Hasard du calendrier, cette 32e journée internationale pour les personnes handicapées s’ouvre ce 3 décembre sans qu’aucune vision ne se dégage sur ce que sera le budget de l’Etat en direction du handicap pour l’année prochaine. Les 42,4 milliards budgétés pour le financement de l’autonomie en 2025 ? L’enveloppe de 270 millions destinée à financer dès l’an prochain les 15 000 premières « solutions » d’un plan handicap qui doit en compter 50 000 ? Les 200 millions supplémentaires débloqués à la dernière minute au Sénat pour soulager la trésorerie des départements pour le versement de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et de la prestation de compensation du handicap (PCH) à partir du 1er janvier prochain ? Ces mesures sont désormais suspendues au résultat du vote d’une éventuelle motion de censure déposée par les groupes d’opposition à l’Assemblée nationale en réponse à l’usage du 49-3 dégainé hier, 2 décembre, par Michel Barnier, pour faire passer son budget en force.
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Les handicapés "toujours privés de nombreux droits fondamentaux"
Forcément, dans un contexte financier déjà tendu pour les personnes handicapées, mais aussi leurs proches aidants, les personnels soignants et les bénévoles des associations dévolues à la prise en charge du handicap, cette incertitude sur le devenir du gouvernement et de son budget pèse lourd. La démission forcée du gouvernement Barnier contraindrait ses successeurs à repartir d’une feuille blanche… et les acteurs du handicap à ronger leur frein en attendant la fixation d’une nouvelle trajectoire budgétaire. Or il y a urgence à agir, estime-t-on à l’Unapei, réseau de 330 associations actives dans le soutien et l’accompagnement du handicap. Et les chantiers sont nombreux : « Accès à l’éducation, au logement, à la santé, à l’emploi mais aussi à la citoyenneté… les personnes en situation de handicap sont toujours privées de nombreux droits fondamentaux », tonne Luc Gateau, président du réseau.
Le 17 novembre 2023, la France, mise sur le banc des accusés par une dizaine d’associations, s'est vue condamnée par le conseil des droits sociaux du Conseil de l’Europe pour ses manquements aux prescriptions de la Charte sociale européenne en matière de handicap. « En France, les personnes en situation de handicap sont actuellement encore discriminées, souffrent d'une forme d'exclusion sociale et les entraves à leur autonomie et pleine participation à la vie de la société perdurent, faute de réponse coordonnée et suffisante », ont estimé les juges européens dans leur décision. Et aujourd’hui ? Rien n’a vraiment changé, à en croire l’Unapei. Qu’il s’agisse de difficultés d’accès aux soins (surtout pour les femmes), de participation à la vie citoyenne ou d’accès à l’emploi, « les droits des citoyens handicapés ne sont toujours pas respectés », observe l’association.
Restriction d'accès à l'emploi
Preuve en est le front du travail, par exemple. En dépit d’une légère hausse du taux d’emploi des personnes handicapées en 2023 (39 % contre 38 % l’année précédente), le niveau d’embauche, lui, a chuté de 6 % en un an. Et les ponctions prévues l’an prochain sur le budget de l’Agefiph laissent craindre le pire en matière d’aide aux entreprises à maintenir leurs salariés handicapés en poste. D’autant que l’égalité sur le marché du travail entre personnes valides et handicapées n’est pas encore assurée. La Drees note ainsi dans son édition 2024 de son enquête sur les chiffres du handicap que « lorsqu’elles travaillent, les personnes reconnues handicapées exercent une moins grande variété de métiers par rapport aux autres personnes ». Quelque 20 professions représentent ainsi 32 % de l’emploi handicapé, contre 23 % chez les valides.
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5,7 à 18,2 millions de personnes handicapées
En 2022, on comptait, selon les chiffres de la Drees, près de 14,5 millions de personnes de 15 ans ou plus (28 %) vivant à domicile et déclarant avoir au moins une limitation fonctionnelle sévère (des problèmes de vue ou d’audition malgré une correction, des difficultés pour monter un escalier, des trous de mémoire fréquents, etc.). En outre, 5,4 millions (10 %) déclarent être fortement restreintes dans des activités essentielles du quotidien (se coucher et se lever, s’habiller, faire ses courses, manger et boire, etc.). Par ailleurs, « 9 % des 15 ans ou plus (4,6 millions) déclarent avoir plus globalement une restriction importante, pour des raisons de santé, depuis plus de six mois, dans les activités que les gens font habituellement », précise la Drees.
Selon la définition du handicap à laquelle on se réfère, « le nombre d’enfants et d’adultes handicapés (de 5 ans ou plus), qu’ils vivent à domicile ou en établissement, varie de 5,7 millions à 18,2 millions de personnes ». Ils étaient en tout cas, la même année, 1,29 million à percevoir l’allocation aux adultes handicapés (AAH) dont 80 % en tant qu’adultes isolés (sur lesquels la Drees estime à 44 % le nombre de personnes vivant réellement seules). Parmi les allocataires, 50 % ont un taux d’incapacité de 80 % ou plus.
Toujours en 2022, 174 200 enfants et adolescents handicapés sont accompagnés dans les établissements et services médico-sociaux qui leur sont dédiés, dont 68 % de garçons. A la même date, 321 500 personnes sont accompagnées dans des établissements et services médico-sociaux dédiés aux adultes handicapés, 60 % sont des hommes et 9 % d’entre eux ont 60 ans ou plus. Sur l’année scolaire 2023-2024, 235 400 élèves en situation de handicap étaient scolarisés dans les établissements du premier degré et 232 900 l’étaient dans les établissements du second degré. A la rentrée 2022, 59 000 étudiants handicapés étaient recensés dans l’enseignement supérieur.
Santé dégradée
Sur le plan sanitaire, le handicap peut aussi constituer un facteur de dégradation de l’état de santé. Ainsi, 54 % des personnes handicapées âgées de 16 à 64 ans vivant à domicile déclarent un mauvais ou un très mauvais état de santé contre 7 % dans la population, et 58 % d’entre elles sont en situation de surpoids ou d’obésité, contre 42 % de l’ensemble de la population. Interrogées sur le recours aux soins, les personnes handicapées déclarent plus souvent avoir besoin de soins que l’ensemble de la population du même âge et sont pourtant plus nombreuses à y renoncer.