Dans un grand camion blanc, Adeline et sa camarade se pressent. Les deux bénévoles sont juste de passage, elles viennent de recevoir un appel de détresse de personnes naufragées qui arrivent trempées sur les plages du littoral. D’ici deux minutes, elles doivent repartir pour leur apporter quelques kits d’urgence. Des vêtements secs, en premier lieu. A quelques dizaines de mètres de là, le Woodyard finit la saison et remballe petit à petit les dernières haches qui ont servi à couper les milliers de bûches que l’association a distribué cet hiver. Dans leur partie du hangar, ce sont surtout des femmes qu’on a vu découper du bois à grands coups de tronçonneuses lors du mois de janvier particulièrement froid.
Lisa est arrivée à Calais depuis Freibourg, en Allemagne. Elle a été orientée vers les associations calaisiennes par un groupe féministe allemand, qu’elle fréquentait. « Une fois dans le hangar des associations, quand j’ai vu les bénévoles de Woodyard, j’ai tout de suite voulu m’engager avec elles. Je sentais qu’à leur côté, je pouvais apprendre et commencer à exercer un travail un peu physique. Beaucoup de ces femmes étaient impressionnantes avec leurs haches, ça m’a donné envie d’essayer ». Investie à l’association durant quelques semaines, elle a souvent entendu les gens de passage être étonnés de sa composition presque exclusivement féminine.
A Human Rights Observers, dont les bénévoles se chargent chaque matin de surveiller le nombre de tentes confisquées et les potentielles violations des droits des personnes en transit à la frontière, les femmes constituent le gros des troupes. Un phénomène peu étonnant dans le domaine du « care ». « C’est systémique et tout à fait similaire au nombre de femmes parmi les infirmières ou les aides-soignantes. Dans le cursus de mes études sur les droits de l’Homme et le droit des étrangers, il y avait une majorité de femmes, alors qu’en droit des affaires, les hommes étaient largement majoritaires », souligne Léa. Et Marine d’ajouter : « Ce sont davantage les mères et les sœurs qui écoutent et consolent que les pères et les frères ». Pour les deux bénévoles, « questionner le bien être des uns et des autres est malheureusement assez féminin. Ce qu’on appelle le self-guarding à Calais, autrement dit le fait de toujours s’interroger sur le ressenti de l’autre, est clairement un champ d’action porté par des femmes dans les associations présentes ici ».
Plus de confidences
Des femmes qui sont pourtant amenées à travailler plus souvent auprès de populations masculines en situation de migration sur le littoral. Marine se remémore certaines discussions sur le terrain : « Il y a beaucoup d’hommes seuls, alors parfois tu as quarante demandes en mariage dans la journée, rit-elle. Une fois que tu les as refusées gentiment, une relation d’écoute et de confiance se met en place ». La bénévole reconnaît, cependant, que c’est un atout parfois car ils se confient plus facilement à elle. « Je me souviens d’un garçon qui avait vécu des expériences traumatiques qui, si elles sont à mille lieues de mes expériences personnelles, présentent des similitudes. Une vraie relation d’empathie s’est mise en place et je pense qu’il s’est senti plus libre de me raconter son histoire ».
Dans le local de jour d’Utopia 56, Tigist fait le même constat. L’étudiante de 22 ans s’est engagée des mois durant dans des associations oeuvrant pour la protection de l’enfance avant d’arriver à Calais où elle accueille les nouveaux arrivants, effectue des maraudes sociales et accompagne les personnes les plus vulnérables. Autour d’elle, « trois ou quatre hommes, pas plus », glisse-t-elle. Calais, avec son nombre important de femmes travailleuses ou bénévoles, ne déroge pas à la règle nationale. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), en 2022, neuf travailleurs sociaux sur dix sont des femmes. Un chiffre impossible à vérifier à Calais, Tigist comme les autres femmes estiment que « ça serait bien qu’un jour, ça ne soit plus le cas ! ».