A 14h00 ce lundi 11 avril, la météo est quasi printanière. Un léger vent chaud souffle sur Calais et le soleil dans le ciel laisse présager un bel après-midi. Derrière les portes de l’accueil de jour du Secours Catholique, qui permet chaque jour à près de six cent personnes d’être ensemble, de charger leurs téléphones ou de jouer, Zouzou et Silver s’activent autour d’une petite table en bois de laquelle sortent trois micros rouge, jaune, vert et bleu. Inscrit sur la table, le nom de leur radio calaisienne créée en 2017, le Calais Border Broadcast. Ce projet, porté par le Secours Catholique, s’est ouvert en 2020 aux autres associations et collectifs qui agissent auprès des personnes exilées sur le littoral.
Chaque mois, les bénévoles de la radio enregistrent plusieurs émissions, dont certaines sont hebdomadaires comme le Flash Info, « qui permet de résumer les actualités de la semaine qui touchent de près ou de loin les personnes en transit ici » explique Zouzou. Quand le projet s’est lancé, il n’y avait qu’une trentaine de personnes abonnées sur le fil WhatsApp où les émissions sont partagées.
Enregistré en quatre langues
Aujourd’hui, ils sont plus de 200 à y avoir accès chaque semaine pour s’informer. Ce jour, le flash info est revenu sur la victoire de onze personnes exilées et d’associations qui avaient contesté la légalité de l’expulsion d’un campement, plusieurs mois auparavant. Une victoire qui a vu le Préfet du Pas-de-Calais être condamné pour cette expulsion, jugée illégale par la justice. Enregistré en quatre langues pour être le plus accessible possible (l’anglais, le français, l’arabe, mais également le tigrynia, la langue parlée en Erythrée), ce flash info hebdomadaire permet également d’informer les personnes des lieux et horaires de distributions de nourriture, qui parfois changent rapidement.
Une fois par mois également, un document édité par le Refugee Info Bus est partagé en quatre langues : le New Arrival Guide (pour guides des nouveaux arrivants), détaille quelles associations sont présentes à Calais et autour, explique quelles sont leurs missions respectives et comment et où les contacter. Une aide précieuse alors qu’à leur arrivée à la gare de Calais Ville, les personnes exilées sont la plupart du temps livrées à elles mêmes, sans repères. Et enfin, la « Big Question », est une question abordée sur une quinzaine de minutes par des associatifs et des exilés.
« Nous en avons enregistré un sur la prévention des risques en mer, qui a été partagé par de nombreuses assos sur les campements. Il y a eu de super retours, des personnes qui demandaient à télécharger l’audio sur leurs téléphones pour le partager à leurs amis... » souligne Zouzou. Cette émission, enregistrée en onze langues, a mobilisé de nombreuses personnes exilées pour la traduire, « ça a été un moment très fort de voir les personnes venir des campements jusqu’au studio pour lire la traduction » se félicite la travailleuse du Secours-Catholique, « Ils avaient répété plusieurs fois afin que l’enregistrement final soit parfait. C’était touchant de voir tout le monde à ce point impliqué pour faire de cette big question une vraie aide pour les gens ».
Chacun peut s'exprimer
Ce jour-là à l’accueil de jour du Secours Catholique, c’est la quatrième émission qui va être enregistrée en plein air : un Open Mic comme on l’appelle. Le principe, laisser les micros allumés et donner la possibilité aux personnes de venir s’exprimer sur le sujet de leur choix. Bien qu’enjouée, Zouzou est fébrile, « il n’y a pas tant de monde que ça, j’ai peur qu’ils ne soient pas motivés à l’idée de venir parler au micro ». Pourtant, en quelques minutes seulement, la table de radio suscite la curiosité de quelques hommes. Zouzou alpague l’un d’eux, « allez Momo, tu ne veux pas venir parler ? ». Le garçon est timide, il rit en déclinant poliment. Alors quand Tijani arrive et s’assied en prenant le micro en main, Zouzou jubile. Tout de suite, la conversation s’engage, en arabe. Zouzou est bilingue, elle prend une place autour de la table. La discussion porte sur les pays traversés, la mer, la Libye. Un sujet pas vraiment léger, mais les rires fusent, les taquineries aussi, selon que l’on vienne du Soudan ou de Syrie. La session est lancée.
« Cette radio et cet open mic ont deux objectifs principaux qui sont remplis la majeure partie du temps : informer les exilés et leur donner la parole pour faire entendre leur voix, explique la jeune associative. C’est un véritable espace de liberté et de créativité, j’ai repris ce projet en septembre et c’était ma première expérience en radio ». La table de diffusion est très simple d’utilisation. Conçue et fabriquée par des étudiants en école d’ingénieurs, le code couleur permet à n’importe qui de s’en servir, d’enregistrer et de diffuser.
Aux côtés des bénévoles français, trois personnes sont venues de Brighton au Royaume-Uni. De l’autre côté de la Manche, Kate, Louise et Nick animent « Radio Calais », une webradio qui se penche sur l’exil et l’activisme autour de cette question avec des militants. « Nous sommes venus donner un coup de main au Calais Border Broadcast, surtout sur l’utilisation de logiciels d’enregistrements et de diffusions », entame Nick. « ça permet de continuer, dans notre pays, de parler de cette frontière et de mobiliser les gens sur la manière dont on accueille » précise Louise. Dans les prochaines semaines, le Calais Border Broadcast va continuer à émettre régulièrement et développer ses projets à Calais et autour. Zouzou conclut, « il faut maintenant que plus d’associatifs, de bénévoles et de personnes impliquées à Calais nous rejoignent pour ouvrir de nouvelles émissions ».