« Depuis qu’on a commencé à en parler il y a 40 ans, on tourne en rond », déplore d’emblée Thierry Chartrin, responsable du service « Innovation et développement » à l’Arifts, lors de son intervention à la journée dédiée à la vie affective et sexuelle des personnes âgées et/ou en situation de handicap, à Nantes (44), le 22 novembre 2023.
S’il y a bien eu des avancées théoriques au cours de ces dernières années – en témoignent la première stratégie nationale de santé sexuelle, lancée en 2017, dont le quatrième axe est consacré aux besoins spécifiques des populations les plus vulnérables, ou la promotion de centres de ressources régionaux « vie intime, affective, sexuelle, et de soutien à la parentalité des personnes en situation de handicap », via l’instruction du 15 octobre 2020 –, la mise en œuvre au quotidien s’avère encore très complexe.
Crainte, souvent écartée, cette question continue surtout d'interroger les professionnels qui y sont confrontés. Que dire ou faire concrètement quand une personne exprime un souhait, un besoin ou un désir légitime d’avoir une vie affective et sexuelle ? « C’est que la sexualité est complexe et ne peut répondre à une définition simpliste, instruit Marcel Nuss, essayiste engagé sur la thématique de la sexualité des personnes en situation de handicap. Nous avons chacun des besoins spécifiques, qui demandent des réponses individuelles et concrètes. »
« Les fauteuils sont trop larges pour pouvoir se toucher »
Avant même sa mise en pratique, il s’agit d’identifier les enjeux éthiques qu’elle soulève. L’intimité, la vie affective et la vie sexuelle sont des libertés fondamentales. Mais, concernant les personnes vulnérables, elles dérangent, quand elles ne sont pas niées. Sur le terrain, en particulier en institution, le premier obstacle à la sexualité des personnes n’est-il pas de considérer qu’elles en sont exclues ? « Il n’y a qu’à voir comment les Ehpad sont conçus. Les fauteuils sont trop larges pour pouvoir toucher son voisin, les espaces presque toujours collectifs. Est-il normal également qu’on ne demande pas aux personnes si elles veulent dormir dans un lit double ? Chaque résident a-t-il la possibilité de fermer sa chambre à clé ? », interroge Jean-Marc Lemoine, membre de l’association Old’Up à Nantes, qui a pour but, entre autres, de faire connaître la place des personnes vieillissantes dans la société.
Voilà sans doute le nœud du problème : à quel moment les personnes concernées sont-elles consultées ? « Dans nos formations, on intègre forcément des personnes concernées pour garantir la continuité et l’effectivité de ce travail, mais cela suppose un travail de conscientisation des professionnels, qu’ils s’interrogent sur leur rapport à la sexualité et à l’intimité pour pouvoir être capables d’entendre les besoins des personnes qu’ils accompagnent », prévient Thierry Chartrin.
« On a déjà tellement de choses à penser au niveau du suivi »
Au-delà de les entendre, il s’agit de savoir comment y répondre. Car, au quotidien, d’autres questions concrètes se posent : comment réagit-on quand on se rend compte que deux personnes se rapprochent ? Comment réagir si j’entre dans une chambre et que la personne est en train de se masturber ? Qui pour nettoyer le sex-toy s’il y en a un ? A ce genre d’interrogations, difficile de calquer une réponse unique. « Qui n’essaie pas ne risque rien », ironise Marcel Nuss. Une des clés est d’introduire du dialogue.
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Telle est du moins l’approche de l’association Maison des âges et des cultures, gestionnaire de deux Ehpad en Loire-Atlantique, qui a mis en place un café Sexo voilà quelques mois. Animé en trois temps par une sexologue, l’objectif était d’échanger autour de situations vécues au sein des établissements. Un premier temps est réservé à l’équipe, suivi d’un deuxième avec les résidents et le dernier, dédié aux amis et aux proches. « Si les deux premiers ont permis de faire tomber un peu les barrières et d’ouvrir le dialogue de façon très intéressante, ça a été le désert total pour le troisième, presque personne n’est venu », rembobine sa directrice, Amélie Leclair, visiblement déçue.
Au-delà de la prise de conscience des professionnels, force est de constater que lorsque le sujet de la sexualité de leurs enfants est mis sur la table, certaines familles se défilent. Une évidence cependant : entre l’envie de les (sur)protéger et le souhait de préserver leur intimité, leur position est, admettent les professionnels, délicate. « En tant que parent, on a déjà tellement de choses à penser au niveau du suivi et de la santé que la vie affective vient en dernier. Alors, quand le sujet se présente, on est perdu », abonde Dominique Le Berre, présidente du collectif T’Cap.
« Les demandes de sexe solitaire sont nombreuses »
Reste un sujet qui n’en finit pas de diviser : celui de l’accompagnement sexuel. En France, la pratique n’est pas légale. « Qu’on le veuille ou non, ça se passe », lance Pascal Prayez. Une chose est sûre pour le membre de Corps solidaires, une association franco-suisse qui forme des assistants sexuels et les met en relation avec des personnes : « Ça ne sera jamais le rôle des soignants du quotidien de répondre à une demande d’excitation ou un moment de sexualité. Il faut des professionnels formés, extérieurs à l’équipe, et que cela soit encadré par une démarche éthique. »
En attendant que la question soit tranchée, si elle l’est un jour, des innovations voient le jour. « Dans mon établissement, qui accueille des personnes cérébro-lésées, les demandes de sexe solitaire sont nombreuses. Les ergothérapeutes ont mis au point des outils adaptés à poser sur le sexe de la personne. La limite : impossible de faire les tests. Et dans ce cas, qui pour le faire ? », fait valoir une participante dans le public. Tirer le fil de la vie affective et sexuelle, c’est prendre le risque d’ouvrir une boîte de Pandore où se mêlent aussi des thèmes comme l’éducation à la sexualité, la parentalité ou encore les violences sexuelles des personnes vulnérables. De quoi alimenter encore bien d’autres journées...