En cette première semaine de décembre, la WareHouse, hangar où de nombreuses associations de Calais s’organisent et travaillent, le port du masque revient après avoir été délaissé lors de la saison estivale. Garées sur le parking, certaines camionnettes ne démarreront pas aujourd’hui, faute de bénévoles disponibles, et le préfabriqué de Human Rights Observers (HRO) reste vide. En cause ? La multiplication des isolements de cas contacts à la suite de rencontres entre bénévoles positifs et négatifs à la Covid-19. Avec des conséquences immédiates.
L’isolement entraîne, pour HRO, l’arrêt des observations de terrain lors des expulsions matinales des campements ainsi que la suspension de son travail sur les violences policières commises sur le littoral. Emma, l’une des coordinatrices du projet HRO porté par l’Auberge des migrants, ne cache pas sa frustration : « Les violences d’Etat ne s’arrêtent pas quand nous partons. » Avec les bénévoles, le protocole de HRO est très simple : « dès qu’un cas positif est constaté dans notre équipe, la personne est mise directement à l’isolement et les autres se voient dans l’obligation de se faire tester plusieurs fois et, bien entendu, de porter le masque pour continuer d’agir », explique Emma. L’hiver dernier, les équipes de Human Rights Observers avaient également dû s’isoler plusieurs jours, empêchées de documenter les pratiques de l’Etat à la frontière franco-britannique. Les bénévoles s’étaient appuyés sur d’autres associations pour prendre le relais, « mais le savoir-faire n’était pas le même. Les observations avaient donc été un peu moins précises ».
De leur côté, les personnes exilées pâtissaient aussi directement de l’absence des bénévoles souligne Emma. « Les confinements ont également eu un impact sur l'accès aux douches, aux mises à l’abri ou à la récupération de leurs affaires. En l’absence de masques, tout cela leur était refusé. » Autre problème : il devenait complexe d’apporter l’aide humanitaire inconditionnelle et à toute heure : « Quand les expulsions commençaient à six heures nous devions arriver plus tôt, ce qui nous a valu plusieurs amendes de 135 € majorées au bout de la troisième fois ou des menaces de verbalisations », détaille la coordinatrice. « Et les policiers ne considéraient pas notre travail comme humanitaire alors qu’il est primordial. C’est de l’accès au droit, de l’observation du respect des droits humains. »
Le retour des bons réflexes
Alors, face à la recrudescence de l’épidémie, les mauvais souvenirs se réveillent et les bons réflexes se remettent en place. En dix jours, Marguerite, coordinatrice d’Utopia 56 à Calais, en est à son huitième test de dépistage : « Cette semaine, nous n’avons eu que deux bénévoles positifs, mais après ? On croise aussi toujours d’autres associations ou des gens de Calais qui nous appellent dès qu’ils sont positifs. » Chez Utopia, ils isolent leurs bénévoles cas contacts en fonction de la date à laquelle ils l’ont été, « ce qui permet de faire sortir les gens par vagues de leurs quarantaines afin qu’ils retournent sur le terrain ». Lavage des mains, port du masque en permanence dans les locaux ou au domicile, et surtout distanciation sociale : les gestes-barrières sont à nouveau strictement appliqués. Marguerite y veille, instruite de son expérience passée. En décembre 2020, au camping des Palominos où habitaient bon nombre d’associatifs, elle a vécu le branle-bas de combat de la vague de l’hiver. Dix-huit bénévoles de Collective Aid avaient alors été testés positifs et mis à l’isolement pendant plusieurs jours. « Les distributions non alimentaires ont été stoppées. Plus de tentes, plus de duvets, plus d'habits chauds. Cela a compliqué le quotidien des personnes exilées qui n’avaient plus rien. Elles ont vécu plusieurs mois dans leur bulle, sans contact avec les autres associations, sans pouvoir venir dans nos bungalows. Cela a cassé la dynamique de groupe et d’échange, nécessaire à l’action inter-associative », se souvient la coordinatrice. Pendant les confinements successifs, l’association Utopia 56 a été verbalisée près de cent fois pour « non-respect du confinement » ou « non-respect du couvre-feu ».
Garantir le minimum
A Grande-Synthe, la problématique est la même et plusieurs bénévoles ont dû s’isoler ces derniers jours. Anna, la coordinatrice pour cette ville près de Dunkerque, raconte comment l’année passée a été compliquée : « Nous avons subi énormément de contrôles même si nous avons été moins verbalisés que les équipes de Calais. Mais de fait, nous étions aussi beaucoup plus isolés, nous vivions dans une bulle pour nous protéger le plus possible. » Mais en mars, une de leurs bénévoles est testée positive. Tout est remis en question. Les bénévoles testés négatifs de Grande-Synthe vont s’isoler à Calais pour continuer à assurer l’aide d’urgence sur le terrain, et les « positifs », eux, gèrent à distance le téléphone d’urgence : « Nous travaillions à deux de nuit et à deux de jour, vraiment pour garantir le minimum. » Anna raconte également les hospitalisations des personnes exilées positives à la Covid : « Il y a encore un mois, on a eu plusieurs appels pour des cas de Covid. On a rencontré un jeune de 20 ans qui n’arrivait presque plus à respirer. L’hôpital de Dunkerque a heureusement pu les accueillir. » Et de regretter : « Sur les campements, les personnes n’ont jamais eu accès à des tests ou à la vaccination, malgré les demandes récurrentes des associations. Les seules à être testées sont celles qui allaient à l’hôpital. »
L'hiver commence donc à peine, et déjà la peur d’une cinquième vague qui gripperait trop les rouages est dans tous les esprits. Des bénévoles arrivent en renfort dont des associatifs étrangers confrontés à un nouvel écueil : « Contrairement à nous, ils doivent débourser 25 € pour se faire tester, dès lors qu’un cas contact est détecté. Un changement par rapport à 2020 », souligne Anna.