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Bienvenue dans l’Esat du futur

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A l'Esat de Sélestat en Alsace, Eric Simon conseille Mathieux qui travaille sur une vidéo. 

Crédit photo Pascal Bastien
Les métiers du numérique sont encore peu présents dans le giron du travail en milieu protégé. C’est pourtant le pari effectué par l’Esat de Sélestat, en Alsace, pour motiver des jeunes geeks atteints d’autisme ou de handicap social et relationnel. Un investissement rentable humainement et financièrement.
 
 

« Ici on développe les talents », annonce l’association alsacienne Adapei Papillons blancs au fronton du bâtiment de son Esat de Sélestat, flanqué en cœur de zone artisanale. Aux côtés de 140 travailleurs répartis en une dizaine d’autres activités, cinq d’entre eux jouent les pionniers depuis leur atelier numérique du premier étage. Dans la pièce aux allures d’open space, Matthieux C., 27 ans, met la dernière touche à son montage d’une interview d’Isabelle Nanty, présidente du jury de la 15e édition du rendez-vous Regards croisés, le célèbre festival de courts métrages dédié aux handicaps, qui se tient chaque automne à Saint-Malo. « Je suis en train de vérifier la colorimétrie, c’est-à-dire la juste restitution des couleurs, explique-t-il. Je dois aussi trouver les bonnes musiques libres de droit pour capter l’attention des personnes qui vont regarder cette vidéo. » Unique en son genre, son atelier a été missionné pour réaliser l’« aftermovie » d’une dizaine de minutes retraçant l’édition 2023 du festival. Il ne reste plus que quelques jours à l’équipe avant la livraison de ses travaux. Pendant une semaine, trois des cinq travailleurs de l’atelier ont capté sur place débats, interviews ou remises de prix, avec Eric Simon, moniteur d’atelier, en appui pour prendre le relais dans les rares cas de fatigue. « Ils ont rapporté un téraoctet de rushs, c’est énorme », expose-t-il avec respect.
 

Des langages plus adaptés

Féru de vidéo, entré dans le secteur du handicap mental après avoir été conseiller d’insertion à Pôle emploi, Eric Simon a fait de Regards croisés le point de départ de son initiative. Ancien formateur au sein d’Etapes, le centre de formation géré par l’association, le référent a longtemps fait participer des groupes de travailleurs à l’interprétation de scénarios pour les encourager à concourir à la compétition bretonne, dans la catégorie « milieu protégé ». Là, il s’aperçoit que les capacités et appétences techniques de ses volontaires dépassent largement celles du simple jeu d’acteur. Le professionnel en est convaincu : l’image et la vidéo sont des langages bien plus aisés à saisir pour les publics déficients que l’écriture facile à lire et à comprendre (Falc). « Des personnes qui ne savent pas lire se débrouillent sans problème avec des tutoriels sur leurs smartphones », illustre-t-il. En 2019, le formateur convainc donc son association de le laisser s’engager dans la transmission de ses compétences en vidéo au sein d’un atelier professionnel dédié, avant que celui-ci ne déborde de son champ d’intervention premier pour s’ouvrir au numérique.
 

« J’ai enfin trouvé ma voie »

« Dans l’audiovisuel, on en apprend tous les jours, j’ai enfin trouvé ma voie », se félicite Matthieux C., après un service civique « compliqué » et une expérience décevante dans les vendanges. Atteint de troubles du spectre autistique, le jeune homme a osé de lui-même approcher Isabelle Nanty à l’improviste lors du festival. « Il a vraiment fallu aller chercher chaque interview », précise-t-il. « Lors de son premier stage ici, Matthieux avait eu besoin d’être accompagné par un éducateur, se souvient Eric Simon. Depuis, il a beaucoup évolué et il va continuer de progresser. D’ici trois ou quatre ans, il ne sera plus chez nous. »

