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Qu’attendent les organismes de formation non-lucratifs du futur gouvernement ?

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Muriel Pécassou et David Cluzeau, vice-présidente et délégué général du Synofdes

Crédit photo DR
Sans majorité claire à l’Assemblée, l’incertitude plane sur le devenir du secteur de la formation professionnelle alors que les restrictions budgétaires s’y multiplient. Le Synofdes, principal syndicat d’employeurs des organismes de formation à but non-lucratif, demande davantage d’écoute à l'égard de la société civile par le prochain ministère du Travail. Entretien avec Muriel Pécassou, vice-présidente du Synofdes et David Cluzeau, délégué général.

Le Synofdes vient de publier une lettre ouverte appelant à davantage d’inclusion des corps intermédiaires dans la décision publique. Qu’attendez-vous du prochain ministère du Travail ?

Muriel Pécassou : Nous attendons que le prochain gouvernement – quel qu’il soit - mette l’accent sur l’importance de la formation tout au long de la vie. Chaque actif, salarié ou demandeur d’emploi, doit être en mesure de parvenir à l’émancipation et à l’évolution professionnelle en faisant ses choix de manière éclairée. D'autant plus dans un monde du travail bouleversé par les transformations de l’emploi, induites par les changements technologiques, sociaux et environnementaux. Et ces transformations de la réalité économique, qui peut mieux les connaître que les branches professionnelles, les organisations patronales et syndicales ? Ces corps intermédiaires ont été beaucoup trop négligés ces dernières années et le futur – ou la future – ministre du Travail devra apprendre à les écouter.

Pourrait-on aller jusqu’à imaginer un gouvernement majoritairement composé de ministres issus de la société civile ?

David Cluzeau : Dans l’esprit, cela pourrait être intéressant, mais dans les faits, cela a peu de chances de fonctionner. Il faut donc faire avec les forces en présence. Aujourd’hui, l’Assemblée nationale est fractionnée en trois blocs à peu près égaux. Deux avec lesquels nous pouvons accepter de travailler – le bloc de gauche et celui du centre – et un avec lequel nous ne le souhaitons pas, celui du RN et de ses alliés. Actuellement, aucune majorité ne se dégage et aucun parti ne peut prétendre avoir la légitimité de gouverner seul ou de représenter la majorité de l’électorat. Dans ces conditions, il paraît difficile de gouverner demain sans consultation régulière des corps intermédiaires. Cela tombe bien : nous demandons à l’être en amont de l’élaboration des projets et des propositions de lois et plus seulement pour confirmer des hypothèses imaginées en haut lieu comme cela a été le cas depuis plusieurs années. Alors sans aller jusqu’à un gouvernement issu de la société civile, ce mode de gouvernance permettrait d’impliquer davantage cette dernière dans la conduite des politiques publiques.

M.P : Et surtout, nous avons besoin d’interlocuteurs ! Lorsque Catherine Vautrin a été nommée à la tête d’un super-ministère regroupant le Travail, la Santé et les Solidarités, personne n’a eu le portefeuille de la formation professionnelle pendant plusieurs mois avant que Geoffroy de Vitry ne soit nommé Haut-commissaire à la formation et à l’enseignement professionnels en mars 2024. Il est important que le futur gouvernement conserve des groupes de travail où nos sujets puissent être abordés.

Catherine Vautrin, justement, a beaucoup misé sur la VAE dans ses annonces pour créer des passerelles entre les différents métiers du travail social. Sauf que celle-ci s’est retrouvée sans ligne budgétaire pour la financer cette année. Comment l’analysez-vous ?

D.C : Pendant vingt ans, la VAE a mal fonctionné. Le dispositif ne s’est jamais suffisamment développé pour atteindre ses objectifs car il était à la fois sous-financé et trop complexe à mettre en œuvre. Aujourd’hui, les choses ont commencé à changer avec la simplification du mécanisme et la création de la plateforme France VAE. Les expérimentions réalisées avaient commencé à donner de bons résultats, notamment pour les métiers du travail social qui faisaient partie des premiers secteurs expérimentateurs. Sauf que le nouveau système se heurte lui aussi à deux défauts : en premier lieu, l’Etat n’a pas prévu de ligne budgétaire au projet de loi de finances pour permettre au dispositif de fonctionner. En 2024, France VAE ne pourra donc pas fonctionner pleinement.

