Actualités sociales hebdomadaires : Quels sont les freins à une démarche écologique en Ehpad ?
Aurélie Aulagnon : Les directeurs sont souvent de bonne volonté, mais ils demeurent impuissants. Ils savent qu'ils doivent agir, mais ignorent comment. En premier lieu, ils regrettent un manque de moyens, persuadés que l’écologie coûte cher. Du coup, ils ne dégagent pas les budgets nécessaires. Les directeurs déplorent aussi un manque d'accompagnement et d'incitation. Il s’agit d’être cohérent. Installer un composteur est une bonne chose, mais cela n’a aucun intérêt si personne ne l'utilise. La démarche doit être encadrée de manière pédagogique. Si personne ne sait se servir d'un compost, c'est de l'argent jeté par les fenêtres. Effectivement, déployée comme cela, l'écologie coûte cher.
Autre frein : la forte méconnaissance du sujet. Les directeurs souhaitent être formés car ils ne savent pas par quoi commencer, ni comment mener à bien une telle transition. Enfin, beaucoup de directeurs déplorent une absence d'obligation réglementaire. Or elles existent, mais sont méconnues et donc rarement appliquées. Il y a aussi un problème de temporalité. Les budgets sont souvent élaborés pour un ou deux ans, alors que mener une politique écologique prend de cinq à dix ans.
De manière générale, il y a un manque de considération de la santé environnementale dans les politiques gérontologiques. C'est un énorme frein car, même si des directeurs veulent mettre en place des choses, ils se retrouvent bloqués. Or je suis persuadée qu'il y a des convergences entre transition démographique et transition écologique. Il existe beaucoup de solutions communes. On perdrait moins de temps et d'énergie si on réfléchissait en amont, au lieu de courir après des solutions qui vont fonctionner sur une courte période sans s'ancrer dans la durabilité.
ASH : Mais en quoi cela améliorerait-il le « bien vieillir » des résidents ?
A. A. : C’est un cercle vertueux. Je prends souvent l’exemple de l’Ehpad de Jasseron (Ain). Après diagnostic, son directeur a constaté qu'il gaspillait beaucoup de denrées alimentaires. Il a donc débuté sa démarche à ce niveau. En changeant de circuits d’approvisionnement, il a réussi à passer de 11 à 4 tonnes de déchets par an. Il a réinvesti les bénéfices retirés de cette opération en achetant du matériel pour ses cuisines. Ce qui a permis d’autres économies. Et ainsi de suite. In fine, ces changements impactent aussi la qualité de vie au travail. Les salariés sont heureux de venir. Il y a moins de turn-over. Ce qui rejaillit sur la prise en charge des résidents.
De même, composter les déchets, créer un potager, récolter les fruits et légumes, élaborer des nouvelles recettes sont autant de nouvelles formes d’animation. Cela permet de reconsidérer l’Ehpad comme un lieu de vie et non plus simplement comme un lieu de soins.
ASH : Quels sont les leviers à actionner pour initier cette évolution ?
A. A. : Il y en a deux principaux : une obligation réglementaire qui doit être assortie de moyens – on ne peut pas juste dire : « vous devez faire ça », sans donner les moyens d'y parvenir » – ainsi qu’un accompagnement managérial ad hoc de manière que les Ehpad soient acteurs et moteurs du projet.
Mais le plus important consiste à partir des besoins et des ressources. Avant de débuter la transition il est nécessaire de procéder à un diagnostic. Par exemple, cela n’a aucun intérêt de mettre des murs végétaux si les plantes installées meurent au bout de deux ans. Les directeurs se plaignent souvent de ne pas avoir le temps de s'en occuper. Un autre levier serait donc d’accorder du temps de travail ou d'embaucher une personne spécialement dévolue au développement de cette problématique.
Il n’existe pas un prototype d'Ehpad écologique. C'est impossible parce que ce type d'établissement est intégré dans son territoire, dans son écosystème. Il est nécessaire de s'appuyer sur les ressources disponibles. Et ce ne sont pas les mêmes selon que l'on se trouve en Bretagne, à Marseille ou dans les départements d'outre-mer. Les cultures et les besoins diffèrent.