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Centre de rétention administrative de Calais : « Même la prison, c’est plus vivable qu’ici »

En 2020, près de 900 personnes en situation irrégulière ont été retenues au centre de rétention administrative de Coquelles, près de Calais. Construit en 2003 à la frontière franco-britannique, les conditions de vie y sont difficiles pour les sans-papiers.

Un premier grésillement, puis la lourde porte métallique se referme. La petite pièce, où trônent une table et deux chaises en plastique, est le seul lien entre les retenus et la vie extérieure. Après quelques minutes, Kass, un Sénégalais de 37 ans, y pénètre, escorté de deux agents de la police aux frontières. « C’est l’équipe de jour, ça va encore », sourit l’homme, qui entame dans quelques jours son deuxième mois derrière les murs. Arrêté près de Compiègne en novembre après un banal contrôle d’identité, ça n’est pas son premier séjour en centre de rétention administrative (CRA). « Je suis en France depuis que j’ai 8 ans, mais je n’ai jamais eu les papiers », dit-il en posant sa casquette derrière l’épaisse vitre de plexiglas.

Pour lui comme pour de nombreux retenus ici, la vie jongle entre petits boulots dehors et placements en rétention. Les autorités sénégalaises n’ont jamais délivré de laissez-passer aux autorités françaises pour l’expulser, et donc, dans quelques semaines, il ressortira libre. « Pour être honnête, quand j’étais plus jeune, j’ai fait quelques bêtises qui m’ont envoyé en prison. Eh bien, même la prison, c’est plus vivable qu’ici, avoue-t-il. Par exemple, les fenêtres, ici, tu ne peux même pas les entrouvrir pour aérer. Depuis deux mois, je tousse, j’ai les yeux qui piquent et les poumons qui brûlent. » Malgré les remontées, selon lui, rien ne change. Dans ce centre, pourtant ouvert depuis 2003, les lits n’étaient pas équipés d’oreillers avant l’année dernière. Les relations avec les policiers sont souvent conflictuelles : « En prison, ce sont des surveillants, ils sont formés et respectueux, alors qu’ici, au CRA, ce sont souvent de jeunes stagiaires qui ne savent pas faire autrement que crier. »

Outrages, rébellion et grève de la faim

Si, au sein du centre, France terre d’asile est la seule association qui possède des bureaux et propose de l’accès aux droits aux personnes retenues, la Cabane juridique intervient également pour suivre les audiences du juge des libertés et de la détention. L’un de ses membres, Sim, témoigne de plusieurs manquements : « En mars, deux personnes retenues ont pris des peines pour outrage et rébellion alors qu’elles refusaient simplement de sortir de leurs chambres. Et, en avril, une grève de la faim a été entamée au sein du centre pour dénoncer les conditions de vie. Elle a été bien vite réprimée. »

Juste après le passage à la nouvelle année, le 2 janvier, des bénévoles et des Calaisiens se sont rendus devant le CRA de Coquelles pour rappeler leur solidarité aux personnes retenues derrière ces murs. « On était heureux de voir du monde, raconte Kass. On est allés vers les grillages en criant "Liberté, liberté !". Les policiers ont alors tous rappliqué et ont commencé à nous faire reculer en nous gazant. Toute la nuit, j’ai toussé et, le lendemain, mes yeux étaient rouges comme jamais. » A quelques mètres du centre, un « escape game » a vu le jour. Son nom ? « Prison Island », cyniquement collé aux barbelés du centre.