Avec son jeune atelier numérique, l’association Adapei Papillons blancs entend donner leur place à des jeunes hyperconnectés et peu enclins à la routine. D’autant que les nouvelles générations des Esat de l’association comptent de moins en moins de personnes dont le handicap est induit par une déficience présente dès la naissance. De jeunes adultes aux difficultés plus sociales et relationnelles viennent aujourd’hui grossir les rangs. « Notre public est de plus en plus constitué de personnes qui se lassent très vite du travail, développe Eric Simon. Chez nous, chaque projet est différent. L’atelier est très souple dans son rythme et aucune qualité n’est requise pour y venir. C’est l’intérêt pour l’image qui compte. Il y a de la place autant pour les profils créatifs que pour ceux pragmatiques. Je sélectionne les personnalités selon les clients. »

Avant d’intégrer l’équipe, Florian R., 29 ans, avait touché à la cuisine, aux espaces verts et à la mécanique. « Je m’intéresse au cinéma. Travailler la vidéo m’a tout de suite motivé », confie-t-il, le regard absorbé par son écran d’ordinateur. Le jeune homme met la dernière main au teaser de l’enregistrement live d’un concours de cuisine organisé entre les établissements d’Adapei Papillons blancs. « Je vérifie que les plans ne sont pas flous, qu’ils sont cadrés ni trop haut, ni trop bas, que le son n’est pas saturé », détaille-t-il consciencieusement.

Mais, ce matin-là, une interruption s’impose. Un embout d’ensachage de l’atelier de conditionnement de thé, situé au rez-de-chaussée, a cassé. A Florian, son concepteur, de le réparer. « Il va falloir un embout beaucoup plus résistant, parce que l’on voit que ça a cédé,pense-t-il. Il y a peut-être besoin d’épaissir les côtés. » Dix minutes à peine sont nécessaires au jeune homme pour imaginer une nouvelle modélisation et transmettre son fichier à l’imprimante. « Pour l’imprimer, c’est une autre histoire… », prévient-il, en riant. L’impression couche après couche va en effet durer sept heures. Florian s’est familiarisé tout seul, sur YouTube, à un logiciel gratuit de modélisation 3D, avant d’être formé ici à un logiciel plus performant, sélectionné par Eric Simon pour sa prise en main intuitive. C’est lui qui se charge désormais de concevoir les gabarits des pièces des machines de l’Esat. Confiante dans l’avenir de cette technologie, l’association Adapei Papillons blancs a déjà investi dans six imprimantes 3D, et l’autodidacte initie désormais l’un de ses camarades.
 

« Une part de frustration »

L’équipe a œuvré en autonomie sur ses travaux de montage durant la récente absence de deux semaines de son encadrant, lui-même en formation au pilotage de drones, prochain terrain d’apprentissage de ses protégés. « Ici, on ne fait pas encore d’argent mais on ramène des compétences, défend Eric Simon. Il nous faut sans cesse nous mettre à jour. » L’un des travailleurs de l’atelier vient de commencer à se former sur un logiciel de conception de pages web. Premier objectif : monter un site Internet unique pour l’ensemble des activités du pôle travail d’Adapei Papillons blancs.

Les travailleurs de l’atelier numérique ont le permis de conduire ou sont en train de le préparer, dans le cadre d’un dispositif d’apprentissage dédié aux publics de l’association. Cela leur permet de se rendre en tournage et de rester solidaires des autres ateliers de leur établissement, notamment pour réaliser des déplacements nécessaires à leurs activités. Ils sont aussi appelés à participer à des missions ponctuelles de détachement dans des entreprises clientes de l’Esat.

