Dans le quartier de Fort Nieulay, à cheval entre Calais et Coquelles, l’un des campements est pris en étau entre une zone commerciale et un vieux fort-écluse construit par Vauban en 1677. C’est ici que le matin du 11 janvier, les équipes de la Croix Rouge Française sont venues poser leur clinique mobile. Des infirmières bénévoles, une camionnette, une tonnelle et deux tables dressées devant. En fin de matinée, les consultations gratuites des équipes de soin débutent. Il n’y a pas foule ce matin-là alors comme chaque mercredi, la clinique ira dans l’après-midi devant l’accueil de jour du Secours Catholique où près de six cents personnes viennent quotidiennement trouver un peu de chaleur. « Cette clinique mobile a été créée début 2017, après le démantèlement de la grande jungle de Calais », entame Adrien, le chef d’équipe, seul salarié ce jour-là. La clinique vient de Lille où est basée la Croix Rouge Française, « mais nous agissons partout dans les Hauts-de-France où sur le littoral, dès qu’on cible une demande particulière ».
Petit à petit, les bénéficiaires s’asseyent sur les chaises en plastique devant la clinique. Ils sont pour la plupart originaires du Soudan. Ahmad, un jeune Afghan, hésite à passer la porte. Après deux mois d’errance à Calais, ses pieds portent les marques de longues heures de marche pour traverser la ville de campement en campement et de distribution en distribution. Les mains tremblantes, il relève de quelques centimètres son pantalon maculé de boue et retire son pied de sa chaussure. Sans chaussettes, plusieurs ampoules se sont formées et ses genoux sont à vif. Adrien le dit, la majorité des soins sont des soins basiques, « ce sont des soins infirmiers et nous en avons six validés par l’Agence régionale de santé mais nous traitons surtout les douleurs, les fièvres, les mycoses et les problèmes comme la diarrhée ou la gastro ».
Orienter vers la PASS
Habilités à prescrire des médicaments pour des pathologies mineures, la Croix-Rouge a également comme mission de renvoyer les personnes atteintes de pathologies plus sérieuses vers la PASS, la Permanence d’Accès aux soins de la Santé du centre hospitalier de Calais. Un service dirigé par le Docteur El Mouden et ouvert plusieurs jours par semaine, qui permet aux personnes exilées de bénéficier d’une prise en charge hospitalière et d’un suivi pouvant aller jusqu’au dentaire ou à l’optique.
« En majorité, les personnes exilées ne considèrent pas les soins comme une priorité lors de leur transit à la frontière, pour eux l’urgence c’est surtout de se nourrir, de se vêtir, ou de charger leurs téléphones, continue Adrien. Alors pour nous, c’est une mission importante aussi que de les informer sur leurs droits et sur leurs possibilités d’accès aux soins ». Sur les campements, la clinique mobile tente, en lien avec les autres associations, de trouver un équilibre. « On ne peut pas être présents en même temps qu’une distribution d’eau ou de nourriture, sinon les personnes vont devoir faire un choix, et cela, on ne le souhaite pas ».
Peu avant midi, Mohammed monte les quelques marches de la clinique mobile et pousse la porte. Les stores entrouverts zèbrent la pièce de soleil et d’ombre. En gilets rouges floqués du sigle de la Croix Rouge, Lisa et Françoise ferment la porte et le prennent en charge. Leurs gestes sont doux, leurs sourires rassurants. Françoise ironise sur son accent anglais, le jeune garçon rit en écoutant ses conseils. Quelques minutes plus tard, il ressort avec quelques médicaments et une brosse à dents neuve. « Nous n’avons pas de stock de vêtements par exemple, dit Adrien. Mais nous avons quelques paires de chaussettes que l’on ne distribue que pour des raisons sanitaires, en cas d’écorchures ou de mycoses ».
Accès complexe à l'hôpital
En cas de problèmes de santé plus grave, qui nécessitent une prise en charge plus lourde ou un suivi dans la durée, la Croix Rouge Française oriente les personnes exilées vers la Permanence d’accès aux soins de la santé du centre hospitalier de Calais (la PASS). Contactée par les Actualités Sociales Hebdomadaires en vue d’un reportage, la permanence n’a pas donné suite à nos demandes. Mais jusqu’à l’automne, l’association Utopia 56 organisait une fois par semaine une navette pour amener les personnes depuis les campements jusqu’à l’hôpital. « Depuis que les bus sont gratuits en ville et depuis que les campements ont été éclatés en plusieurs endroits de la ville, nous avons dû arrêter », précise Pauline Joyaux, coordinatrice de l’association à Calais, « mais nous continuons, en cas d’urgences et surtout la nuit, à amener les personnes qui le demandent à l’hôpital ».
L’accès aux soins à l’hôpital est complexe selon la bénévole, car les personnes ne sont pas toujours informées de leurs droits, « à la permanence de santé de l’hôpital, il y a cette chance que plusieurs médecins et infirmiers parlent arabe ou pachto, l’une des langues d’Afghanistan, ce qui aide beaucoup lors de l’arrivée des personnes en consultations ». Dans ces cas, la traduction de leurs pathologies et l’explication de leur parcours de soin est facilité.
Cette barrière de la langue est petit à petit prise en charge par l’ensemble du centre hospitalier et Pauline note une amélioration : les compte-rendus délivrés à la sortie des urgences sont maintenant traduits en arabe. Mais lors d’hospitalisations, beaucoup de personnes sont isolées et peu informées de leurs conditions de santé, « je me rappelle un jour être arrivée à l’hôpital pour voir une personne dont on venait d’apprendre l’hospitalisation après un accident, près des camions. Ça faisait dix jours qu’il était là, en soins lourds, et personne n’avait pu lui expliquer ce qui lui arrivait. Aux urgences, le personnel parle très peu anglais et son téléphone s’était cassé lors de l’accident. Quand on vient à l’hôpital, ça permet de casser cet isolement et d’apporter aux personnes ce dont elles peuvent avoir besoin ».
Désormais, Utopia 56 tente d’établir un lien de confiance avec l’hôpital, pour que son personnel n’hésite pas à les appeler en cas de besoin. Mais également pour leur rappeler certaines spécificités, notamment lorsque des mineurs sont hospitalisés, « ils ne maitrisent pas forcément le droit, ça leur est arrivé de vouloir remettre à la rue, dans la nuit, des mineurs qui étaient aux urgences. On leur explique que dans ces situations, ils doivent appeler le département et l’aide sociale à l’enfance et non les associations » précise-t-elle. Depuis quelques semaines, Utopia 56 a commencé à organiser des visites à l’hôpital pour garder le lien avec les personnes isolées dans leurs chambres. Sept personnes qui, deux fois par semaine, viennent veiller à ce que les personnes exilées hospitalisées ne manquent de rien.