Lorsqu’un demandeur d’asile se déclare mineur, l’Etat d’accueil doit le considérer comme tel jusqu’à ce que l’âge ait été correctement évalué, rappelle la Cour européenne des droits de l’Homme dans un arrêt rendu le 21 juillet 2022 (1).
La Cour rappelle également que les difficultés liées à l'afflux croissant de demandeurs d’asile et de migrants ne dispensent en aucun cas les Etats membres du Conseil de l’Europe de respecter l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants (article 3 de la Convention). En effet, l’Etat italien avait tenté de justifier les conditions indignes d’internement dans le centre d’accueil pour adultes de Cona (Vénétie) en arguant d'une gestion ardue de la crise migratoire.
Un adolscent mineur placé en centre d'accueil pour adultes
Les faits : en juin 2016, un enfant venu de Gambie débarque en Italie à bord d’un bateau de fortune et y demande l’asile. Il dit être né en 1999, et se présente donc mineur au moment de sa demande. Dans un premier temps, l’Etat italien place l’enfant gambien. Mais trois mois plus tard, il est transféré dans un centre d’accueil pour adultes. La carte d’assurance maladie fournie par l’Italie atteste pourtant d’une naissance le 22 février 1999.
Dans le centre, situé à Cona, à une cinquantaine de kilomètres de Venise, les conditions de vie sont inhumaines. D’après les rapports indépendants joints au dossier, les personnes sont « entassé[e]s dans de petits baraquements en brique et dans de grandes tentes insuffisamment chauffées ». « Entassés » n’est pas une vue de l’esprit : 1 400 migrants vivent dans ce centre – dont la capacité est de 542 personnes – sans eau chaude, avec des sanitaires sous-dimensionnés. Les activités éducatives sont rudimentaires. Avec un personnel en sous-effectif, « la violence et la prostitution n’y sont pas rares », soulignent les rapports.
Le jeune réfugié passe un mois dans ce lieu avant que le médecin chargé de déterminer son âge n'intervienne, en octobre 2016. Selon les tests osseux pratiqués sur le poignet et la main gauche, le verdict ne fait pas de doute : l’homme a 18 ans. Problème : l’intéressé affirme qu’à aucun moment son consentement pour passer ces examens n’a été demandé. De plus, il n’a reçu aucune copie du rapport médical ni notification d’une décision administrative ou judiciaire mentionnant la détermination de son âge.
En janvier 2017, ses avocats saisissent donc la justice locale d’une demande de désignation d’un tuteur. Pour eux, les mineurs non accompagnés n'ont rien à faire dans des structures pour adultes. De plus, la loi italienne prévoit que l’accueil des enfants dans un établissement ne devrait durer que « le temps strictement nécessaire à la détermination de leur identité et de leur âge probable et à la communication de toutes les informations relatives à leurs droits sous une forme adaptée à leur âge ». En outre, ils soutiennent que pour évaluer l’âge de leur client, les autorités auraient dû l’interroger. L’Etat italien restera muet sur ce recours.
Les tests osseux pas fiables
Mais les avocats sont têtus. Ils saisissent la Cour européenne des droits de l’Homme, d’une part, pour faire reconnaître la violation de la Convention par l’Italie et, d’autre part, pour solliciter le transfert de leur client (art. 39 du règlement de la CEDH). La veille, note la Cour, un médecin avait attesté que la méthode des tests osseux « n’était pas suffisante à elle seule pour déterminer avec certitude l’âge d’un individu » (2). La Cour ordonne son transfert et les autorités italiennes s’exécutent. L’adolescent est finalement transféré le 18 février 2017, après avoir passé plus de quatre mois dans le centre de Cona.
Dans sa décision du 21 juillet 2022, la Cour répond à la saisine au fond sur la violation de la Convention. « Le requérant n’a pas obtenu les facilités nécessaires au dépôt d’une demande d’asile et a été interné pendant plus de quatre mois dans un centre d’accueil pour adultes surpeuplé, note la Cour. Les autorités internes n’ont pas appliqué le principe de la présomption de minorité et n’ont pas offert au requérant les garanties qui s’imposaient. » Parmi ces garanties : la désignation d’un tuteur, l’accès à un avocat et la participation éclairée de la personne à la procédure d’évaluation de son âge.
Dans cette affaire, l’Etat italien aura failli sur tous les points. Il est condamné à verser 7 500 € au requérant pour dommage moral, plus 4 000 € pour frais et dépens.
(1) Cour européenne des droits de l’homme, Darboe et Camara contre Italie, 21 juillet 2022, n° 5797/17 (disponible uniquement en anglais).
(2) En France, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de rappeler que les tests osseux n’étaient qu’un indice sur l’âge (Cass., civ. 1re, 12 juillet 2022, n° 20-17343 - V. ASH n° 3243)