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Handiparentalité : le parcours d’obstacles

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REPORTAGE : ASH / SAPPH PARIS

Martine Vermillard-Gateau, puericultrice référente du SAPPH, en consultation avec une maman aveugle enceinte.

Crédit photo Vincent Wartner / Riva Press
Début 2021, la prestation de compensation du handicap (PCH) devrait intégrer l’aide à la parentalité. Une mesure attendue de longue date par les associations. Pour autant, faute de formations, la parentalité des personnes en situation de handicap fait encore l’objet de réticences, de suspicions et de méconnaissance de la part des professionnels du secteur.

« Faire un enfant quand on est handicapé, c’est n’importe quoi, totalement égoïste et insensé. » « Ma gynécologue n’a pas voulu me retirer mon stérilet pour éviter que je tombe enceinte. Elle pense que ce n’est pas bien dans ma situation. » « Elles ont fait un signalement parce qu’elles doutaient de moi. Je pensais qu’au contraire elles m’aideraient. » « On se méfie du secteur social. Mieux vaut ne pas être dans leur radar et faire profil bas. Mieux vaut ne rien demander » … Florence Méjécase Neugebauer, présidente fondatrice de l’association Handiparentalité, égrène les phrases et situations stigmatisantes rapportées par des parents ou futurs parents en situation de handicap de la part de professionnels de santé ou du secteur social et médico-social.

Toutefois, cette trentenaire mère d’un garçon de 12 ans et d’une fille de 3 ans reconnaît qu’en l’espace de dix ans – soit depuis 2010, date de la création de son association – la question de l’handiparentalité est sortie peu à peu de l’ombre. « La sexualité des personnes handicapées est désormais abordée dans des colloques, des tables rondes (1). On en parle tout doucement, mais pas forcément bien, critique-t-elle. Pour le volet parentalité, on se heurte encore à un manque d’accessibilité des lieux accueillant des enfants (crèches, écoles…), à des refus de soins de la part de gynécologues, à un manque de formation, de bienveillance de professionnels de la santé et du secteur social, à des jugements négatifs qui peuvent faire des dégâts. » Intervenant en tant que formatrice sur l’handiparentalité auprès de l’institut régional de travail social (IRTS) de Talence, Florence Méjécase Neugebauer continue : « Ces réticences des professionnels viennent de stéréotypes qu’ils ont intégrés par manque de formation. Il faut travailler sur les représentations du handicap afin de faire prendre conscience que les personnes en situation de handicap ont une vie amoureuse et le désir d’être parents. » Fin 2019, en partenariat avec O.S. L’association, les membres d’Handiparentalité ont travaillé sur l’outil Préjugix 400 mg, « le médicament anti-préjugés ». Sa notice a été construite à partir d’une centaine de témoignages et expose quatre principaux préjugés : les handicapés n’ont pas de sexualité ; ils ne peuvent pas faire d’enfants ; être enceinte et handicapée, c’est trop compliqué et toujours risqué ; faire un enfant, c’est inconscient et égoïste.

Climat de méfiance

Fondé en 2014 en région Rhône-Alpes, le collectif Etre ParHands rassemble des parents en situation de déficiences motrices et sensorielles. Vincent Plazy, Carine Moiroud, Delphine Siegrist et Hakima Conjard, membres du collectif sont unanimes : les parents en situation de handicap doivent toujours être à la hauteur, prouver encore plus que les autres, en ayant la crainte de voir leur enfant placé ou que les services sociaux interviennent. « 90 % des personnes interrogées dans mon étude ont déclaré craindre les professionnels du secteur social, le signalement, l’information préoccupante », reconnaît aussi Florence Méjécase Neugebauer. « Or, dans la réalité, moins de 1 % des parents handicapés voient leur enfant placé. Il y a donc des représentations qui sont exagérées. Mais cette vigilance et cette méfiance à l’égard des professionnels du secteur social a des conséquences : certains parents handicapés vont faire en sorte de ne solliciter aucune aide sociale là où d’autres parents valides le font. »

Dans sa plateforme de revendications publiée en 2019, le comité Parentalité des personnes en situation de handicap pointait du doigt l’importance d’« intégrer des modules de formation dans la formation initiale et continue » des professionnels concernés (sages-femmes, gynécologues, techniciens de l’intervention sociale et familiale, assistantes sociales, juges, personnels de l’Education nationale, de la protection de l’enfance et de la petite enfance…) « en s’appuyant sur l’expertise et le témoignage de parents en situation de handicap ».

« Créer des passerelles entre les acteurs »

Le collectif Etre ParHands œuvre à « créer des passerelles entre les acteurs du handicap et les acteurs de la parentalité qui, jusqu’à présent, ont peu travaillé la question de la parentalité des personnes en situation de handicap et, de ce fait, la connaissent très mal et ont peu d’occasions de réfléchir aux enjeux de soutenir cette parentalité », explique Carine Moiroud, coanimatrice du groupe. A la demande de l’inspecteur d’académie du Rhône, le collectif est déjà intervenu dans la formation des futurs directeurs d’écoles pour favoriser la relation entre l’école et les familles. Il va poursuivre cette action auprès des protections maternelles et infantiles (PMI) et des techniciens de l’intervention sociale et familiale (TISF).