Un complexe accès au droit

Quand Kass a été arrêté, il n’avait pas ses lunettes sur lui. Depuis deux mois, entre quatre murs, il ne voit pas grand-chose. Si l’accès aux soins est normalement assuré par la Pass (permanence d’accès aux soins de santé) du centre hospitalier de Calais, les associations dénoncent une prise en charge aléatoire et insatisfaisante. « L’an dernier, un homme a hurlé de douleur pendant des jours à cause d’une rage de dents. Il n’a pas eu accès à des soins dentaires, se souvient Sim. Et pour ce qui est de la prise en charge psychologique et psychiatrique, n’en parlons même pas ! Ils ne règlent ça qu’à coups d’ordonnance de somnifères ou d’antidépresseurs. » Selon le bénévole, les médecins sont également frileux à l’idée de délivrer des certificats médicaux initiaux pour attester de coups et blessures lorsque ceux-ci proviennent des policiers : « Ce qui complique la manifestation de la vérité lors du dépôt d’une plainte pour violences policières notamment. »

Au centre de rétention de Coquelles, 15 % des personnes enfermées sont dans le même cas que Kass : après un simple contrôle d’identité, elles sont détenues en attente de leur expulsion. Mais à Calais, la situation est particulière. Depuis 2017, l’inscription dans le droit commun de mesures initialement prises dans le cadre de l’état d’urgence facilite le travail de la police aux frontières. Des lois antiterroristes détournées de leur usage premier. « Dans un rayon de dix kilomètres autour du port, les policiers, sur ordre du commissaire divisionnaire, peuvent procéder à l’envi à de nombreux contrôles d’identité pendant douze heures. Quand on cartographie un peu ces contrôles, on voit qu’ils ont lieu dans tout Calais, près des campements, à la gare ou au centre-ville, ce qui ne laisse aucun répit aux personnes », précise une travailleuse humanitaire, spécialiste du droit.

Des audiences en visioconférence

Ce qui était déjà en vogue avant la pandémie s’est généralisé : les audiences de la juge des libertés et de la détention ont désormais lieu en visioconférence dans l’annexe du tribunal de Boulogne installée près du centre. Ainsi, le matin du vendredi 7 novembre, un jeune d’origine kurde qui se présentait comme mineur a été placé en rétention dans l’attente de prouver sa minorité. Face à la juge sur l’écran, dans la petite salle d’audience, il clamait pourtant sa minorité. Sur la photographie de son passeport dans son téléphone, sa date de naissance est claire : 2004. Mais lors de son audition, les policiers aux frontières ne l’ont « pas cru » et ont mentionné 2001 sur son procès-verbal. Ce qui le rend majeur au regard de la loi française. Arrivé par la Pologne, le pays a pris son passeport pour lui accorder la protection due à tout mineur en accord avec les lois européennes relatives à la protection de l’enfance. Mais tant que la juge n’aura pas récupéré des autorités polonaises l’original de sa pièce d’identité, il sera considéré comme majeur et sa rétention sera prolongée.

Selon plusieurs bénévoles, ces non-sens juridiques ont souvent lieu lors des audiences. « La visioconférence est déjà déshumanisante pour rendre la justice, les personnes ne se voient pas. Les traducteurs ne sont pas toujours des traducteurs dans la langue maternelle, ce qui complique les audiences. Et, à de nombreuses reprises, on a affaire à des avocats qui ne maîtrisent que très partiellement le droit des étrangers », souligne Sim. Lors des maraudes et des permanences de la Cabane juridique, les bénévoles tentent d’expliquer aux personnes exilées les risques et leurs droits en cas de garde à vue ou de rétention.

Ces derniers mois, une nouvelle problématique a émergé avec l’explosion des tentatives de traversée de la Manche en bateau : plusieurs personnes ont été directement placées en rétention par la police aux frontières après leur sauvetage en mer et leur débarquement sur les ports du littoral. « Alors que le débarquement doit se faire en lieu sûr, elles sont arrêtées sur la base de leur nationalité et n’ont pas accès à des habits de rechange au CRA. Quand les personnes arrivent trempées et frigorifiées, elles le restent souvent des heures », souligne Sim. Un tri par nationalité qui pose question : « Les policiers s’intéressent d’abord aux personnes qui ont des papiers. Avec celles qui se signalent, ils embarquent systématiquement les Albanais, plus facilement expulsables en raison d’accords entre la France et leur pays », conclut le bénévole. En 2020, selon le rapport des associations mobilisées dans les centres de rétention administrative, dont France terre d’asile, plus de la moitié des personnes retenues étaient d’origine albanaise.

 

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