Ce mercredi 4 mai 2022, des trombes d’eau s’abattent sur la rue des Huttes, près d’une zone industrielle en sortie de Calais. Deux camionnettes blanches se garent devant un hangar vide qui accueille les exilés en cas d’activation du plan « grand froid ». Trois personnes en sortent, vêtues de vestes bleues sur lesquelles est inscrit le nom de l’association dont ils font partie : France terre d’asile. Présente dans la région depuis 2012, l’association met un point d’honneur à faire de la protection de l’enfance l’une de ses priorités. Chaque jour, plusieurs de leurs salariés vont sur les différents campements de la ville à la rencontre des personnes en transit à la frontière.
Ce jour-là, Issam et Ammar sont tous deux maraudeurs. L’objectif de leur passage sur les campements est d’expliquer aux mineurs les possibilités qu’ils ont en France. Ces maraudes, en 2021, ont permis de capter 1 752 mineurs en errance. Si tous ne veulent pas rester dans l’Hexagone, France terre d’asile dispose de plusieurs hébergements d’urgence. Dans le centre de Saint-Omer, près de Calais, 19 817 nuitées de mise à l’abri ont été effectuées l’année dernière. « Au moins, à cet endroit, ils peuvent se reposer, prendre une douche, laver leur linge et également avoir un premier accès à leurs droits et aux possibilités qui s’offrent à eux en France », détaille Hélène Bodart, la directrice départementale de France terre d’asile, présente ce jour-là, comme souvent, aux côtés des maraudeurs. En moyenne, les mineurs passent deux jours sur les dispositifs de mise à l’abri. « C’est un travail de confiance qui prend du temps, continue-t-elle. Nous ne sommes pas là pour juger leur projet de partir au Royaume-Uni, seulement pour les aiguiller. »
Des ordonnances de protection
Depuis quelques années, il est de plus en plus difficile pour les mineurs étrangers de rejoindre légalement le Royaume-Uni. Le Brexit a mis un coup d’arrêt à la politique de regroupement familial autrefois en vigueur. Et, fin avril, le gouvernement de Boris Johnson a annoncé un accord entre Londres et Kigali visant à expulser vers le Rwanda toute personne arrivée illégalement sur le territoire britannique. Alors les jeunes doutent et les travailleurs sociaux de France terre d’asile redoublent d’attention pour les orienter.
« Les mises à l’abri, même si elles sont de quelques heures ou d’une nuit, c’est déjà ça de pris, détaille Hélène Bodart, L’année dernière, sur plus de 350 jeunes déclarés mineurs, un peu plus de 200 ont été placés sous ordonnance de protection, c’est-à-dire qu’ils rentrent dans un processus plus long d’installation et d’intégration. » Pour ces jeunes, c’est le début d’un parcours de stabilisation, encadré par l’association. Ils travaillent d’abord sur leur projet, leurs désirs, leur scolarité, avec des éducateurs spécialisés. Ceux-ci leur apprennent également ce que sont les maisons de la solidarité, la CAF… « Des administrations, des juristes travaillent également avec eux sur la régularisation. A 21 ans, ils doivent se gérer tout seuls, et nous voulons leur donner les outils qui leur permettront d’être autonomes », précise la responsable.
Dans les allées creusées à force de marche sur le campement de « Old Lidl », il y a peu de monde ce mercredi. L’accueil de jour du Secours catholique est ouvert, synonyme d’un peu de répit à l’abri de la pluie. Seules quelques âmes veillent autour d’un feu. Issam et Ammar vont à leur rencontre, sourire aux lèvres. Alors qu’une marmite bout au-dessus des braises, on parle différentes langues. Comme d’autres travailleurs de France terre d’asile, les deux maraudeurs sont polyglottes : arabe, espagnol, tigrynia, amharique, pachto, dari… Tous deux ont commencé à travailler ici en 2017, après un parcours qui ressemble à celui de beaucoup de jeunes présents à Calais. « Cela permet de leur montrer qu’une autre voie est possible que celle du passage vers le Royaume-Uni », précise Hélène Bodart.
« Un billet de moins pour les passeurs »
Depuis peu, l’association possède un camping-car. A l’intérieur, un petit salon donne un peu d’intimité aux discussions avec les maraudeurs. « Il est important d’avoir des moments où le regard des adultes n’est pas présent, pour que les jeunes parlent plus librement, car on sait que certains sont sous l’influence des plus vieux », raconte Issam. Concrètement, selon la directrice, « chaque enfant que l’on arrive à stabiliser représente un billet de moins pour les passeurs ».
Sur leur chemin, un groupe les interpelle : « Il faudrait venir passer une nuit avec nous ! », rigole l’un d’eux. Issam sourit, lui demande s’ils ont croisé des bambins ce matin-là. L’autre répond : « Moi, j’ai 16 ans, mais lui, là, il a déjà des enfants.» Lorsque le camping-car est de sortie, des jeux sont organisés autour. « Parfois quand ils dessinent, ils expriment des choses qu’ils ne nous disent pas forcément. Ça aide ensuite à créer du lien avec eux », témoigne Issam.
Avant de se diriger vers l’accueil de jour du Secours catholique, la sonnerie du téléphone d’Issam retentit, « C’est le commissariat d’Arras. » Un jeune vient de s’y présenter et demande à être mis à l’abri. « Dans ces cas là, soit un membre de nos équipes vient le chercher, soit nous envoyons un taxi. »
Où seront-ils demain ?
Une fois arrivés à l’accueil de jour, les maraudeurs reconnaissent certains de « leurs » jeunes. Notamment un trio originaire du Soudan, de 15 ans, 16 ans et 17 ans. « Depuis dix mois environ, ces trois-là viennent souvent se reposer chez nous puis repartent tenter leur chance », explique Ammar. Dix mois, c’est long. Et les jeunes qui tentent le passage vers le Royaume-Uni se passent le mot : la mise à l’abri de Saint-Omer est un endroit calme. Pour Hélène Bodart, « tout est prétexte à les maintenir dans un endroit en sécurité. C’est seulement ainsi qu’on pourra peut-être les intégrer dans un parcours plus stable ».
Demain, ces jeunes seront peut être passés de l’autre côté de la Manche, ou de retour au centre de Saint-Omer. Les maraudeurs de France terre d’asile, eux, seront de retour sur les campements. Avec la même bienveillance.