La politique d’accueil du jeune enfant regroupe toutes les actions permettant le développement des modes de garde des petits de moins de 3 ans. Pointant du doigt les problèmes principaux de ce système en France, la Cour des comptes a formulé neuf recommandations qui, selon elle, permettraient de développer une offre adaptée aux besoins des enfants.
ASH : Que nous apprend le rapport de la Cour des comptes ?
Anne Raynaud : Le sujet des modes d'accueil dans la petite enfance a principalement été abordé sur son versant économique. Mais il existe aussi des questionnements sur le suivi des congés « parentalité », et sur celui de l'ouverture des places de crèche dans le cadre de la loi service public de la petite enfance, qui doit mettre en œuvre de nouvelles places à partir de janvier 2025.
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Par ailleurs, à mon sens il y a deux problématiques dans la politique actuelle. La première est que l’on ne considère encore ce champ que comme un service public rendu aux adultes, afin qu'ils soient productifs et puissent reprendre le travail. Or je pense qu'il faudrait plutôt voir ce service comme un espace pour accueillir nos enfants et leur permettre de grandir de manière harmonieuse.
La seconde problématique tient à une gestion qui ne répond plus aux enjeux d'aujourd'hui, tant pour les finances que sur les perspectives d'ouvertures de places, que la Cour estime totalement inaccessibles au vu des enjeux.
Le rapport préconise notamment le développement de l'accueil individuel, cela vous paraît-il être une solution viable ?
Mon mode de réflexion est de savoir comment nous, adultes, allons permettre aux enfants, dans la période des « 1 000 premiers jours », d'avoir un environnement qui réponde à leurs besoins fondamentaux. Afin de répondre à cette interrogation, je m'appuie sur la théorie de l'attachement, qui reste mon socle de travail. Mais je m'adosse aussi aux connaissances actualisées du développement de l'enfant et m'inspire également de ce qui est fait dans les autres pays .
Penser l'accueil individuel pourquoi pas : cela a du sens pour un certain nombre d'enfants. Mais l'accueil collectif en a aussi. Finalement, il ne s'agit pas tant de réfléchir au mode d'accueil que de savoir à partir de quand il sera adapté. Parce qu'aujourd'hui, l'accueil collectif reste très précoce pour les enfants de 10 semaines : c'est beaucoup trop tôt par rapport à leurs besoins fondamentaux et particulièrement leur sécurité.
Il est également expliqué qu'il serait plus avantageux de développer la garde parentale, car cela compenserait le manque de professionnels. Cela vous semble-t-il pertinent ?
Complètement. Il y a évidemment des parents pour lesquels ce n’est pas le projet, puisqu'ils veulent reprendre le travail tôt. Mais ce n’est pas la majorité. Si on se concentre sur les besoins fondamentaux de l'enfant, on sait qu’il va construire des liens avec ses figures d'attachement principales pendant la première année de vie. Et durant cette période, il a vraiment besoin de pouvoir compter sur la présence et la disponibilité de ces figures d'attachement. Donc, en tout état de cause, si on veut faire évoluer le service de la petite enfance, il ne faut pas aller vers un dispositif au service des parents mais vers un mode d'accueil respectueux des besoins de l'enfant. Ce qui permet d'imaginer de valoriser la garde parentale.
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Selon moi, il y aurait des avantages à la développer. Parce qu’aujourd'hui, le parent est soumis à ce que j'appelle le « culte de la performance » : il doit être efficace à la maison et au travail. La reprise de l'activité s'effectue aux 2 mois et demi ou 3 mois de l'enfant, ce qui est beaucoup trop tôt. Dès ce stade, le parent doit pouvoir mener de front toutes ses vies, ce qui entraîne une moindre disponibilité psychique et une irritabilité vis-à-vis des demandes des enfants. Cela tend, à mon sens, au développement de facteurs de stress et de burn-out parental. Cela conduit également à plus d'irritabilité avec plus de violence éducative ordinaire dans le quotidien des parents. Donc, leur laisser le temps de s'approprier leur rôle serait, selon moi, gagnant pour tout le monde.
Il s'agirait ainsi de permettre à chacun de pouvoir rester avec son enfant le plus longtemps possible s'il le souhaite, ou de pas rester, dans la mesure où il y aurait des modes d'accueil satisfaisants. Par ailleurs, étant donné la pénurie de professionnels, je pense qu’un pan d'aménagement valorisant le congé parental aurait vraiment du sens face à tous ces enjeux croisés du développement de l'enfant, de la fonction parentale et de la formation des professionnels.
Mais est-ce que cela ne poserait pas des difficultés au regard de la socialisation et de la santé mentale de l’enfant ?
Les études nous montrent qu’un enfant qui a été socialisé avant l'école gagne environ une quinzaine de jours dans les repères qu’il va trouver dans son établissement, mais pas plus. C'est donc une fausse croyance de penser qu’il doit être socialisé aussi rapidement. L'enfant a d'abord besoin de construire des liens solides avec les figures d'attachement et des figures qui prennent soin de lui avant de pouvoir explorer du collectif et la socialisation. Sociabiliser n’est pas sa priorité.
La Cour des comptes va-t-elle assez loin dans ses recommandations ?
Elle a posé des questions qui sont légitimes aujourd'hui et, à mon sens, pas suffisamment abordées, ou en tout cas pas critiquées dans le monde de la petite enfance tel que je le connais. La Cour s’est vraiment interrogée, notamment sur les financements des modes d'accueil collectifs, qui posent problème. Son rapport doit être pris en considération, d'autant qu’il existe tout de même des difficultés économiques dans notre pays et que cette contrainte doit aussi être intégrée. Mais pas au détriment des enfants. J’ai le sentiment qu’avec ce rapport, les mesures économiques sont plutôt en faveur des besoins fondamentaux de l'enfant avec un allongement du congé parental.
>>> Retrouvez ici le rapport complet de la Cour des comptes <<<