« Nous sommes aujourd’hui un nombre important de bénévoles et, comme vous le savez, ces dernières semaines sont assez particulières. Il y a beaucoup de questions posées sur la situation entre le Royaume-Uni et le Rwanda », entame Juliette face à ses équipes. La jeune femme, à Calais depuis plusieurs années, est chargée de mission au Secours catholique et coordonne le travail de ceux qui viennent en aide aux personnes exilées.
Ce jeudi 16 juin, elle briefe les bénévoles avant l’ouverture de l’accueil de jour. Créé en 2017, un an après le démantèlement de la « jungle » de Calais – le plus grand bidonville de France à l’époque –, c’est le seul lieu à recevoir quotidiennement les personnes en transit à la frontière franco-britannique. Avant d’ouvrir les grilles, tous les bénévoles se voient attribuer un poste. « Rasta, tu es à la porte ? », « Qui est d’accord pour s’occuper des essoreuses ? », demande Juliette. Petit à petit, la machine bien rodée se met en marche. Sur l’une des tables, le thé et le café sont sortis, les tartines et la confiture aussi. A l’intérieur, deux jeunes stagiaires venues donner plusieurs semaines de leur temps glissent un à un les jetons rouges et jaunes dans le Puissance 4 et installent des plateaux d’échecs.
Sur les coups de 13 h, Rasta tire la grille métallique. Une vingtaine de personnes sortent dans la cour avec, dans leurs mains, quelques habits à laver, de quoi prendre une douche ou les chargeurs de leurs téléphones. A 45 ans, Rasta vient tout juste de reprendre des études pour devenir moniteur-éducateur. La situation à la frontière, le Calaisien la connaît bien : « Je suis arrivé dans le coin à 6 ans et les premières personnes à qui j’ai donné un coup de main, c’étaient les Kosovars dans les années 1990. Et depuis, j’ai rencontré des milliers de personnes qui avaient besoin d’aide. » Le bénévole se souvient de ceux qu’il a croisés, de ceux qui sont partis et de ceux qui sont restés : « Amgad est soudeur, Amdine est garagiste, Imran bosse au kebab, mais c’est vrai que beaucoup ont réussi à passer en Angleterre. » Cet accueil de jour, pour lui, « est l’endroit où il y a le plus de fraternité et de dignité. Et j’ai l’intime conviction que la situation serait encore plus terrible s'il n’existait pas. Ici, les gens peuvent trouver un peu de répit et se sentir en sécurité. » Ces dernières années, il a vu la ville se transformer : « Y a des murs, des barbelés, des barrières et des flics. Calais, c’est devenu une vraie prison à ciel ouvert ! »
Des bénévoles de tous horizons
Au fond de la cour, Mathilde, la vingtaine, installe sur un petit banc deux derboukas et commence à jouer. Un jeune homme s’approche. Il s’appelle Ibrahim et vient du Soudan. Se saisissant du deuxième instrument, il enchaîne sur le rythme. La bénévole, étudiante en sciences politiques à Aix-en-Provence, est venue pour trois semaines à l’accueil de jour. « Je trouvais bête de partir comme d’autres à l’étranger alors que des situations violentes sont présentes dans notre pays », déclare-t-elle. Ici, les tâches tournent régulièrement, « et l’essoreuse, c’est plutôt intense ». Par rapport à l’année passée, Mathilde constate une baisse de fréquentation de l’accueil de jour : « Il y a moins de monde, alors ça permet de parler plus longuement avec les personnes. Mais on s’attache aussi plus vite, c’est plus dur à gérer. »
Ce jeudi, 250 personnes sont présentes dans le bâtiment. Les ballons volent dans la cour et, à l’intérieur, les parties de dominos s’enchaînent. « Mais, cet hiver, nous avons eu des journées où c’était plein. On avait 800 personnes à gérer », se remémore Rasta. Au Secours catholique, des personnes exilées ont également rejoint les rangs des bénévoles, notamment pour aider à la traduction. C’est le cas de Robel, arrivé à Calais en juillet dernier. Le jeune de 29 ans originaire d’Erythrée voulait à tout prix se rendre utile. « Aider les gens, c’est comme une passion, dit-il en souriant. Et c’est utile car je parle cinq langues : l’anglais, l’allemand, l’arabe, le tigrinya et l’amharique ». Robel a connu la vie sur les campements et souhaitait traverser la Manche pour le Royaume-Uni. Mais aujourd’hui, cette idée est derrière lui, « quand j’ai commencé à traduire pour Utopia 56, j’ai rencontré Anaïs et Ludovic, de l’association Shanti. Ce qu’on a fait avec eux, avant et pendant la grève de la faim, ça m’a donné envie de rester et de m’engager davantage ».
« De l’espoir dans ce bourbier »
Pour Antoine, l’un des chargés de mission, « l’accueil de jour est aussi un point d’ancrage qui ne rentre pas dans la politique d’invisibilisation en vigueur ici ». Dehors, un ballon vole au-dessus de sa tête et atterrit sur le toit du bâtiment. Il souffle de dépit : « On est allés acheter des ballons hier, il y en a déjà deux sur le toit. » Lieu de répit et de repos, l’accueil de jour est aussi un lieu d’orientation des personnes bloquées à la frontière. Antoine le précise : « C'est un endroit de présence permanente et fraternelle de nos bénévoles, il y a un accès aux infos de survie à Calais, comme les lieux et horaires des distributions, des douches ou des charges de téléphones. On veut permettre aussi aux personnes de faire un choix informé sur leur futur. » Le lendemain matin, un temps d’échange et d’information est prévu sur l’accueil et l’asile en France. « On veut montrer aux personnes qui souhaitent se stabiliser en France qu’elles peuvent le faire. Notre vœu à l’avenir est de pouvoir les accompagner dans cette démarche », détaille Antoine.
Ouvert les lundi, mercredi, jeudi et vendredi, l’accueil de jour est le seul endroit de ce type à Calais. En fin de journée, les personnes quittent petit à petit le bâtiment, rangent les chaises et récupèrent le linge qui sèche, étendu. Les bénévoles remballent aussi, car certains viennent de loin. « Ici, il y a des gens de Calais, de Paris, du Touquet, d’autres pays d’Europe et même du monde. De tous âges, de toutes conditions sociales et de toutes religions. C’est ce qui redonne un peu d’espoir dans ce bourbier », conclut Rasta en écrasant sa cigarette.