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Travail social : la qualité de vie au travail, un enjeu vital

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Young co-workers team talking during startup - Happy people plan

Photo d'illustration.

Crédit photo DisobeyArt - stock.adobe.com
Avec des indicateurs sociaux au rouge, le secteur social et médico-social va devoir rechercher un nouveau souffle en s’engageant dans des démarches d’amélioration de la qualité de vie au travail. Il est urgent d’agir, à l’heure où la gestion de la crise sanitaire réaffirme les enjeux de la santé des salariés.

 

Les salariés heureux sont deux fois moins malades, six fois moins absents, neuf fois plus loyaux, 31 % plus productifs et 55 % plus créatifs… C’est ce que révèle une étude menée conjointement par l’université de Harvard et le Massachusetts Institute of Technology (MIT) en 2018. Dans le secteur social et médico-social, l’évolution défavorable de certains indicateurs de ressources humaines et de santé comme l’augmentation de l’absentéisme et du taux de sinistralité (accidents du travail, risques psychosociaux, troubles musculo-squelettiques…), du turn-over, du taux d’inaptitude professionnelle élevé, d’une part, et également les problèmes d’attractivité et de recrutement rendent indispensable une meilleure prise en compte de la qualité de vie au travail (QVT) dans les établissements et services.

Le chantier est d’autant plus urgent que le mal-être au travail représente un coût important pour les organisations. D’après la dernière étude du cabinet Mozart Consulting et du Groupe Apicil mesurant l’indice de bien-être au travail (Ibet), publiée le 16 octobre, le coût moyen du désengagement et de la non-disponibilité s’élève à 14 310 € par an et par salarié. « Un salarié peut être très compétent, cependant, s’il n’est pas en bonne santé ou s’il n’est pas satisfait de ses conditions de travail, il ne se mobilisera pas dans le projet de l’entreprise », souligne Catherine d’Aléo, directrice du développement de la performance sociale du Groupe Apicil. « Sur ces 14 310 €, 63 % (soit 9 010 €) sont des coûts maîtrisables pour atteindre le niveau haut de “bonne pratique” de l’Ibet (0,90) des entreprises qui décident d’agir sur la santé et la qualité de vie au travail », précise l’étude. Comme dans les éditions précédentes de cette étude, les services à la personne et le secteur médico-social affichent un Ibet très faible, soit un niveau d’engagement des salariés qualifié de « Alerte ».

L’Accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 définit la QVT comme : « Un sentiment de bien-être au travail perçu collectivement et individuellement qui englobe l’ambiance, la culture de l’entreprise, l’intérêt du travail, les conditions de travail, le sentiment d’implication, le degré d’autonomie et de responsabilisation, l’égalité, un droit à l’erreur accordé à chacun, une reconnaissance et une valorisation du travail effectué. » Par ailleurs, la qualité de vie au travail a intégré les dispositions du code du travail avec la loi « Rebsamen » du 17 août 2015 qui en fait un sujet de négociation obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés.

 

Une spirale vertueuse

En 2018, une stratégie nationale a été impulsée afin de favoriser la qualité de vie au travail en établissement médico-social avec une enveloppe de 16 millions d’euros. Un dispositif porté par la direction générale de la cohésion sociale est destiné à favoriser ce sujet dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les structures pour personnes handicapées.

Une instruction demande ainsi aux agences régionales de santé (ARS) de veiller à ce que les gestionnaires d’établissements considèrent la qualité de vie au travail « comme un facteur clé d’amélioration de la performance et de la qualité de l’accompagnement ». Dans le cadre des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, les structures doivent être en mesure de présenter une stratégie globale en matière de QVT. D’après les observations de l’agence régionale pour l’amélioration des conditions de travail (Aract) Auvergne-Rhône-Alpes, améliorer le travail et permettre aux salariés d’être force de proposition produit des effets bénéfiques pour eux-mêmes mais aussi pour les résidents et les établissements. « La QVT, c’est faire du bon travail dans de bonnes conditions. Ce n’est pas une norme, c’est une perception, un ressenti des salariés. Ce ressenti se joue dans le contenu du travail, dans les conditions de travail, et les capacités à s’exprimer sur ce travail, explique Philippe Contassot, chargé de mission à l’Aract Occitanie. Et d’ajouter : « La QVT est une invitation à une spirale vertueuse, à prendre en compte le vécu, les caractéristiques du travail des salariés, des équipes pour contribuer à l’amélioration du travail et du service rendu aux usagers. »

En 2017, la Haute Autorité de santé (HAS) a considéré que « la clé de voûte de la qualité de vie au travail réside dans le pouvoir d’agir sur son travail : elle place le travail, son organisation, sa transformation au centre du dialogue professionnel au sein des services et du dialogue social au sein des instances représentatives du personnel »(1). Jean-Yves Bonnefond, docteur en psychologie du travail, chercheur et enseignant au Centre de recherche sur le travail et le développement du CNAM, rappelle qu’une enquête de la Dares de 2017 a établi un lien entre le risque dépressif des salariés et leur rapport à la contribution, aux décisions sur leur travail(2). « Quand on ne peut pas peser un peu dans les décisions qui concerne notre travail, notre santé mentale est exposée. C’est pour cela que la qualité de vie au travail est un véritable enjeu pour les organisations, car c’est à travers elle que se jouent les possibilités et les impossibilités de se sentir efficace, créatif, individuellement et collectivement. […] C’est à travers cette qualité du travail que l’on va pouvoir ou pas se reconnaître dans son travail », explique-t-il.

