Il aura fallu deux ans de combat pour que les associations obtiennent gain de cause. Dans un jugement rendu le 12 octobre 2022, le tribunal administratif de Lille a, en effet, annulé une série d’arrêtés préfectoraux qui, à la fin de l’année 2020, avaient interdit les distributions gratuites de boissons et de denrées alimentaires dans certains lieux du centre-ville de Calais.
Les services de l’Etat entendaient notamment « mettre fin aux troubles à l’ordre public et limiter les risques sanitaires liés à des rassemblements non déclarés ». Dans le viseur : les nombreux détritus laissés à l'issue des distributions qui, selon la préfecture, menaçaient la salubrité publique. Trois arrêtés d’interdiction ont finalement été pris, applicables dans 21 rues de la ville de Calais. L’application du dernier d’entre eux courrait jusqu’au 12 janvier 2021. Certes, le jugement du 12 octobre n'aura pas d'impact concret, mais il pourrait bien faire jurisprudence. Surtout, il démontre, près de deux ans plus tard, que la préfecture avait utilisé des arguments invalides pour prendre ses arrêtés, lesquels avaient un véritable impact sur le terrain.
Les trois arguments du juge passés au crible
Le juge relève d’abord que le préfet s’était fondé « sur les menaces pour la préservation de la tranquillité publique provoquées par des faits d’incivilité, d’ivresse publique et de violence liés à la présence des migrants dans le centre-ville de la commune ». Réponse du juge : ces troubles ne sont pas « imputables aux distributions de denrées effectuées par les associations humanitaires ».
Deuxième argument : les manquements aux règles sanitaires. En pleine pandémie de Covid-19, la préfecture avait justifié les interdictions de distributions en raison de l’impossibilité de respecter les gestes barrières et la distanciation sociale. Le juge administratif rétorque que « les protocoles sanitaires mis en place par les associations requérantes, les extraits de conversations groupées versés au dossier et les distributions de masques sanitaires effectuées établissent, au contraire, le degré élevé de préoccupation des associations pour le respect des règles sanitaires ». L’argument de la préfecture aurait été pertinent si elle avait démontré des « manquements répétés » à ces obligations.
Seule justification admise par le tribunal administratif : la salubrité publique. L'existence de déchets a d'ailleurs était reconnue par les associations bénévoles. De leur côté, la maire et le préfet ont « fait état de centaines de kilos de déchets abandonnés quotidiennement sur les voies publiques de la commune, générant des frais de ramassage et de nettoyage conséquents ».
Du point de vue du juge, seule la préservation de la salubrité publique justifie l’interdiction de la distribution.
Des interdictions « inadaptées » et « disproportionnées »
Mais l'interdire seulement dans certaines rues ne fait que déplacer le problème. De plus, « les interdictions édictées ne sauraient remédier aux abandons de déchets consécutifs à l’activité de distribution de denrées, en étant inadaptés et inefficaces pour réduire les troubles à la salubrité publique liés au volume de déchets abandonnés sur place », juge le tribunal administratif, qui constate que les arrêtés sont « inadaptés aux finalités qu’ils poursuivent ».
Enfin, le juge relève que les interdictions ciblées dans l’espace et dans le temps ont eu « pour effet de compliquer considérablement la possibilité pour ces populations précaires [les migrants du centre-ville de Calais, ndlr] d’accéder, à des distances raisonnables de leurs lieux de vies qui soient compatibles avec la précarité de leurs conditions, à des biens de première nécessité ». Le tribunal enfonce le clou en indiquant que la « nécessité d’assurer la salubrité publique » aurait pu être poursuivie « plus efficacement par la simple mise en place de bennes dédiées aux abords des lieux de distribution ».
Tribunal administratif de Lille, 12 octobre 2022, nos 2007484, 2100364, 2101109.