Depuis des semaines maintenant, à la faveur d’un flou politique qui nous prive de décisions et conforte l’impasse que représente l’attentisme en la matière, des pans entiers de notre population restent sans réponses ni perspectives à leurs difficultés. C’est le cas de nos aînés qui, dans la réalité de leur vie quotidienne, sont à bien des égards laissés pour compte.
Nous parlons de ceux qui ont franchi cet âge charnière, celui qui renvoie les uns à une forme de libération et les autres à une mise à l’écart redoutée. Celui qui symbolise trop souvent la fin de toute ambition de bien vivre et de vivre pleinement toute sa vie.
Pourtant, les plus de 65 ans représentent près de 15 millions de personnes en France, dont 30 000 centenaires[1]. Avec l’allongement de l’espérance de vie, nos schémas familiaux comme notre modèle de société ont muté et, avec eux, le rôle de nos aînés. Les grands-parents, que sont souvent ces jeunes retraités, assurent utilement la garde de leurs petits-enfants quand ils ne doivent pas veiller sur leurs propres parents. Outre cette double vocation familiale prépondérante, ils ont aussi une mission fondamentale dans le milieu associatif. Un bénévole sur trois est à la retraite[2], et on se demande ce que deviendraient nos clubs sportifs et nos associations de solidarité si les personnes âgées les délaissaient.
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Même constat pour notre vie démocratique. Près de 40 % des maires sont retraités[3] et chacun sait que l’activité professionnelle est un frein têtu à la disponibilité d’un élu local. Bref, l’utilité sociale des Vieux est un point d’appui et non une charge. Ils partagent d’ailleurs cela avec les Jeunes avec lesquels ils sont trop facilement opposés.
Au-delà, les plus de 85 ans représentent, parmi nos aînés, le public le moins pensé, le plus oublié. Et peut-être le plus stigmatisé en raison du regard que la société porte sur lui. Est-ce parce qu’il lui évoque trop facilement l’inutilité, la déchéance, l’isolement ou la relégation qu’elle préfère en détourner les yeux ? À tel point que l’on pense la fin de vie avant de concevoir la fin de la vie, c’est à dire notre dernier parcours d’existence qui peut s’étaler sur plusieurs dizaines d’années.
Quel dommage de refuser de voir la richesse d’expériences individuelles, le témoignage de notre passé commun, la force d’un autre rapport au temps et aux émotions ! Et de surcroît des hommes et des femmes encore bien dans leur époque, avides de satisfactions et de découvertes, et même tout prêts à nous surprendre ! D’ailleurs il suffit de lire ou d’écouter le sociologue Edgar Morin, 103 ans, l’historienne Mona Ozouf, 93 ans, le psychologue Boris Cyrulnik, 87 ans, l’écrivaine Annie Ernaux, 84 ans, ou encore tout récemment le musicien Jean-Michel Jarre, 76 ans, enflammant le Stade de France, pour se convaincre que vieillir n’est pas une impasse, mais un nouvel âge de la vie. Ils sont la preuve heureuse, parmi tant d’autres, que la vieillesse est loin d’être toujours un naufrage, mais au contraire une aventure qui demande à être belle le plus longtemps possible !
En 2050, les personnes âgées de plus de 85 ans seront trois fois plus nombreuses qu’aujourd’hui. Ces nouvelles générations d’anciens, nés avant 1965, auront traversé les années 70, 80, 90, connu des évolutions et des révolutions de multiples natures, et aspireront à vivre leur grand âge avec d’autres besoins. À chaque vieillesse ses attentes légitimes, à chaque société d’y apporter des réponses appropriées. Et parce que tout individu désire jusqu’au bout le bien-être et la joie, c’est le devoir des pouvoirs publics de donner à nos aînés les moyens de parcourir la dernière partie de leur vie dans des conditions décentes.
Nous y voyons un enjeu de respect des droits fondamentaux, et à défaut, une forme de maltraitance institutionnelle. Voilà pourquoi accompagner toutes les personnes âgées, en respectant leurs choix de vie, est un projet pour toute la société.
Les accompagner, c’est leur permettre de continuer à évoluer dans la cité en leur évitant toute forme de précarité sociale, c’est leur permettre de se déplacer, qu’il s’agisse des villes, des zones péri-urbaines ou rurales, chaque territoire ayant ses contraintes.
Les accompagner, c’est leur proposer des logements adaptés, évolutifs, qui contribuent autant que possible à leur indépendance. Les accompagner, c’est aussi leur assurer des services de proximité et lutter contre les fractures numériques liées à la dématérialisation, véritables obstacles aux droits effectifs dans bien des cas.
Les accompagner, c’est naturellement leur garantir l‘accès aux soins et à la santé, alors qu’ils sont – d’ailleurs avec de nombreux jeunes ! - les premières victimes des déserts médicaux. Les accompagner, c’est enfin et surtout leur permettre des relations humaines gratifiantes, les agréments de la vie sociale, les plaisirs de l’échange et du divertissement.
Puisque c’est à la manière dont elle accompagne les personnes vulnérables qu’on juge une société, alors soyons collectivement à la hauteur pour nos aînés ! Veillons à leur garder le goût de vivre, contribuons à leur plein épanouissement en mettant en œuvre des politiques publiques qui favorisent leur autonomie, l’accompagnement de l’avancée en âge, la solidarité inter-générationnelle. Reconnaissons et donnons pleinement à nos aînés la place qui leur permet de continuer de faire cause commune avec les générations qu’ils ont précédées. C’est ainsi que nous trouverons toutes et tous, collectivement, les moyens de notre équilibre et de notre durabilité.
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À propos de la Semaine Bleue : Créée en 1951 et coordonnée par l’Uniopss, la Semaine Bleue est la semaine nationale des retraités et des personnes âgées. Elle met en lumière les contributions de tous les « vieux », quels que soient leur âge et leur niveau d’autonomie, à la vie économique, sociale et culturelle de notre pays. Elle insuffle un nouveau regard sur le vieillissement en diffusant une représentation positive de leur rôle dans notre tissu social, renforce les liens entre les générations et nourrit la solidarité auprès des plus fragiles. La Semaine Bleue est présidée par Alain Villez, par ailleurs ancien président des Petits frères des pauvres. L’édition 2024 aura lieu du 30 septembre au 6 octobre.
À propos de l’Uniopss : Association loi 1901 reconnue d’utilité publique, l’Uniopss réunit l’ensemble des associations des solidarités et de la santé, engagées aux côtés des personnes vulnérables et fragiles (personnes âgées, personnes malades, en situation de handicap, de précarité, jeunes en difficulté…) dont elle porte la voix collective auprès des pouvoirs publics. Présente sur tout le territoire au travers d’un réseau d’unions régionales et d’une centaine de fédérations et d’associations nationales, l’Uniopss regroupe près de 35 000 établissements, 750 000 salariés et un million de bénévoles. Elle est présidée par Daniel Goldberg.