Une perte mensuelle d’un million d’euros. C'est ce que subissent, selon Serge Widawski, directeur d'APF Entreprises, les entreprises adaptées de l’association, du fait du confinement. « Notre activité plafonne à 15 % de notre rythme classique, alors que nous devons trouver des ressources pour améliorer les conditions de travail, recruter… »
Chaque année, APF Entreprises reverse 200 000 ou 300 000 € aux délégations de l'association, ses antennes locales qui apportent des services aux adhérents. La crise va donc se faire sentir sur le long terme et sur l’ensemble de la vie de l’association. « Les pertes seront colossales, prévoit aussi de son côté Didier Rambeaux, président d’Andicat, qui revendique 1 100 adhérents parmi les 1 400 Esat (établissements et services d’aide par le travail) existants, en très grande majorité fermés. De plus, pendant ce temps, nous allons perdre des clients, qui seront allés trouver d’autres gestionnaires d’espaces verts… »
Pour le secteur associatif culturel ou sportif, les chiffres sont plus abyssaux encore. Sébastien Darrigrand, directeur général de l’Udes (Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire), évoque le chiffre de 7 milliards d’euros, en incluant les annulations de festivals, les championnats, etc. Et il prévient : « Certains secteurs ne repartiront pas sitôt le confinement terminé. Je pense en particulier au tourisme social ou familial. »
Charges constantes
Difficile, bien sûr, d’établir le bilan financier et économique précis de la crise sanitaire en cours pour les associations. Il devrait varier selon les secteurs d’activité, la taille des associations (les plus petites souffriront davantage) et même en fonction de leur implantation géographique, selon Jérôme Voiturier, directeur général de l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux), qui observe d’importantes difficultés déjà dans le Grand Est. Malgré tout, des constantes se dégagent : les dépenses augmentent, ou pour le moins ne baissent pas, tandis que les recettes, elles, souvent, fondent.
En dépit du ralentissement ou de l’arrêt des activités, les charges continuent de tomber : loyers, locations de matériels, chauffage de serres agricoles… Les associations ont également dû affronter des dépenses imprévues, en cas d’annulation ou du report d’un congrès par exemple, comme pour l’Uniopss, ou parfois même uniquement pour continuer de fonctionner en période de confinement. Jérôme Voiturier pointe ainsi quelques investissements rendus nécessaires par la mise en place du télétravail. Mais il ne se risque pas à chiffrer les surcoûts : « Pour l’addition, on verra plus tard. »
Dans le même temps, et là encore sans que personne ne puisse l’évaluer dès maintenant même pour sa seule structure, les recettes sont en baisse, et ce pour de multiples raisons. APF France handicap prévoyait de lancer une campagne de collecte de fonds en « street marketing » (démarchage de rue) pour rajeunir ses donateurs. Non seulement c’est devenu impossible, mais de plus, se méfie son directeur des ressources Sylvain Coudon, « il n’est pas certain que nous puissions les effectuer plus tard puisque les créneaux suivants sont peut-être déjà pré-réservés par d’autres associations ». Autre sujet de préoccupation pour lui, le maintien en activité des imprimeurs, routeurs et de La Poste, qu’il dit surveiller comme « le lait sur le feu ». Puisque sans cette chaîne logistique les appels aux dons par courrier ne pourront plus atteindre le public habituel des donateurs.
Des donateurs qui sont souvent âgés. En période de crise sanitaire, ces derniers, préoccupés, sont moins enclins à envoyer un chèque, notent nombre de directeurs des ressources. D’autant que cette fois, ils pourraient compter parmi les principales victimes.
Même si ces donateurs ne désertent pas tous, plusieurs acteurs anticipent une réorientation des dons vers des causes davantage liées à la santé ou à la recherche. Cela vaut pour les particuliers, mais aussi probablement pour le mécénat d’entreprise. Déléguée générale de l’Admical, association qui aide à structurer le mécénat d'entreprise, Sylvaine Parriaux s’attend à ce que ces deux thématiques quittent les dernières marches du podium du baromètre du mécénat qu’elle réalise tous les deux ans.
Une touche de coronavirus
Plusieurs acteurs ne cachent pas avoir revisité leur stratégie marketing pour les mois d’avril et de mai, pour y adjoindre une touche de coronavirus… Ce qui pourrait s’avérer efficace. Pourquoi ? Parce que les associations qui tirent actuellement leur épingle du jeu financier sont celles qui agissent sur le terrain de l’urgence, et lancent des appels à dons pour ces causes.
A l’image de la Fondation Abbé-Pierre. Son premier appel d’urgence lui a permis de rassembler les fonds nécessaires pour répondre à des besoins en alimentation des publics accompagnés au moyen de tickets service. Elle s’apprête à lancer un second appel à dons, en élargissant la prise en compte des besoins des plus démunis à l’accès à l’eau et à l’hygiène, à l’hébergement, au renforcement des maraudes et à leur équipement en matériels de protection. Toutefois, même pour ces intervenants de l’urgence, la collecte se modifie : son directeur « développement ressources et donateurs », Michel Raynaud, a observé un rajeunissement des donateurs, des dons plus nombreux mais plus petits, et un bond des paiements électroniques au détriment des envois de chèques. Autre changement : le pilotage des budgets est bouleversé, l’urgence passe devant toutes les autres actions.
Sylvaine Parriaux observe, elle aussi, que les entreprises participent à l’élan autour de l’urgence. Et au-delà, elle s’interroge : « Les mécènes pourraient revenir à un soutien financier davantage accordé aux structures, plutôt qu’à un projet ou programme donné, et moins se préoccuper de leur mesure d’impact. » Elle prévoit aussi que pourraient se multiplier des opérations de mécénat collectif, localement surtout.
En attendant, pour tenir, les associations s’appuient, pour celles qui le peuvent, sur les sommes que leur rapportent les activités restantes, autour des besoins essentiels. Ainsi, certaines entreprises adaptées se sont lancées dans la fabrication de masques, des Esat poursuivent leur travail de blanchisserie… Mais les gains demeurent minimes au regard des pertes.
Atténuer le choc
Chacun doit alors compter sur les mesures prises par les pouvoirs publics pour atténuer le choc : fonds de solidarité, poursuite du financement des aides aux postes des travailleurs en Esat... Et tous confient être en lien régulier avec les ministères de tutelle, jusqu’à s’amuser, pour l’un d’entre eux : « Le gouvernement redécouvre à quoi servent les associations, et l’utilité des corps intermédiaires. »
Ces acteurs associatifs en profitent pour travailler, déjà, à bâtir l’avenir autour d’un plan de relance. Ils sont nombreux à y croire : cette crise va amener la relocalisation de l’emploi et de certaines activités essentielles. Et ils entendent bien récupérer leur part du gâteau, notamment en négociant avec l’Etat qu’une part de ce marché de relance soit réservée aux entreprises du secteur adapté et de l’insertion. « Nous allons produire un plaidoyer pour un changement de modèle », indique Sébastien Darrigrand, de l'Udes.
Reste, prévient Jérôme Voiturier, de l’Uniopss, que le coût pour les associations ne sera pas seulement économique et financier, mais aussi humain. Les salariés, engagés au point d’être bien peu nombreux à faire valoir leur droit de retrait, risquent de sortir épuisés de la crise sanitaire et il faudra les accompagner. « Le retour à la sérénité prendra du temps… »