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Violences en travail social : Prévenir pour ne pas subir

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Crédit photo AFP
Des incivilités aux agressions verbales ou physiques, la violence des personnes accompagnées déstabilise les professionnels autant qu’elle affecte l’organisation des structures. Interaction entre un aidant, un aidé et son environnement, le phénomène est complexe mais il n’a rien d’une fatalité.

Fin février, un chef de service de l’association Isard-COS, à Pau, était tué à l’arme blanche par un bénéficiaire débouté du droit d’asile. Des faits d’une telle gravité, fort heureusement, sont rarissimes. Le risque zéro n’existe pas. Mais, l’émotion passée, le drame ne doit pas laisser penser qu’il est inévitable, et encore moins qu’il n’arrive qu’aux autres. Surtout, il ne doit pas cacher la forêt d’incivilités et d’agressivités verbales ou physiques que peuvent subir les professionnels. Où commence cette violence ? La question, hors cadre légal, est subjective. La réponse, pour les structures, réside dans la prise en compte du ressenti de la victime. Doit être analysé tout fait vécu comme une violence. Il s’agit alors de lutter contre ses effets indésirables. Car la violence mine les professionnels autant qu’elle désorganise les structures, au risque même d’affecter la qualité de l’accompagnement des personnes. A ce titre, l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS) invite, dans son rapport annuel paru le 16 mars, à ne pas négliger les incivilités : « L’exposition aux incivilités produit les mêmes effets délétères que la violence – stress chronique, mal-être, perte de confiance, démobilisation des équipes, dégradation de l’ambiance générale, dysfonctionnements, absentéisme. Par répercussion, elle porte également atteinte à la qualité des soins dispensés. »

Selon l’organisme public qui recueille les signalements des seuls milieux sanitaires et médico-sociaux, en 2019, les trois structures les plus touchées étaient la psychiatrie (18 %), les urgences (16 %) et les Ehpad et les unités de soins de longue durée (13 %). Suivent, loin derrière, avec des taux inférieurs à 1 %, les foyers pour enfants et adolescents, les établissements pour personnes en situation de polyhandicap ou encore les centres médico-psychologiques. Mais les chiffres reflètent de manière très imparfaite la réalité. D’abord, parce que les effectifs d’un hôpital et d’un foyer de la protection de l’enfance n’ont rien de comparable. Ensuite, parce que, comme le regrette l’ONVS, « les établissements médico-sociaux déclarent très peu de signalements ». Pourtant, « les liens développés et visites effectuées montrent que les violences sont autant présentes en ces structures que dans les établissements de santé ». Le secteur social n’échappe pas à la règle. Et pour cause : les professionnels considèrent facilement que la violence est une composante du métier. Ne pas savoir la gérer pourrait même être perçu comme le signe d’une incompétence. Une idée que récuse Pascal Champvert, président de l’AD-PA (Association des directeurs au service des personnes âgées) : « Les salariés n’ont pas à culpabiliser de la violence de l’autre. C’est au directeur de ne pas les laisser seuls. Une institution qui garde pour elle les faits de violence, c’est un dysfonctionnement qui peut conduire le salarié à devenir violent à son tour. Et donc maltraitant. »

Consensus implicite

Cette sous-estimation des faits est aussi la résultante de ce que Jean-François Croissant, directeur pédagogique de l’organisme breton de formation Pégase Processus, nomme le « consensus implicite rigide ». « L’appréciation de la violence évolue en fonction de ce consensus fabriqué par des millénaires d’histoire : certaines violences sont acceptées, d’autres non. La conséquence logique est d’attendre un événement majeur avant de s’en préoccuper. Ce même consensus conduit à exporter la responsabilité des violences sur des facteurs qu’on ne contrôle pas : l’état de la société, le manque de considération des familles pour le travail des personnels, etc. De fait, la plupart des institutions ne sont pas organisées pour les prévenir. » Or, ajoute Jean-François Croissant, « les organisations doivent prendre en considération l’observation des violences et l’évolution des réponses. Sinon, celles-ci reposent sur la conscience individuelle et les plus aguerris s’épuisent. » A charge, donc, pour chaque structure de réfléchir de manière collective à la problématique. « Un des grands principes consiste à réunir les différents acteurs de la structure – résidents, personnels, dirigeants, tutelles – dans une instance participative. Et à définir ce que l’on considère être une violence, phénomène par nature lié à nos émotions et à nos interactions. » Alain Salque, référent soins psychiques et handicap à l’association Aurore, invite à distinguer les intentions derrière l’acte. S’agit-il d’une pulsion de vie avec une signification de communication ou d’une volonté de mal agir dirigée contre les personnes ? « La réponse à apporter ne sera pas la même. Comme elle ne sera pas la même avec des personnes atteintes de troubles du comportement », précise-t-il.