Après avoir pu bénéficier de fonds du ministère du travail, par ailleurs bien amputés par les économies exigées par Bercy, qui ont permis d’honorer les engagements du premier semestre, le second imposera de nouvelles restrictions le dispositif se limitant à 26 certifications de la santé et du social (excluant par exemple celles du sport). Et aucun financement dédié n’est actuellement prévu pour 2025. En second lieu, cette réforme de la VAE, qui a été mise en chantier sans nous y associer pleinement, a suscité un nouveau marché dont les effets sont, pour l’instant, insuffisamment régulés. Comme ça a aussi été le cas pour l’apprentissage et le CPF. Le système des « architectes de parcours », par exemple, est insuffisamment piloté aujourd’hui. Or, quand on ouvre un nouveau droit, il est essentiel de le réguler et de le financer.

MP : la VAE est par ailleurs un formidable outil de promotion sociale !

>>> A lire : VAE simplifiée: comment la mobiliser? 

L’alternance vient de connaître deux de ces régulations, quasi coup sur coup, avec la fin de la prime à l’embauche pour les employeurs de jeunes en contrat de professionnalisation, puis une nouvelle baisse des niveaux de prise en charge (NPEC) des contrats d’apprentissage. Cela peut-il nuire à la dynamique de l’alternance dans les secteurs du travail social ?

D.C : Je ne suis pas en mesure de pouvoir le dire aujourd’hui. Le coup de rabot sur les NPEC pourrait être limité dans le secteur du travail social où les branches avaient déjà réévalué certains coûts-contrats trop élevés. Mais encore une fois, le sujet de fond, c’est la régulation du système et donc la capacité de financement des politiques publiques. L’Etat ne sait plus comment financer le système d’apprentissage et comme il ne veut pas réduire le nombre de contrats, il choisit donc de revoir à la baisse leur prise en charge. Il fait donc peser la régulation sur les centres de formation d’apprentis (CFA). Et demain, ce sera peut-être aux employeurs d’assumer le différentiel entre le niveau de prise en charge des contrats et leur coût réel. Il aurait été plus sain de penser aux mécanismes de régulation des prix en amont de la réforme…

>>> Voir aussi : La prise en charge des contrats d'apprentissage à nouveau rabotée au 15 juillet

M.P : Ce coup de rabot sur les coûts-contrats n’est pas forcément une surprise. Beaucoup d’établissements d’enseignement ont pu bénéficier d’un effet d’aubaine avec le système des coûts-contrats tel qu’il a été mis en place en 2018. Du coup, la réforme de l’apprentissage n’a pas bénéficié aux publics les moins qualifiés comme cela aurait dû être le cas. A l’inverse, nombre d’universités et de grandes écoles se sont lancées sur l’alternance et ont tiré les chiffres vers le haut. Il faudra voir quelles conséquences aura cette nouvelle régulation sur les pratiques des centres de formation.

>>> En complément : Contrat de professionnalisation : fin de la prime, et après? 

La mise en place d’un « ticket modérateur » de 100 euros sur le compte personnel de formation (CPF) s’inscrit-elle également dans ce mécanisme de régulation financière post-réforme qui semble toucher l’ensemble des mécanismes de formation déployés par la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » de 2018 ?

D.C : Oui. Là encore, la réforme a mis en place un système « à enveloppe ouverte » et aujourd’hui, l’Etat réalise qu’il ne peut plus en assumer le coût… Il invoque l’argument de la lutte contre la fraude pour justifier la mise en place de reste à charge, mais ce n’est pas entendable puisque des mécanismes de lutte contre la fraude existent depuis décembre 2022, ainsi que l’interdiction du démarchage commercial pour des formations éligibles au CPF ou la restriction des formations accessibles. Ce reste à charge ne se justifie en réalité que par une nécessité de contrôle budgétaire.

