Peu avant l’ouverture, ce jeudi 23 juin, de l’accueil de jour du Secours catholique, l’équipe des sept membres de Médecins du monde s’installe dans l’une des salles mises à leur disposition. Diane, la coordinatrice, dégaine un carnet de son sac et entame le traditionnel briefing : « Le contexte est plutôt calme en ce moment, avec moins de monde sur les campements. Cependant, lors de nos dernières maraudes, nous avons rencontré plusieurs personnes en demande d’accompagnement. »
Sur les fauteuils qui l’entourent, Patricia, orthophoniste, Marie, médecin bénévole, Christiane, infirmière, Tayeb, médiateur, puis Jalil et Vladimir, les deux jeunes du groupe. Pour Vladimir, c’est son premier jour en tant que bénévole à Calais. Il écoute attentivement. Diane continue, « la dernière fois, un homme nous a été amené par deux de ses amis, il était totalement mutique. »
En 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) constatait que « la prévalence de troubles mentaux courants tels que la dépression, l’anxiété et le trouble de stress post-traumatique est généralement plus élevée chez les migrants exposés à l’adversité et chez les réfugiés que parmi les populations d’accueil ». A Calais, la vie en errance sur les campements, les violences policières, les addictions, les décès en camion ainsi que les naufrages sont à l’origine de nombreux traumatismes.
Un travail pas à pas
Deux possibilités s’offrent aux personnes qui souhaitent un suivi psychologique ou une consultation en urgence. : la permanence d’accès aux soins de la santé (Pass) et le centre médico-psychologique (CMP). « Notre approche n’est pas de nous substituer aux soins de droit commun, mais de pouvoir orienter le plus efficacement possible les personnes vers les structures, détaille la coordinatrice du programme de Médecins du monde dans le Nord et sur le littoral. Alors quand elles le demandent, et quand on le peut, nous les accompagnons à l’hôpital ou au CMP, plus délicat car il y a de grosses carences en matière d’interprétariat. »
Cerner les besoins des personnes exilées en matière de santé mentale est un travail qui se fait pas à pas pour les équipes mobilisées en maraudes et à l’accueil de jour. « Ma façon de faire, c’est de me balader et d'aller tout de suite vers les personnes que je vois seules, qui ne jouent pas ou s’ennuient », raconte Patricia en sortant dans la cour, où une centaine de personnes vaquent à leurs occupations.
Pour sa part, dans une salle calme, Christiane installe plusieurs jeux de société autour d’elle. « Quand certains arrivent plutôt fermés, sans trop parler, on commence à jouer. Comprendre les règles, découvrir de nouveaux jeux, se concentrer, ça les détend tout de suite et ça permet d’engager la discussion. Qu’elle dure un quart d’heure ou une heure, le principal est qu’elle soit engagée. » A ses côtés, Mohammed joue avec un vieux stéréoclic. Devant ses yeux défilent en trois dimensions des images d’Italie, de Suisse ou encore de France. Christiane et lui ne parlent pas la même langue, et pourtant le lien est créé. La bénévole lui décrit les pays, ce qu’on y voit, en mimant : « Même sans parler, on sympathise ! »
Tout le monde est le bienvenu
En face d’eux, deux bénévoles britanniques de Art Refuge ont également amené de nombreuses activités. Art-thérapeutes, elles interviennent à Calais, à Paris et de l’autre côté de la Manche, dans le Kent. « Le bénéfice de l'art-thérapie est double : la distraction et l’absorption. C’est une véritable pause dans leur quotidien », affirme Bobby, l’une des professionnelles. A cette table communautaire, tout le monde est bienvenu, bénévoles comme exilés. « On ne demande jamais à une personne si elle ne va pas bien. On lui dit juste : “Bienvenue, assieds-toi.” »
Les stéréoclics font fureur, « parfois, ils en piquent un ou deux, s’allongent sur le canapé et s’y plongent de longues minutes ». Sur la table, une cinquantaine de photographies en noir et blanc sont éparpillées. Elles montrent les voyages en Egypte, en France et ailleurs d’une certaine Sylvie Nickels, photographe britannique. Un lot acheté par l’association il y a quelques années. « Avec des petits bonhommes ou de la pâte à modeler, on peut fabriquer plein de petites histoires », explique Christiane, qui à chaque fois photographie les créations.
Pour Diane, la prise en charge psychologique « passe aussi par tous ces moments de répit, où les personnes ont enfin l’impression d’être écoutées et considérées ». L’accueil de jour, à la différence des campements, permet des discussions plus intimes. « Quand on va sur les campements, à la rencontre des exilés, on distribue un tableau et des craies, et les dessins sont parfois terribles. Surtout ceux qui représentent des bateaux et des naufrages. C’est important de sortir des campements où, avec la police qui rôde, tu dois être accroupi pour parler... Ici, on peut identifier les besoins et orienter les gens dignement », raconte Diane.
Prise en charge médicale retardée
A la permanence d’accès aux soins de la santé, une psychologue est présente deux fois par semaine pour recevoir les personnes en demande d’aide psychologique. « Une chance, selon la coordinatrice de Médecins du monde, même si la prise en charge médicale est souvent retardée à cause du délai d’ouverture des droits. » L’aide médicale d’Etat (AME), par exemple, impose trois mois de carence avant de pouvoir accéder à des soins plus réguliers. « A Dunkerque, ils refusent souvent l’ouverture des droits pour les personnes exilées car ils considèrent qu’elles ne sont que de passage sur le littoral, regrette Diane. De notre côté, on travaille avec ces personnes à une véritable adhésion au parcours de soins que la France peut leur proposer. »
Dans les mois qui viennent, Médecins du monde espère déployer une clinique mobile spécifique à la prise en charge psychologique. La journée s’achève, l’un des jeunes bénévoles vient de sortir d’une longue discussion avec un homme autour de plusieurs parties de Puissance 4 : « On a parlé de tout et de rien. Puis, petit à petit, de sa situation, de ce qu’il ressent, de l’absence de grosses associations pour les aider à demander l’asile ici », raconte Jalil. Lui a la chance de parler arabe. Un atout, alors que peu d’exilés à Calais sont anglophones. « Bon nombre d’entre eux ont quitté leur pays, traversé la Méditerranée puis tentent de traverser la Manche… Et on voit qu’en parler, ça fait du bien. »