Les violences prennent différentes formes selon les publics accueillis. Mélodie Sirot est conseillère en économie sociale et familiale au Samsah (service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés) géré par l’Apajh (Association pour adultes et jeunes handicapés) à Privas (Ardèche). Elle intervient souvent seule au domicile de personnes diagnostiquées schizophrènes ou bipolaires. Avec une pointe d’inquiétude liée à une petite insécurité. « Comme on comprend d’où vient l’agressivité, on parvient à la gérer. Très souvent, les personnes schizophrènes s’enferment chez elles pour se sentir en sécurité. Mais l’une d’elles le fait pour déstabiliser. Il faut le savoir et ne pas l’accepter. » Aux analyses de pratiques professionnelles s’ajoutent des temps de retours cliniques qui permettent d’évoquer les situations des personnes accompagnées. Et, surtout, de la formation. « On questionne sa propre agressivité qui peut engendrer celle de l’usager, on étudie les maladies mentales pour s’y adapter, explique Lionel Collart, formateur pour l’Apajh. Il s’agit de réinterroger les pratiques des professionnels, mais aussi l’organisation de travail. » Structure de base de l’accompagnement, la formation, notamment à la communication non violente, s’impose dans tous les secteurs. Elle est la clé d’une démarche de prévention.

Désignés responsables

Ainsi les troubles du comportement sont-ils une des premières causes de violence, pas forcément de signalement. L’association Aurore recense moins d’événements indésirables dans ses structures de soins qu’ailleurs. « Les professionnels sont formés à repérer les moments de crise et à les affronter », justifie la directrice générale adjointe Armelle de Guibert. Même chose dans les Caarud, établissements destinés aux usagers de drogues : « Nous avons très peu d’absentéisme dans ces structures, souvent portées par un engagement militant des professionnels, qui connaissent les effets des substances. » L’an dernier, parmi ses 2 200 salariés, Aurore a recensé 33 faits de violences, dont la moitié à l’encontre de professionnels. La plupart se sont produits dans les structures qui offrent les taux d’encadrement les plus faibles, en priorité les centres d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile. A chaque fois pour des raisons exogènes. « Lorsque les personnes sont déboutées du droit d’asile, que le contexte géopolitique se tend ou que les règles du jeu changent, nous faisons face à des accès de violence. Même si nous n’adhérons pas, nous prenons à la place de l’Etat », constate Armelle de Guibert, qui évoque la séquestration d’un chef de service, l’an dernier, après la suppression de la prise en charge des repas. Ces problématiques ont été discutées au sein de « groupes métiers » qui réunissent chaque mois les responsables de structures par secteur. « Nous avons retravaillé la manière d’annoncer, en expliquant qu’il ne s’agit pas de notre choix mais de celui de l’Etat, poursuit Armelle de Guibert. Une vidéo traduite dans toutes les langues explique désormais les règles pour tout nouvel accueilli. » Ce même groupe métiers a permis de dénouer les fortes tensions suscitées après l’affaire Samuel Paty. « On a sollicité très rapidement le rapporteur général de la laïcité pour mettre en place des ateliers et déconstruire ce que les demandeurs d’asile pouvaient entendre, notamment dans les médias internationaux. »

L’incompréhension, vecteur de violences

Dans les structures liées aux situations de grande exclusion, le sentiment de frustration des bénéficiaires constitue l’un des ressorts récurrents de l’agressivité. « Mais quand on adapte l’accueil aux personnes, obligation légale de la loi de 2002, on minimise cette violence », constate Maira Landulpho, responsable d’un Caarud à l’association lyonnaise Oppelia Aria. En cas de débordement, elle sait déployer des stratégies pour montrer à la personne qu’elle s’énerve, lui faire comprendre le cadre de l’accueil. Elle n’hésite pas non plus à appeler la police les rares fois où la sécurité est menacée. Pas de tabou non plus à l’association Aurore, qui incite à porter plainte. « Ce n’est pas parce qu’on est usager de structures sociales qu’on est en dehors des lois. Il ne faut pas créer de zone de non-droit parti­culière », estime Armelle de Guibert.

