Au bord de la départementale 940, ce matin de septembre, plusieurs silhouettes se détachent dans l’obscurité. Le soleil n’est pas encore levé mais la lumière de l’aube éclaire faiblement l’herbe verte du golf de Wimereux (Pas-de-Calais). Une dizaine d’exilés le traversent, têtes baissées, engoncés dans des couvertures pour affronter l’humidité de la nuit. Tous ont tenté le passage vers le Royaume-Uni depuis l’une des nombreuses dunes de Wimereux. L’un d’eux, un Kurde d’une trentaine d’années, affiche son dépit : « Nous voulions monter sur un bateau, mais ils étaient déjà 53 dessus. Il n’y avait plus de place pour nous. Alors on rentre à Dunkerque. » A plus de 70 km de là. Ces derniers jours, le nombre de passages en canots pneumatiques a explosé sur la côte d’Opale, à la faveur d’une météo clémente et de vagues quasi absentes.
Sur les dizaines de kilomètres de sable et de dunes qui relient Boulogne-sur-Mer à la Belgique, gendarmes, policiers et militaires passent leurs nuits à fouiller les plages à la recherche de bateaux ou de moteurs. D’un point en hauteur surplombant les dunes de la Slack, le ballet des torches est visible une partie de la nuit sur les grandes étendues de sable. Eteintes pour ne pas éveiller les soupçons, puis allumées lorsqu’il faut avancer. A Wimereux, ce soir-là, l’un de ces bateaux est échoué, dégonflé, sûrement là depuis la veille. A ses côtés, des gonfleurs de matelas de camping en forme d’accordéon témoignent de la manière dont les embarcations sont préparées. Un peu plus loin, éclairé par les lampes torches des policiers présents, un moteur Yamaha gît dans le sable.
« Il y a de moins en moins de monde sur les campements », observe Anna, coordinatrice de l’association Utopia 56 à Grande-Synthe. A Calais, même son de cloche des associatifs et bénévoles présents. Au petit matin, les cuves d’eau habituellement vides ne le sont qu’à moitié. « En début de semaine, nous avons reçu plusieurs appels de détresse de naufragés », continue-t-elle. « Quand ils nous appellent, trempés, tout ce que l’on peut faire, c’est venir avec du café, de la nourriture et des couvertures de survie. » Chaque nuit, les bénévoles chargés du téléphone d’urgence répondent à ces appels venus de la mer. La priorité ? Rassurer les exilés à bord et s’assurer qu’ils vont bien. Depuis plusieurs semaines, face aux passages ratés, les associations réclament des solutions d’hébergement d’urgence sur le littoral, proches des côtes. « Toute la politique de harcèlement quotidien des exilés les pousse à tenter la traversée, qui est pourtant dangereuse. Quand tu n’as plus de tente ni nulle part où aller, forcément, tu essaies de traverser », souligne Anna.
Confrontée à la multiplication du nombre de passages (près de 14 000 depuis janvier dernier), la ministre britannique de l’Intérieur, Priti Patel, a annoncé le 8 septembre vouloir refouler dans certains cas les bateaux au large des côtes anglaises, vers les eaux territoriales françaises. Une pratique contraire au droit maritime international, et pourtant monnaie courante au large de la Grèce, que s’est empressé de dénoncer Gérald Darmanin. Le ministre de l’Intérieur affirme martialement qu’il n’acceptera « aucun chantage » du Royaume-Uni sur le sujet.
Si Londres joint le geste à la parole, cela créerait de nouveaux risques pour les personnes exilées candidates à la traversée. Sur des flyers rédigés en plusieurs langues, les associations expliquent point par point les dangers de la traversée et la manière de s’en prémunir. « Soyez préparés ! Prévenez une connaissance de votre départ et de votre localisation. Gardez votre téléphone au sec et chargé », peut-on lire en anglais sur l’un d’eux. Comment contacter le 112 ? Comment redémarrer un bateau qui tombe en panne ? Comment bien attacher son gilet de sauvetage ? Comment trouver sa localisation en mer et la transmettre aux secours en cas de détresse ? Autant de questions vitales pour les exilés, alors que la route entre la France et le Royaume-Uni est l’une des plus fréquentées du globe par des bateaux parfois longs de plusieurs centaines de mètres.