Joël S. rentre d’une livraison de repas cuisinés sur le site. A 25 ans, le jeune homme, qui a quitté le système scolaire en classe de 3e, compte 12 000 abonnés sur son compte TikTok, où il partage ses vidéos d’imitation filmées au moyen d’un téléphone portable. Il avait déjà tenté le ménage, les espaces verts, le façonnage de cartons… « C’était n’importe quoi. Je ne faisais que des c… », lâche-t-il avec dérision, en chemin vers les imprimantes laser hébergées au rez-de-chaussée. Joël le reconnaît lui-même : l’atelier numérique l’a canalisé. Il est en ce moment affecté aux commandes de goodies et s’occupe de concevoir des visuels et de personnaliser tasses et T-shirts. « Nos travailleurs sentent une confiance. Nous avons observé une nette diminution de l’absentéisme parmi eux depuis leur arrivée dans l’atelier », pointe Eric Simon. Leur seule limite reste encore d’entendre les demandes des clients et leurs retours critiques. « Sur cette étape, je dois rester avec eux, concède le moniteur, qui ne perd jamais de vue le fait que la commande guide le travail. Le client peut imposer une trame ou demander des modifications. Alors, même s’il peut faire des propositions, le travailleur doit apprendre à faire avec une part de frustration. »



Les 3 Conseils d'Eric Simon

Le moniteur et fondateur de l’atelier numérique de l’Esat de l’Adapei Papillons blancs à Sélestat (Bas-Rhin) livre ses conseils.

1. Viser la progression.

Je n’hésite pas à être franc avec les travailleurs sur la qualité de leur travail. Je ne cherche pas à les préserver, même si je suis toujours là en relais s’ils en ont besoin. L’idée est de les pousser au plus fort de leurs capacités pour les encourager à progresser. Parce que tous ne sont pas destinés à rester indéfiniment dans l’atelier. Nous leur apprenons un métier en phase avec les besoins extérieurs pour qu’ils puissent l’exercer à terme en milieu ordinaire.

2. Pousser à l’autonomie.

Je m’attache à ce qu’il y ait une transmission des compétences entre les travailleurs, à ce qu’ils prennent l’habitude de se former entre eux. D’abord, pour cultiver un esprit d’équipe. Mais aussi pour que l’atelier puisse tourner en autonomie quand je ne suis pas là et, surtout, qu’il puisse perdurer si un jour je ne suis plus leur moniteur.

3. Entretenir les compétences.

Je fais attention à ce que chacun entretienne ses compétences. Tous ont les bases en vidéo et en son. Ici, on travaille par projet, pour la commande. Les travailleurs s’appuient sur des projets internes à l’association pour apprendre et consolider leurs savoir-faire. Dans les moments plus creux, je les fais s’exercer sur des petits scénarios qu’ils imaginent eux-mêmes.


Paroles de pros

« Avec l’atelier numérique, nous faisons le choix de miser sur l’avenir. Les métiers que nous proposons doivent changer pour accompagner les personnes qui vont venir demain et pour nous développer grâce à leurs compétences. »

Emile Kling, directeur adjoint de l’Esat
 


 

Paroles d’usagers

« Ce que j’aime dans cet atelier, c’est que j’ai carte blanche sur les montages. En mécanique, mon travail était répétitif, plus statique. Je m’ennuyais souvent. Ici, c’est plus souple et on bouge. »

Christophe S., travailleur de l’atelier numérique de l’Esat, affecté au tournage et au montage vidéo



Un pari économique

La crise de l’industrie et son automatisation croissante affectent l’économie de l’Esat, lequel doit se rendre moins dépendant de la sous-traitance et trouver de nouveaux débouchés. Le numérique est pour lui un pari qui doit son amorce à la solidarité du reste de l’activité de l’association. Non viables à ce stade, ses investissements technologiques continus et ses frais de fonctionnement sont portés par ses fonds propres, à commencer par les recettes commerciales de l’ensemble de ses Esat.

En contrepartie, les travailleurs peuvent être mis à contribution en renfort des ateliers de leur établissement. Leur production garantit aussi des économies en interne, avec, par exemple, l’entretien des pièces détachées des outils de production ou les supports de communication.

A terme, la forte valeur ajoutée des produits numériques pourrait rendre l’atelier très rentable. Il a d’abord développé son assise en confortant la confiance d’entreprises déjà clientes sur d’autres secteurs, et fournit actuellement des prestations à une dizaine de sociétés industrielles du territoire. Ses responsables visent le démarchage des petites entreprises en mettant en avant une grille tarifaire accessible.

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