« Des petits pas : un à droite, deux à gauche et ainsi de suite… » C’est comme ça qu’un jeune étudiant a pris Solange par la main, lui dictant les mouvements et la marche à suivre. Et à l’entendre s’esclaffer au téléphone, tout indique que cette nonagénaire accompagnée par Les Petits Frères des pauvres y a pris goût. Au diable les articulations rouillées : « J’ai dansé avec tout le monde : des jeunes, des anciens. Danser, c’est beaucoup dire, aujourd’hui je piétine, mais c’était super ! »
Ils étaient plus de 200 à guincher ce jeudi 11 avril dans la halle du lycée Nelson Mandela, à Nantes : 150 étudiants, une cinquantaine d’aînés des Petits Frères des pauvres et une trentaine de bénévoles. Tous réunis par l’appel de la boule à facettes et la promesse d’une rencontre où les barrières, tant générationnelles que culturelles, ont sauté le temps d’une fête.
L’idée est née dans le cadre d’un projet du BTS support à l’action managériale. Les étudiants ont pris en main l’organisation, soignant la com par affichage et réseaux sociaux. L’association, elle, a mobilisé les personnes qu’elle accompagne. Et pris en charge les frais : 6 000 € au total pour la déco, le traiteur – solidaire, forcément ! – et l’animation.
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Point central de la réussite de l’événement, celle-ci fut confiée à un collectif gentiment déjanté : Mobil Casbah et sa Piste à dansoire. Sur scène, les musiciens donnent le ton. En piste, les danseurs amorcent le mouvement. Et cela suffit à faire entrer même les plus timides dans la ronde.
Avant l’heure du bal, l’association avait organisé un atelier coiffure et maquillage, pour les personnes accompagnées. Chacun s’était apprêté comme aux grands jours. Et la rencontre s’est faite, malgré les appréhensions de part et d’autre. « On ne savait pas si on réussirait à faire venir les jeunes, si les personnes âgées ne préféreraient pas prendre le repas à table, explique Emma, 18 ans, à l’initiative du projet. Et elles ont été avec nous, contentes de danser, tout le monde prenant soin l’un de l’autre. »
Craintes et discriminations
Un constat partagé par Les Petits Frères des pauvres : « Les jeunes ont un rapport très décomplexé avec les anciens. Il n’y a pas ce possible miroir qui leur renvoie l’image d’eux dans quelques temps, constate Emilie Sarrazin, directrice Bretagne-Pays de la Loire.
Pour elle, le succès de la manifestation tient dans son organisation par les jeunes eux-mêmes. « Ils savent mobiliser, avec leurs outils. Si ça vient de nous, avec nos protocoles et notre organisation parfois complexe, ça change tout. »
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L’aventure est belle. Et elle illustre les conclusions du huitième rapport de l’association sur l’isolement des personnes âgées. Paru en 2023, il démontrait que, « malgré les discours incessants qui voudraient une “guerre des générations” entre jeunes et vieux, les liens intergénérationnels sont jugés importants, voire essentiels, pour toutes les tranches d’âges (89 % pour les plus âgés et 88 % pour les plus jeunes). » Et de poursuivre : « Malheureusement, des craintes, des discriminations et une impression de ne pas intéresser l’autre, viennent les parasiter… »
A rebours des préjugés, le bal n’aura eu aucun mal à lever ces obstacles, le temps d’une soirée, prouvant, s’il en était besoin, que jeunes et vieux ont encore des choses à se dire.