M.P : Le plus grave, c’est que les plus modestes seront les plus pénalisés par cette décision. 100 euros, ce n’est pas rien et on risque de voir des individus renoncer à investir dans une formation s’ils doivent d’abord s’acquitter de cette somme sur leurs fonds propres. Le paradoxe, c’est que ce sont sans doute les populations qui auraient le plus besoin de se former. Il sera toujours possible de mobiliser le CPF sans reste à charge dans le cadre de projets de formation co-construits avec l’employeur car, dans ce cas, le reste à charge ne s’appliquera pas. On perd cependant la philosophie d’origine de la loi qui voulait donner à chacun la liberté de choisir son avenir professionnel…

Les financements du plan d’investissement dans les compétences (PIC) qui se montaient à environ 15 milliards d’euros lors du quinquennat 2017 – 2022 ont été sérieusement revus à la baisse pour 2024 – 2027 (3,9 milliards). Cela aura-t-il des conséquences pour les organismes de formation adhérents du Synofdes ?

M.P : La réduction est effectivement dramatique. Et cela va forcément impacter la commande des collectivités régionales aux organismes de formation. On voit déjà que cette révision à la baisse touche les premiers pactes régionaux d’investissements dans les compétences (PRIC) signés pour 2024. On passe parfois du tout au rien… Et d’autres opérateurs sont également touchés par ces révisions budgétaires comme l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) qui a considérablement réduit sa commande de formations à destination des migrants ou l’Agefiph qui ne finance quasiment plus de formations pour les publics en situation de handicap.

D.C : C’est un vrai choc pour le secteur ! Le PIC avait placé la barre des commandes publiques de formation très haut et aujourd’hui, on revient à un niveau d’investissement comparable à celui d’avant 2019. Pourtant, avec la transition énergétique, les métiers en tension ou les emplois émergents, les tensions sont énormes. Etait-ce le moment de réduire la voilure sur la formation des actifs ? Je n’en suis vraiment pas certain. D’autant que certaines régions renâclent toujours à signer les PRIC (PACA et AURA, comme lors du quinquennat précédent) et d’autres, comme les Pays-de-Loire ne commandent des formations que s’il existe en face des emplois à pourvoir immédiatement, dans une logique adéquationniste, sans avoir une vision d’avenir affinée sur les besoins d’emplois à long terme.

Comment se passent les relations des organismes du Synofdes avec France Travail ? Vos adhérents étant surtout présents sur la commande publique, la réforme du service public de l’emploi risque-t-elle de les affecter ?

D.C : Pour l’instant, c’est surtout un changement d’enseigne. Nous avions l’habitude de discuter avec les directions régionales de Pôle Emploi et celles-ci sont toujours en poste. Nous fondons beaucoup d’espoir sur la nouvelle structuration de France Travail et particulièrement son rôle dans la mise en œuvre de la loi pour le plein emploi et dans l’animation du Conseil National de l’Emploi et dans ses déclinaisons territoriales. Dans les régions, il constitue un ensemblier efficace disposant d’une vision très fine sur le maillage local. Evidemment, nous sommes en attente des évolutions parlementaires. Le projet de réseau pour l’emploi a été porté par une majorité de la même couleur politique que le président de la République. Ce ne sera vraisemblablement plus le cas demain. Que va devenir France Travail dans tout cela ? Nous l’ignorons à ce stade.

>>> Pour plus d'information : Assurance chômage : "Pas de données chiffrées » sur les demandeurs d’emploi qui pourraient basculer dans le RSA"

M.P: Ce qui va changer la donne, c’est l’accompagnement renforcé des allocataires du RSA dans le cadre du contrat d’engagement. Certains se verront prescrire des formations qui seront vraisemblablement assurées par des organismes adhérents du Synofdes, très présents sur les marchés du retour à l’emploi pour les chômeurs. Mais nous nous posons évidemment des questions sur les moyens qui seront alloués à ces missions, dès lors que le dispositif sera étendu à l’ensemble des allocataires du RSA l’année prochaine. Et pour l’instant, nous restons dans l’incertitude.

>>> A lire : RSA : l’exécutif se veut rassurant sur la généralisation du contrat d’engagement

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