C’est un nouveau panorama d’une France en voie de décrochage économique, social et familial qui vient de paraître. Deux ans après une précédente étude qui faisait le point sur l’évolution des anciens « travailleurs de la deuxième ligne » identifiés lors de la pandémie de Covid-19, la fondation Travailler autrement, l’institut Diot-Siaci et le cabinet de conseil en impact social Temps commun dressent, à partir d’une enquête réalisée par l’institut de sondages Occurrence, un portrait-robot réactualisé des « Invisibles ». Autrement dit, de ces 11 millions de travailleurs évoluant dans un environnement personnel et professionnel marqué par des contraintes multiples.
Contraintes de temps, du fait des horaires décalés ou hachés ; contraintes de pénibilité entraînant une vie professionnelle difficile ; contraintes de précarité dues à des rémunérations inférieures à la moyenne ; contraintes familiales dans des foyers plus touchés qu’ailleurs par la monoparentalité ; contraintes de territorialité pour des populations au lieu de résidence toujours plus éloigné du lieu de travail, et même contraintes d’utilité pour des professions pas toujours reconnues à leur juste valeur.
Près de 5 millions de personnes concernées
L’étude a identifié trois populations répondant à ces critères d’« invisibilité ». Les « nouvelles populations ouvrières » où l’on retrouve la grande masse des ouvriers et petits employés du secteur privé (caristes, livreurs, etc.). Les « personnes isolées et fragilisées » regroupant intermittents du spectacle, vendeurs, agriculteurs ou femmes de ménage et « les personnes du soin, du lien et de l’éducation », parmi lesquelles on compte infirmières, aides à domicile, professionnelles de santé (hors cadres) et autres professions relevant de l’enseignement et de l’éducation. Un groupe hétérogène d'environ 4,98 millions de personnes en France, soit 17,8 % de la population active totale.
« Pas idyllique, mais pas au bord du goufffre »
Un groupe de personnes qui compte une large majorité de femmes (56 %). Selon les critères de l’Insee, elles se classent plutôt dans la catégorie des « CSP » (employées et classes moyennes inférieures). Elles présentent la particularité d’être un peu plus diplômées que les membres des autres catégories (60 % d’entre elles ont un niveau supérieur au Bac, 41 % Bac +2 ou +3, 17 % Bac +4 ou +5) et un peu mieux rémunérées (1 970 € net mensuels en moyenne). Elles gagnent ainsi 2 % de plus que la moyenne des « invisibles », mais 25 % de moins que les autres actifs. Le revenu de leur foyer est souvent plus élevé que celui des autres « invisibles », ce qui oblige à moins d’arbitrages et de sacrifices mais reste une source de frustration (à 53 %).
Conséquence : si elles sont contraintes d’utiliser leur véhicule personnel pour se rendre sur leur lieu de travail, le fait de faire le plein ne représente pas une ponction trop importante dans leur budget. « Ce groupe a une vie moins contrainte que les autres invisibles : pas de soucis de crédits, pas de pertes de revenus, elles ont pris des vacances mais ne réussissent pas à économiser malgré des augmentations salariales. Leur situation n’est pas idyllique, mais la majorité d’entre elles ne sont pas constamment au bord du gouffre », résume l’enquête.
60 % travaillent en horaires irréguliers
Pour cette catégorie, la pénibilité au travail renvoie plutôt « à la charge mentale et émotionnelle inhérente à leurs métiers ». C’est ce que ressent la moitié d’entre elles, contre 43 % des autres « invisibles » et 47 % du reste de la population active. Mais ces femmes parviennent à s’accorder des moments de décompression malgré tout : 69 % ont pu partir en week-end ou en vacances au cours des 12 derniers mois et elles sont aussi moins isolées que les autres. D’ailleurs, leur rythme est centré autour de la famille : le quart de leurs absences au travail se justifie par la garde d’enfant. Néanmoins, elles font partie de celles qui subissent le plus une vie aux horaires décalés. « Plus du quart d’entre elles travaillent à temps partiel (CDD ou une autre forme de contrat). Plus de la moitié d’entre elles travaillent les jours fériés ou le weekend », calcule l’étude. Et 60 % travaillent en horaires irréguliers (un peu moins que les autres invisibles).
Elles n’en gardent pas moins un fort sentiment d’utilité et, pour l’essentiel d’entre elles, ont choisi le métier qu’elles exercent. 87 % disent prendre du plaisir à leur métier et 84 % en sont même fières. Toutefois, elles indiquent souffrir davantage que d’autres catégories d’un manque de reconnaissance pour les efforts effectués.