Depuis la fin du siècle dernier, la « participation citoyenne » a pris des airs de martingale que les gouvernements brandissent pour incarner le renouveau démocratique. Sur les seuls périmètres de l’action sociale et des solidarités, les initiatives en ce sens se sont multipliées lors du dernier quart de siècle : de la loi contre les exclusions de 1998 qui proposait de placer les premiers concernés au cœur de l’élaboration des stratégies de lutte contre la paupérisation jusqu’au « choc de participation » promis par la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté de 2019, les initiatives pour faire participer les citoyens au débat ont été nombreuses. En 2008, la loi donnant naissance au RSA prévoyait d’associer ses allocataires à la définition et à l’évaluation des politiques anti-précarité. En 2013, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) s’est ouvert à un huitième collège censé porter la voix des plus précaires. L’année suivante, la loi Alur sur l’accès au logement s’est accompagnée de la création d’un Conseil national des personnes accueillies et accompagnées (CNPA) lui aussi ouvert – ainsi que ses déclinaisons régionales – aux intéressés.
Participation citoyenne partout... écoute nulle part
En conséquence, la participation citoyenne est aujourd’hui présente à tous les étages. Haut-conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Conseil de l’âge, Conseil national de la protection de l’enfance, Conseils départementaux de la citoyenneté et de l’autonomie… un peu partout, les espaces de décision ont été ouverts largement aux bénéficiaires des politiques de solidarité. Du moins, sur le papier, comme le révèle l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans un rapport publié le 9 avril dernier. Car si les apports de la participation citoyenne sont appréciés dès lors « que les conditions d’une écoute sincère sont réunies », c’est, dans les faits, loin d’être toujours le cas…
Concrètement, la parole des concernés a parfois du mal à porter comme elle le devrait. La raison? L’impossibilité, parfois, de créer les conditions d’une « participation fructueuses » de ces publics, souvent vulnérables, au débat public. Soit que leurs particularités (handicap, âge, précarité, voire limitations cognitives ou même difficultés d’accès aux espaces de délibération) les empêchent de prendre leur pleine place dans les instances ad hoc ; soit que les prérogatives celles-ci se télescopent avec d’autres juridictions déjà existantes, soit enfin que leur parole soit trustée par des représentants associatifs ou des porte-paroles autoproclamés pas toujours capés pour les représenter… ou tentés de céder à la tentation tribunicienne plutôt qu’au récit du vécu. « La participation ne se décrète pas. Elle doit avoir été rendue possible pour un plus grand nombre de personnes que les quelques volontaires aujourd’hui sur-sollicités », estime l’Igas.
Loi de revitalisation
Pas question pour autant de jeter le bébé avec l’eau du bain en réclamant la fin de ces comités consultatifs. Juste leur rendre leur dimension originelle, indiquent les inspecteurs. « Il est essentiel que les démarches consultatives les plus politiques s’ancrent dans un continuum de prise en compte des besoins et plaintes des usagers, de la dimension la plus stratégique aux aspects les plus quotidiens ». Comment ? Par l’adoption d’une grande loi de revitalisation des processus de participation citoyenne 20 ans après celle de 2002. Celle-ci aurait l’avantage de donner un signal politique clair qui passerait, notamment, par l’établissement d’une charte d’engagement conjointe de la participation citoyenne dans les politiques de solidarité entre Etat, collectivités locales et opérateurs. Afin, en creux, que personne ne marche sur les pieds de personne… Une démarche que l’Igas propose d’inscrire dans le Code de l’action sociale et des familles afin de sanctuariser la participation citoyenne lors de l’élaboration des schémas de l’organisation sociale et médico-sociale.
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Sur le plan technique, les recommandations de l’Igas mêlent dispositions de simplification – prohiber les consultations exclusivement numériques ou démoratiser l’usage du « facile à lire et à comprendre » lors de l’exposé des projets – facilitations techniques (confier à la CNSA un rôle d’animation des démarches de participation citoyenne auprès des départements, création d’un centre de ressources interne à la participation citoyenne au sein de l’Agence nationale de la cohésion des territoires…) et renforcement de l’écosystème. Notamment en confiant à l’Agence nationale du débat public la mission d’accompagner les démarches de participation citoyenne, en instaurant un pôle dédié au sein du secrétariat général des ministères sociaux ou en confiant aux instances territoriales chargés d’accompagner cette participation un rôle de remontée des informations. Et, accessoirement, en faisant reconnaître professionnellement, l’expérience acquise en tant que membre d’une commission de participation citoyenne.