Parmi les 160 000 enfants qui subissent des violences sexuelles chaque année en France, à minima 7 680 sont en situation de handicap. Des chiffres très certainement en dessous de la réalité car de nombreuses agressions restent tues et donc non reconnues. Encore plus lorsqu’elles concernent des enfants non verbaux. Ces derniers ont en effet 3,5 fois plus de risques de subir des violences physiques ou sexuelles qu’un enfant oralisant.
Ne pouvant se résoudre à ce dramatique constat, deux mères d’enfants non oralisant ont lancé le mouvement #MeToosansvoix, il y a quelques semaines. « Ce sont des cibles de choix pour les agresseurs », alerte l’une d’entre elles, Khlidja B, militante au sein d’ISAAC francophone, l’association internationale pour la communication alternative et améliorée (CAA). Privées de moyens pour s’exprimer, les victimes peuvent difficilement rapporter des abus, rechercher de l’aide et bénéficier de soutien. Les deux femmes militent donc pour un accès élargi à la CAA, qui englobe les méthodes qui complètent ou remplacent la parole ou l'écriture pour les personnes ayant une déficience dans la production ou la compréhension du langage.
Il existe différents outils, notamment des classeurs de communication à base de pictogrammes, des applications ou des ordinateurs avec synthèse vocale. Bien que la Convention internationale des droits des personnes handicapées fasse expressément mention de la CAA comme d’une méthode de communication au même titre que le braille par exemple, elle est aujourd’hui très peu utilisée en France. « Les établissements comme les IME [instituts médico-éducatifs] ne mettent pas en place des projets de communication pour les personnes accompagnées, ne forment pas le personnel et il y a aussi cet état d’esprit de ne pas considérer la capacité des personnes », se désole Khlidja B. Pourtant, depuis plusieurs semaines, le hashtag se diffuse sur les réseaux sociaux et plusieurs associations soutiennent le mouvement.
Un jeune lance l’alerte grâce à la CAA
Pour cause, mi-janvier, un éducateur était interpellé chez lui par les enquêteurs de la brigade de protection des mineurs (BPM). Soupçonné d’avoir violé ou agressé sexuellement dix mineurs et jeunes majeurs au sein de l’IME parisien pour lequel il travaillait, il a été mis en examen. L’affaire n’aurait jamais éclaté au grand jour si l’une des victimes, un garçon polyhandicapé de 14 ans, n’avait pas donné l’alerte grâce à ses outils de CAA : un classeur de communication à base de pictogrammes (PODD) et un logiciel de communication (TD SNAP).
C’est ce qui a permis à cet adolescent atteint d’un syndrome génétique rare à l’origine d’une déficience intellectuelle sévère et de retards psychomoteurs de dénoncer auprès de sa mère les agressions dont il avait été victime. Sa famille a saisi la Fondation Saint-Jean-de-Dieu dont dépendait le centre parisien spécialisé dans l'accompagnement du handicap moteur et du polyhandicap. L’éducateur a immédiatement été suspendu. Suite au dépôt de plainte, une enquête a été ouverte et plusieurs autres victimes ont été identifiées pour des faits commis d’octobre 2021 à septembre 2023.
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Grâce au mouvement #MeToosansvoix, les promoteurs de la communication alternative et améliorée espèrent faire évoluer les mentalités. « On a parfois l’impression que pour certains, vu que cela concerne des enfants avec un handicap cognitif ou mental, c’est moins grave. On ne les considère pas aptes à comprendre leur environnement », déplore Khlidja B. L’actualité récente donne pourtant raison aux familles, associations et professionnels qui poussent à la démocratisation des dispositifs de CAA.