Pascal Champvert, à l’AD-PA, partage cet avis. Mais il n’oublie pas que la violence peut être celle de l’institution, du défaut de prise en charge lié, par exemple, au manque de personnels dans les établissements et à domicile. « Pour agir, il faut respecter la parole de l’âgé. Des personnes peuvent être agressives parce que les personnels n’ont pas compris leur demande. D’où l’importance de les former sans cesse. » A l’ADMR, réseau national de services à la personne, ces formations s’accompagnent d’un référentiel qui récapitule les bonnes pratiques. Le réseau finance l’accès à une plateforme, Proconsult, pour ceux qui souhaitent bénéficier d’une écoute anonyme par des psychologues. Et les salariés sont encouragés à signaler tout problème. « On échange avec la responsable de secteur et on fait le point avec la famille, explique Audrey Lemoine, chargée des ressources humaines de l’ADMR. On met en place des groupes de parole animés par des psychologues, des référents prévention ou de l’équipe RH pour apporter des réponses aux situations rencontrées sur le terrain. »

Dans le secteur de la protection de l’enfance, la violence a des origines bien différentes. Et sa gestion l’est tout autant. « Beaucoup de jeunes reproduisent les violences qu’ils ont connues dans la sphère familiale, qu’elle soit physique ou psychologique. Certains éprouvent une défiance envers l’adulte, qui représente l’autorité tout en étant dépositaire de l’histoire familiale. D’autres, de jeunes ados, adoptent des comportements délinquants, prenant des postures viriles pour s’affirmer face à l’adulte », détaille Arnaud Beurier, chef de service d’une maison d’enfants de la Fondation Opej à Saint-Ouen-l’Aumône (Val-d’Oise). Dans ce secteur, entendre la détresse psychologique des jeunes et nouer une relation de confiance sont au cœur du travail des éducateurs. « Lorsque des jeunes sont en situation de repli, il faut savoir s’accorder du temps et faire comprendre avec bienveillance qu’on en reparlera plus tard. » Là encore, le travail d’équipe prime, pour passer le relais en cas de difficulté, mais aussi pour échanger, sans cesse. En plus des temps informels et des analyses de pratiques, des réunions mobilisent chaque début de semaine les professionnels autour de la situation des jeunes. Et la structure travaille, sans utopie, à créer les conditions de leur bien-être. « Le projet individuel de chaque enfant s’articule aux projets de groupe qui vont permettre de fédérer. Dans cet esprit, on veille à faire participer les jeunes au fonctionnement de la structure », explique Arnaud Beurier. Ici comme ailleurs, promouvoir le respect et l’écoute active contribue à faire reculer la violence, souligne Jean-François Croissant, à Pégase Processus : « Un établissement québécois, chaque soir, offre la possibilité aux jeunes de raconter leur journée. Si l’on prend en considération la parole individuellement et collectivement de manière répétée, on crée les conditions d’une bientraitance. »

Au 115, gérer l’agressivité quotidienne

« Aux yeux des usagers, ils portent la responsabilité du refus d’hébergement. » A Clermont-Ferrand, les écoutants de la plateforme 115 gérée par l’association Anef 63 sont en première ligne des agressivités quotidiennes des usagers. Agents administratifs, ils sont moins armés que les travailleurs sociaux du service Urgence. Lorsque les appels et les menaces deviennent récurrents, Maryline Bertrand-Calcato, cheffe du service intégré de l’accueil et de l’orientation (SIAO), prend le relais pour désamorcer les conflits. « Je donne parfois rendez-vous au service Urgence, sans dire que le 115, qui doit rester anonyme, s’y trouve. Je préviens mes collègues, en demandant à l’un d’entre eux de suivre l’échange depuis la fenêtre. Suivant le degré de tension, je reçois dedans ou dehors. Dedans, ils ont un pouvoir. Dehors, je peux décider de rentrer. On est davantage sur un pied d’égalité : ils ne peuvent pas prendre le pas sur moi. Le fait d’être une femme joue dans les rapports de violence. Un homme peut me prendre de haut mais il ne passera pas à l’acte. »

Une réflexion sur la formation

L’Union nationale des acteurs de formation et de recherche en intervention sociale (Unaforis), planche sur la mise en place d’une offre de formation continue sur les problématiques de violence dans le travail social, et particulièrement dans les domaines de la protection de l’enfance, du handicap et de la vieillesse. « Nous souhaitons replacer cette question dans le cadre des évolutions sociétales et historiques pour permettre de mieux les comprendre et de les gérer, explique Anne Hostalier, présidente de la commission « formation » de l’Unaforis. Dédiée aux travailleurs sociaux comme à leur direction, la formation vise autant à favoriser les interventions des professionnels qu’à renforcer le cadrage institutionnel des établissements. » Elle pourrait voir le jour dans les mois à venir, indique-t-on.

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