La crise sanitaire a justifié, dans plusieurs régions dont l’Ile-de-France, la fermeture des services de premiers accueil (SPADA) et des guichets uniques (GUDA) en préfecture permettant l’enregistrement des demandes d’asile. Saisi en référé par sept associations et sept personnes exilées, le tribunal administratif (TA) de Paris a ordonné le 21 avril la réouverture, sous cinq jours, des bureaux mis progressivement à l’arrêt depuis la mi-mars dans les préfectures franciliennes. « En rendant désormais impossible l’enregistrement et le traitement des demandes d’asile, l’autorité administrative a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile » affirme le TA.
Les préfectures avaient mis en avant la protection de la santé de leurs agents : pour le juge, elles se doivent d’appliquer les mesures d’hygiène nécessaires au respect de ce droit fondamental. Sans enregistrement, les arrivants sur le territoire « se retrouvent sans droit au séjour, ni accès à l’allocation et à l’hébergement prévus pour les demandeurs d’asile. C’est extrêmement problématique » déplore Caroline Maillary, responsable du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), une des associations requérantes. Selon le ministère de l’Intérieur, depuis le 16 mars, 1200 demandes d’asile ont été enregistrées, contre 10 000 pour un mois normal. « Nous n’enregistrons pas les demandes à 100 % du niveau antérieur ; ceci étant, il y a beaucoup moins d’arrivées » justifie le ministère.
L’OFII est également concernée : sa plateforme téléphonique, première étape nécessaire pour un demandeur d’asile souhaitant se faire enregistrer dans une préfecture francilienne, est à l’arrêt depuis le 22 mars. « Nous l’avons suspendue à partir du moment où les SPADA et GUDA ont fermé en préfecture » argumente Didier Leschi, directeur général de l’OFII : « la plateforme a pour fonction de distribuer des rendez-vous : dès lors qu’il n’y en a pas, elle n’a plus vraiment d’utilité ». Pour Caroline Maillary, cette position est « d’une grande malhonnêteté : dans les faits, la plateforme aurait pu continuer à recevoir des appels ». Le TA a tranché en faveur des associations, et ordonne à l’OFII de remettre en fonctionnement sa ligne sans délai.
Le ministère de l’Intérieur envisage de faire appel
Deux jours après s’être vu notifier l’ordonnance du TA, le ministère de l’Intérieur nous indique considérer la possibilité de faire appel, « mais la décision n’est pas officiellement prise ». Quant au délai de cinq jours pour un retour à la normal dans les préfectures, il est jugé « difficile à mettre en œuvre ». Et ce, en raison de la « pluralité d’acteurs » à mobiliser, à l’heure où « nous nous mettons en ordre de bataille pour être en mesure de reprendre les enregistrements au 11 mai », date prévue pour le déconfinement, précise le ministère. Du côté de l’OFII, Didier Leschi explique être « en discussion avec les préfectures » et attendre de « voir comment elles vont procéder »avant toute reprise de la plateforme » s’opposant ainsi au jugement du TA.
Dans tous les cas, les associations vont « rester hyper vigilantes » sur la question du nombre de rendez-vous journalier octroyés à la réouverture, insiste Caroline Maillary. L’ordonnance du TA laisse la possibilité d’enregistrer moins de demandes pour s’adapter aux consignes sanitaires : une souplesse « dommageable » aux yeux de la responsable du Gisti, qui craint des déblocages inférieurs aux besoins. Le ministère de l’Intérieur l’assure déjà : « ce ne sera pas, en tout état de cause, une réouverture en pleine capacité » des guichets.
« On a suspendu le droit d’asile »
Pour Gérard Sadik, responsable des questions d’asile à la Cimade, « c’est inédit : le droit d’asile a été gelé pendant le confinement ». Les durées des titres de séjours ont bien été prolongés, les délais de recours allongés... Mais sans possibilité d’enregistrer de nouvelles demandes, ni d’obtenir son entretien à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), « on a suspendu le droit d’asile ».
Au-delà du traitement des demandes, les dispositifs de mise à l’abri et d’aide alimentaire aux exilés sont lacunaires : « le 115 est complètement débordé. La plupart des gens à la rue n’ont pas de chèques services, hormis les demandeurs d’asile déclarés ; leur montant n’est de toute façon pas suffisant » constate Caroline Maillary. Les conditions matérielles d’accueil dues aux demandeurs d’asiles ne sont pas toujours assurées. Entre autres, des problèmes avec la carte ADA (allocation pour demandeurs d’asile) remontent. La responsable du Gisti donne l’exemple d’une famille avec deux enfants « qui crevait la dalle, à qui l’OFII devait plus de 2 000 euros mais dont la carte avait été désactivée. L’OFII nous a répondu que c’était compliqué de les convoquer en préfecture, au vu de la situation sanitaire ». Les atteintes au droit d’asile se cristallisent aussi dans « tous ces petits détails pratiques qui font de la vie des gens un enfer » souligne-t-elle.
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Cartes ADA : « se préparer à une grande catastrophe »
Les cartes ADA ne pourront plus fonctionner fin juillet, en raison de l’arrivée à échéance du marché public signé avec l’Agence de services et de paiements. « Une grosse opération de renouvellement va être mise en œuvre sur les prochains mois » confirme Didier Leschi. Or, près de 60 000 cartes sont à remplacer avant cette date - et la procédure a pris du retard. « Une opération avait été programmée début mars, avec convocation de tous les demandeurs d’asile, mais est arrivé le confinement… » explique Gérard Sadik. Ce dernier témoigne de demandeurs d’asile localisés à Lorient, « à qui on a demandé de venir chercher leurs nouvelles cartes à Paris le 27 avril. Mais il n’existe pas de motif autorisant à se déplacer pour cela ! » Le responsable associatif envisage de « se préparer à une grande catastrophe » cet été, qui concernerait nombre de demandeurs d’asile pour lesquels l’allocation est indispensable.