Si la parentalité des personnes handicapées peine à faire tomber les préjugés, c’est aussi parce qu’elle a longtemps été absente des textes législatifs. Ratifiée par la France en 2010, la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées mentionne les fonctions parentales des personnes handicapées (dans l’article 23 « Le respect du domicile et de la famille »). En revanche, l’aide à la parentalité des personnes handicapés ne figure pas en tant que telle dans la loi « handicap » du 11 février 2005. Animateur du collectif Etre ParHands, Vincent Plazy déplore : « Le droit à la parentalité des personnes handicapées est très peu reconnu dans les politiques publiques car il est au croisement de celles du handicap et de celles de la famille. Pour les politiques du handicap, la parentalité est une réalité marginale et, pour les politiques de la famille, les réalités du handicap sont également marginales. On est dans ce croisement de deux champs des politiques publiques qui ont chacun tendance à ne pas trop investir sur cette question de la parentalité. »

Jusqu’à présent, la prestation de compensation du handicap (PCH) ne prend pas en compte au titre de l’aide humaine les besoins d’accompagnement à la parentalité pour les personnes handicapées. Exception faite du département d’Ille-et-Vilaine, qui a instauré en 2007 une aide extralégale à la parentalité à raison de cinq heures par jour pour un enfant de 0 à 3 ans et de deux heures pour un enfant de 3 à 5 ans. Ce soutien à la parentalité est accordé jusqu’aux 7 ans inclus de l’enfant. Depuis juillet 2019, le conseil départemental de la Gironde a, à son tour, décidé de « majorer le droit à la PCH pour soutenir la parentalité lors de l’accueil d’un enfant de 0 à 3 ans, en complément des interventions de droit commun ». Le département détaille : « L’appui consiste à majorer d’une à deux heures par jour le plan d’aide humaine au titre de la PCH pour les futurs parents (femmes enceintes pour lesquelles la grossesse majore les difficultés quotidiennes) et pour les parents d’un enfant de moins de 3 ans bénéficiaires d’un plan d’aide humaine PCH ou susceptibles d’y être éligibles. »

En novembre 2016, un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) relatif à l’amélioration de la PCH proposait d’intégrer une aide à la parentalité au sein de l’aide humaine de la PCH, « adaptée au handicap du parent, à sa situation et à l’âge de l’enfant ». Réclamée de longue date par les associations, cette mesure avait également été portée par le gouvernement lors du comité interministériel du handicap du 2 décembre 2016. Mais sans voir le jour par la suite…

La promesse a été remise sur la table à l’occasion de la clôture de la Conférence nationale sur le handicap (CNH), le 11 février dernier(2). Les besoins attachés à la parentalité, comme l’assistance apportée par un tiers à un parent handicapé pour s’occuper de son jeune enfant, devraient être intégrés en 2021 dans la PCH, « avec un plan d’aide gradué selon les besoins ». « Je refuse qu’en France des personnes renoncent à devenir père ou mère en raison de leur handicap, a déclaré Emmanuel Macron lors de la CNH. C’est pourquoi je souhaite accéder à une revendication que je sais portée depuis de nombreuses années par beaucoup d’associations. Dès le 1er janvier 2021, l’aide humaine et les aides techniques nécessaires aux parents handicapés d’enfants âgés de 0 à 7 ans seront intégrées à la prestation de compensation du handicap » 184 millions d’euros seront alloués d’ici à 2022 pour financer ce nouveau droit.

Un accompagnement insuffisant

Issus d’initiatives d’acteurs locaux, des services d’accompagnement à la parentalité pour les personnes handicapées sont inégalement développés sur le territoire et ont aujourd’hui beaucoup de mal à être financés. Par ailleurs, ils ne peuvent intervenir au-delà des 7 ans de l’enfant. Le plus ancien et le plus connu est le service de guidance périnatale et parentale des personnes en situation de handicap (SAPPH) de Paris. Créé dès 1987 au sein de l’Institut de puériculture de Paris puis repris, à partir de 2010, par la Fondation hospitalière Sainte-Marie, il a d’abord été ciblé sur le handicap sensoriel (parents aveugles) et élargi au handicap moteur. Quelque 160 familles franciliennes sont actuellement suivies par ce service.

« Au sein du mouvement parental, la question de l’“handiparentalité” – en particulier dans le contexte du handicap intellectuel – est longtemps restée impensée. La mise en place de dispositifs d’accompagnement ou de structures dédiées est donc relativement récente, considère l’Unapei (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis). Ces réponses restent encore largement expérimentales et très inégalement réparties sur le territoire. Le droit commun commence lui aussi à s’ouvrir à la question, mais, comme dans bien d’autres domaines, il est encore peu formé et peu outillé pour accompagner les personnes handicapées intellectuelles. L’effort d’innovation et d’expérimentation doit être poursuivi afin d’imaginer des structures, des dispositifs ou des modes d’accompagnement adaptés et évolutifs, prenant en compte tout à la fois l’intérêt des parents et celui des enfants. » Accompagner les femmes en situation de handicap dans leur sexualité et leur parentalité, c’est également l’objectif de la mesure 28 du Grenelle contre les violences conjugales, l’une des 50 mises en place par le gouvernement en novembre dernier pour endiguer les féminicides. A ce titre, un centre ressource « Vie intime, sexuelle et accompagnement à la parentalité » devrait être mis en place dans chaque région pour les femmes en situation de handicap, leurs proches et les professionnels.

L’handiparentalité « aux yeux du monde »

Réalisé par Grandir d’un monde à l’autre, association de la lutte contre les discriminations, le documentaire Aux yeux du monde retrace le parcours et dix ans d’échanges et de rencontres avec trois couples ayant une déficience psychique ou intellectuelle et désirant ou ayant déjà un enfant. Un projet mené par Rémy Viville et Olivier Raballand, et soutenu notamment par la Fondation de France. Le reportage complémentaire Regards croisés se compose de multiples témoignages de professionnels, d’experts et de parents (contact@mondelautre.fr).

Notes

(1) Voir ASH n° 3148 du 21-02-20, p. 6.

(2) Voir ASH n° 3147 du 14-02-20, p. 14.

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