Selon l’édition 2020 du baromètre national évaluant la qualité de vie au travail dans l’économie sociale et solidaire de Chorum, publiée en mai dernier, le ressenti global sur la qualité de vie au travail s’améliore légèrement chez les salariés alors qu’il se détériore chez les dirigeants. Principalement du fait des changements d’organisation (24 %), de la dégradation des relations avec les pouvoirs publics et les financeurs (56 %) et de la baisse des moyens humains et financiers (53 %). Du côté des salariés, les changements d’organisation mal expliqués sont le facteur majeur de dégradation de la QVT. En revanche, 65 % des personnes interrogées estiment que les temps d’échanges sur le travail (réunions, entretiens avec la hiérarchie, analyse de la pratique…) permettent d’améliorer la qualité de vie au travail. Ce qu’a également mis en évidence Myriam El Khomri dans son rapport sur la revalorisation des métiers du grand âge et de l’autonomie d’octobre 2019 : « L’absence ou l’insuffisance de ces temps collectifs aboutit à placer ces professionnels dans un contexte de travail exclusivement tourné vers l’accomplissement en série de tâches répétitives, dans des délais contraints. Cette situation est source de démotivation et d’épuisement professionnel. »

 

Une amélioration de la performance

Quels les liens peuvent être établis entre la QVT et la qualité des soins et des accompagnements ? Un des quatre groupes de travail de l’Observatoire national de la qualité de vie au travail des professionnels de santé et du médico-social a rendu ses conclusions sur cette problématique en mai dernier. « Quand les professionnels vont bien, les résidents vont mieux. Si les résidents vont mieux, c’est valorisant pour les professionnels qui, du coup, se portent mieux également », jugent Sophie d’Astier de la Vigerie et Sébastien Rétif, cadres de santé, pour qui la QVT est « un cercle vertueux ». Pour preuve, selon eux, le programme « opTEAMisme » mis en œuvre dans une unité de 60 lits en unité de soins de longue durée-Ehpad au sein du centre hospitalier de Châteaubriant-Nozay-Pouancé. Ce programme « à l’initiative des cadres de proximité en collaboration avec l’équipe » agit sur cinq leviers de la qualité de vie au travail : santé-bien-être-sécurité ; nouvelles pratiques managériales ; reconnaissance de la performance au travail ; attention portée à l’environnement professionnel ; perspectives d’avenir. Les résultats sont éloquents : le taux d’absentéisme est passé de 33 % à 5 %. Stéphane Rétif liste d’autres conséquences positives : « Une attractivité de l’unité (candidatures spontanées, souhaits de rester…), une majoration de l’implication des agents dans la dynamique de changement, une plus forte capacité de l’équipe à questionner ses pratiques et à intégrer la dimension éthique, une nette amélioration des liens équipe-manager, et une réappropriation de la notion de sens au travail et de la notion d’équipe. » En ce qui concerne les résidents, l’établissement affiche, entre autres, une diminution de la consommation de neuroleptiques, de somnifères, du nombre de prescriptions de contention physique, des troubles du comportement et une amélioration de la qualité de la relation personnel/résidents. De son côté, Pascal Segault, directeur de l’Ehpad et du Ssiad L’Ostal du Lac, au Crès près de Montpellier, a lui aussi engagé une politique volontaire d’amélioration des conditions de travail avec le soutien de l’ARS, en impliquant les équipes et le comité social et économique. L’une des initiatives a consisté en un « passeport santé et bien-être au travail » qui donne accès aux salariés à des séances de réflexologie, des ateliers de gestion du stress, des séances d’ostéopathie, des soins énergétiques. Résultats : une chute impressionnante, entre 2015 et 2020, du nombre d’arrêts maladie inférieurs à sept jours, du turn-over, et des accidents du travail. Dans le Grand Est, 23 Ehpad se sont engagés, via un appel à candidature ARS/Aract dans une réflexion sur la QVT. « Ces expérimentations ont permis de confirmer que les démarches QVT au sein des Ehpad offrent de réelles perspectives pour améliorer les conditions de travail des personnels, la qualité des soins et les performances des établissements », se satisfait l’ARS. Au niveau national, ce sont 306 établissements médico-sociaux (champs du grand âge et du handicap) et près de 50 chargés de mission du réseau Anact-Aract qui sont mobilisés. Un virage qui s’amorce peu à peu et qui devra prendre en compte l’impact de la crise sanitaire de la Covid-19.

 

Notes

(1) « La qualité de vie au travail au service de la qualité des soins. Du constat à la mise en œuvre dans les établissements sanitaires, médico-sociaux et sociaux » – HAS, septembre 2017.

(2) « Quelles sont les évolutions récentes des conditions de travail et des risques psychosociaux ? », Dares Analyses, n° 082, déc. 2017

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