi de deux ans avec REH, ils ont enfin terminé leurs travaux. Finies les factures de 3 500 € de chauffage à l’année, les nuits d’hiver sous les couvertures et les étés à 37 °C à l’intérieur. Le poêle à granulés a remplacé le fioul, la douche, dysfonctionnelle, a été troquée pour une baignoire flambant neuve, et les champignons causés par l’humidité, asséchés et nettoyés. En quelques mois, les travaux n’ont pas seulement transformé l’aspect de la maison. Clarisse elle-même a changé de look. De larges boucles encerclent aujourd’hui son visage. Dans le reflet du miroir, elle sourit, le regard dans le vague. « A la fin des travaux, notre fils de 8 ans nous a dit qu’il n’avait plus l’impression de vivre dans une maison de pauvres. Ce sont des mots très forts, parce qu’avant ça, il avait toujours froid. On s’en rendait compte, mais on n’avait pas les moyens de faire autrement. » Avec une facture mensuelle divisée par deux, Clarisse peut enfin penser à elle, s’octroyer quelques moments de détente. « Forcément, je vais mieux. Je peux envisager de travailler à nouveau, et même d’aller au restaurant ou de partir en vacances. Profiter de la vie, un peu… »


 

Le plan de relance, un nouvel espoir ?

Dans son plan « France Relance », feuille de route pour la refondation économique, sociale et écologique du pays, annoncé début septembre, le gouvernement a promis de consacrer 6,7 milliards d’euros à la rénovation énergétique, dont 2 milliards pour les propriétaires via MaPrimeRenov’. Objectif : éradiquer les passoires thermiques dénombrées à 5 millions par le ministère de la Transition écologique. « C’est une bonne chose mais cela reste totalement insuffisant », réagit Marie Moisan, du Cler-Réseau. Selon une étude du collectif Rénovons, il faudrait investir 3 à 4 milliards d’euros par an, pendant dix ans, et privilégier les rénovations globales. Il s’agit d’un enjeu social et environnemental à long terme, car les problématiques de précarité énergétique coûtent très cher à la sécurité sociale. » Le REH espère accompagner 200 familles d’ici à 2024. Une ambition qui pourrait être élargie si l’Agence nationale de l’habitat (Anah) en assure le financement après cette date, mais rien n’est encore acté.

Reportage

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