Après deux mois de débats intenses, le Ségur de la santé s’est conclu l’été dernier sur une note positive… du moins pour les personnels des établissements de la fonction publique hospitalière et des Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) publics et privés étant rattachés à un hôpital qui ont obtenu une revalorisation salariale record de 183 € net par mois. Et personne, sur le coup, pour remettre en cause cette décision. « C’était bien sûr une excellente nouvelle et nous l’avons accueillie avec une énorme satisfaction dans nos établissements et comme le signe d’une reconnaissance de nos métiers, rembobine Jean-Pierre Riso, président de la Fnadepa (Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées). Très vite, cependant, nous avons regretté que ces accords ne soient pas étendus aux autres structures que nous représentons, notamment celles du privé. »
Les accords initiaux du Ségur poursuivaient un double objectif. D’abord tenter de répondre à la crise structurelle profonde que traverse le système de santé français, dont témoignent le délitement des hôpitaux, les départs massifs des soignants, les difficultés de recrutement dans les formations, la crise dans les Ehpad. Ils ont pour cela débloqué 8,2 milliards d’euros par an pour la revalorisation des professionnels de santé. Second souhait : renforcer l’attractivité de l’hôpital public. Mais ces accords ont aussi été le révélateur d’importantes disparités entre les secteurs du sanitaire, du social et du médico-social. « La logique gouvernementale hospitalo-centrée, nous la partagions, car l’urgence absolue était là. Ce qui nous heurte, en revanche, c’est l’exclusion du social et du médico-social alors que notre secteur s’est autant investi que les soignants du public », s’emporte Jean-Claude Stutz, conseiller technique national de l’UNSA (Union nationale des syndicats autonomes) Santé et sociaux. Une focale sanitaire, voire hospitalo-centrée que dénonce également Antoine Perrin, directeur général de la Fehap (Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs) : « Nous nous réjouissons des valorisations dont nous avons pu bénéficier, même si, dès le début des négociations, seuls les représentants du public ont été conviés. Ce n’est qu’après leur aboutissement que nous avons été “informés” de ce qui nous revenait. Nous constatons que le gouvernement privilégie l’hôpital public depuis quelques années en lui accordant un traitement différent. Le gouvernement s’est éloigné des bonnes intentions inscrites dans la stratégie Ma santé 2022, annoncée en septembre 2018 par le président de la République, qui redonnait la priorité aux soins de proximité. »
« Récolter les miettes »
L’acte 2 du Ségur, qui s’est ouvert en janvier 2021, lors du lancement de la mission confiée à l’ancien directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine, Michel Laforcade, offrait au gouvernement l’occasion de rectifier le tir. L’objectif affiché ? Mettre en œuvre rapidement un certain nombre de propositions des rapports de Dominique Libault et Myriam El Khomri(1) en recentrant les débats sur l’attractivité des métiers de l’autonomie. De quoi ouvrir une nouvelle brèche pour satisfaire les oubliés des accords initiaux dans leur demande d’extension des mesures à l’ensemble des acteurs du secteur médico-social ! Une occasion manquée. Certes, la signature des accords de méthode ce printemps va permettre d’accorder des augmentations de revenus à tous les métiers du soin, ainsi qu’à quelques professions du handicap. Mais les éducateurs, moniteurs et autres acteurs de l’accompagnement se retrouvent une nouvelle fois écartés. Ce qui enrage les organisations syndicales. « Toutes ces annonces, délivrées au compte-gouttes, ressemblent à un emplâtre sur une jambe de bois. On ne fait que récolter les miettes de ce que le gouvernement a donné au sanitaire. On considère peut-être que nos métiers sont des métiers d’appoint ? », ironise Jean-Marc Durin, président de l’Uniss (Union intersyndicale des secteurs sanitaires et sociaux).
Sur le terrain, ces inégalités entre secteurs, métiers et dates de mise en œuvre n’augurent rien de bon. Et, pour les gestionnaires des associations, établissements et services soumis à la double tarification Etat-conseil départemental, l’assurance d’aller droit vers des situations vécues comme une injustice pour les personnels qui n’auront pas droit à la revalorisation de leur salaire. « Dans ma région, par exemple, il y a au moins trois Ehpad qui ont mis en place un dispositif expérimental d’accueil de personnes âgées en situation de handicap. Or, sous prétexte que ce dernier est financé par le département, les salariés n’ont le droit à rien, alors que leurs collègues soignants de l’Ehpad, qu’ils croisent tous les jours dans les couloirs, ont été récompensés. Imaginez la qualité du dialogue social après cela… C’est complètement fou ! », s’insurge le président de la Fnadepa, très inquiet du « silence assourdissant des conseils départementaux ». Seul remède envisagé pour restaurer l’équité : une revalorisation salariale universelle, sans condition de statut public ou privé, ni de nature de financement ou de type de structure dans laquelle le professionnel exerce.
D’une pierre deux coups
Sur le volet de l’attractivité, là encore, seules quelques mesures sont jugées satisfaisantes, comme la très attendue mise en œuvre d’une « offre de prise en charge intégrée ville-hôpital-médico-social » pour les personnes âgées, via notamment la signature d’une « convention d’action » entre chaque établissement social et médico-social et son centre hospitalier de référence. Autres dispositions saluées : un renforcement de l’« aller vers » avec des équipes mobiles pluridisciplinaires et l’hospitalisation à domicile, la création d’un volet social du dossier médical partagé pour les personnes en situation de handicap, la modernisation des outils numériques dans le secteur médico-social grâce à un investissement de 600 millions d’euros sur cinq ans ou le renforcement du rôle des ARS.
« Il faudrait surtout une réforme systémique complète, indique Jean-Marc Durin. Parce que soit on reste dans une politique décentralisée telle qu’elle existe aujourd’hui, soit on se met autour de la table et on mène une politique globale. Concernant les ARS, cependant, nous sommes favorables, à l’instar du gouvernement, à un pilotage par les agences de santé, qui ont l’avantage de maîtriser aussi bien le sanitaire que le médico-social. A condition toutefois que les politiques nationales soient appliquées et applicables ! » Et de prévenir que si, au niveau du financement, « la décentralisation persiste, le risque est que nous n’ayons que des réponses à des problèmes ponctuels avec une vision court-termiste. » Avis partagé par l’Uniopss (union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux) qui, dans un communiqué publié l’été dernier affiche « le même souhait de proximité, d’implication et de coordination des institutions » en s’appuyant sur les partenariats inédits construits pendant la période de crise sanitaire. Ce qui implique, estime Isabelle Léomant, conseillère technique « accompagnements, acteurs et parcours », de « sortir de la problématique des cloisonnements des politiques sociales pour accompagner, sans rupture, toute personne, que ce soit entre l’hôpital, l’ambulatoire, les établissements sociaux et médico-sociaux et le domicile ». Et celle-ci de marteler : « Il s’agit de reconnaître l’importance de tous les professionnels impliqués dans le parcours des personnes, pour lutter contre la sinistralité de ces métiers, pour permettre plus de prévention des risques psycho-sociaux et accompagner les associations, qui ont aussi œuvré en première ligne durant la pandémie, dans des démarches de qualité au travail », tout en souhaitant que la conférence sociale que le gouvernement s’est engagé à tenir d’ici la fin de l’année permettra de nourrir les réflexions en ce sens.