Finances publiques, attention danger ! Alors que le gouvernement vient d’engager sa consultation des groupes politiques du Parlement (RN et LFI exceptés) et des partenaires sociaux pour construire son projet de budget pour 2025, le précédent ayant été retoqué par la motion de censure de décembre 2024, la Cour des comptes vient de rendre publique une série de mesures destinées à « achever la sortie de crise pour le budget de l’Etat ».
Initialement, c’est le gouvernement de Gabriel Attal qui avait demandé aux magistrats de la rue Cambon de plancher sur les dispositions à prendre pour tailler dans le maquis des « dispositifs exceptionnels » hérités des années 2020–2022. L’exécutif avait alors ouvert les vannes de la dépense publique pour permettre au pays de traverser successivement les crises liées à la pandémie de Covid-19 et au choc inflationniste qui s’en est ensuivi. Or, « présentées comme des réponses limitées dans le temps, plusieurs de ces mesures continuent de peser sur le budget de l’Etat alors que les crises qui les justifiaient sont globalement résorbées », objecte la Cour des comptes qui, pour la seule année 2024, calcule la facture de ces coups de pouce à l’économie française à 489 milliards d’euros.
Le soutien à l'alternance trop coûteux
Dans ces conditions, les préconisations des magistrats vont vers une révision à la baisse des différents dispositifs déployés pour faire face à la crise. Parmi lesquels les aides à l’apprentissage et à l’embauche d’apprentis que le gouvernement a maintenues à un haut niveau depuis la réforme « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » de 2018. Cet important niveau de soutien financier a permis à l’alternance de se développer massivement : en 2023, on enregistrait dans le seul secteur privé 826 853 entrées en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation, soit une hausse de 270 % depuis 2018. Quant au nombre de centres de formation d’apprentis, il est passé de 1 200 en 2019 à plus de 3 800. Autant d'effets positifs sur l’emploi des jeunes, dont le taux a grimpé de 6 points entre 2017 et 2023, qui plombent cependant les finances publiques, que ce soit celles de l’Etat ou de France compétences, l’opérateur en charge de la ventilation des fonds de l’alternance et de la formation professionnelle.
Le gouvernement a déjà mis le holà sur ces dépenses avec plusieurs réductions successives des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage (NPEC) – la dernière ayant eu lieu en juillet dernier – et les révisions de l’aide à l’embauche d’apprentis. Cette dernière avait d’abord été portée à 6 000 € pour tous les contrats et tous les âges en 2023 et vient d’être réduite à 5 000 € au 1er janvier 2025. Mais pour les magistrats de la rue Cambon, le compte n’y est pas : ils plaident pour une nouvelle baisse des NPEC pour 44 % des contrats, dont le financement est toujours considéré comme supérieur au coût de référence. Sont plus particulièrement concernés les diplômes de l’enseignement supérieur, notamment à Bac +3.
La Cour préconise ainsi :
- un plafonnement de la prise en charge des contrats pour des certifications de niveau Bac +3/+ 4 à 7 695 € par an et à 8 486 € pour ceux de niveau Bac +5 et au-delà ;
- l’instauration d’un reste à charge pour les employeurs d’apprentis ;
- la suppression de certaines exonérations de contribution à l’apprentissage.
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Tout cela pour une économie estimée de 255 millions d’euros, mais qui présente le risque de faire durablement plonger le recrutement par l’alternance dans certains secteurs comme celui du sanitaire, social et médico-social. En juin dernier, la Fédération nationale pour l’apprentissage aux professions sanitaires et sociales (Fnapss) tirait déjà la sonnette d’alarme sur les conséquences en termes de pénurie de compétences qu’entraînerait une réduction des aides à l’apprentissage pour ces métiers qui peinent déjà à recruter…
Réduire la voilure sur le contrat d'engagement jeune
Autre pôle d’économies envisagé par la Cour des comptes, la réduction de la voilure sur le contrat d’engagement jeune (CEJ). Ce dispositif, qui prévoyait au départ de faire bénéficier 100 000 « neets » (jeunes de 18 à 25 ans sans emploi, qualification ou diplômes) d’un accompagnement renforcé dans l’insertion vers l’emploi ou la formation par les missions locales ou France travail en échange d’une allocation mensuelle, a vu ses objectifs tripler dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution » mis en place au lendemain de la pandémie. En 2023, ce sont près de 590 000 jeunes qui avaient été intégrés au dispositif (36 % accompagnés par les services de France travail, 64 % par ceux des missions locales).
La Cour des comptes avait déjà, dans le cadre d’un rapport sur ce plan « 1 jeune, 1 solution », proposé un meilleur ciblage sur le public le plus éloigné de l’emploi. Elle réitère aujourd’hui. Si la précédente mouture du PLFSS version Michel Barnier avait déjà fait redescendre les objectifs pour 2025 à 285 000 jeunes, les magistrats vont plus loin : ils préconisent soit une baisse drastique à 150 000 jeunes (pour une économie de 255,1 millions d’euros en 2025 et 1,15 milliard à l’horizon 2027), soit une solution « intermédiaire » à 200 000 jeunes, susceptible de générer 160,3 millions d’économies pour le premier exercice et de 728 millions sur les trois prochaines années.
Frais de garde d'enfants impactés
Les recherches d’économies tous azimuts de la Cour pourrait également affecter le crédit d’impôt pour frais de garde d’enfants. En 2023, son plafond avait été relevé de 2 300 € à 3 500 € par enfant de moins de 6 ans gardés en dehors du domicile. Avec pour conséquence une augmentation du coût de ce crédit d’impôt de 22 % (274 millions) entre 2022 et 2023 et de 6,7 % (110 millions) en 2024. Et un manque à gagner fiscal pour l’Etat de 1,72 milliard pour la période.
Or, dans le même temps, « le tarif horaire moyen par enfant gardé par des assistantes maternelles n’a progressé que de 5,3 % entre 2020 et 2023 et le taux de participation des familles en accueil collectif subventionné de seulement 3,2 % », assurent les magistrats. Ils jugent le dispositif « excessif » et réclament son abaissement à 2 500 € en 2025, « ce qui équivaut à l’augmentation du tarif horaire des assistantes maternelles entre 2021 et 2023 ». La mesure permettrait d’économiser, selon les calculs de la Cour des comptes, 200 millions d’euros.