Avis de tempête sur un secteur de la petite enfance particulièrement secoué ces derniers jours. En premier lieu par la sortie des Ogres, le nouveau livre-enquête de Victor Castanet qui, deux ans après Les Fossoyeurs qui dévoilait la maltraitance des résidents des Ehpad gérés par le groupe Orpéa (aujourd’hui Emeis), s’attaque aujourd’hui au business des crèches privées, notamment celles de l’enseigne People & Baby. Mais aussi par la publication, presque concomitante, d’une grande enquête co-réalisée par JBM (filiale du géant de l’intérim Randstad spécialisée dans le recrutement pour les domaines du social, du médico-social et de l’enfance) et du Cercle Vulnérabilités et Société, un think tank dédié aux questions sanitaires et sociales, qui tire la sonnette d’alarme sur la « crise des vocations » qui traverse les métiers de la petite enfance.
Des métiers bien considérés...
C’est tout le paradoxe que révèle l’enquête, réalisée auprès d’un panel de professionnels et de parents : alors que ces métiers sont particulièrement bien considérés par l’opinion publique (98 % des usagers considèrent ces métiers comme porteurs de sens, 91 % qu’ils requièrent des qualités humaines particulières et 62 % qu’ils complètent le rôle des parents), ils souffrent d’un manque d’attractivité rarement observé. Lequel se traduit, selon les estimations de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), par le manque de 10 000 professionnels pour combler les besoins du secteur.
Les parents, considérant à 72 % que l’éducation de jeunes enfants exige des compétences quasi professionnelles, sont 81 % à faire le constat de cette carence de personnel. Et 61 % à s’en inquiéter (dont 34 % à trouver cette situation « très » préoccupante).
... mais dégradés
Ils sont même 89 % à trouver « grave » le manque d’attractivité des métiers de la petite enfance. Et 70 % pensent qu’il risque d’être durable. Ce sont d’ailleurs les adultes et les personnes âgées qui sont les plus conscients du problème, là où 47 % des jeunes adultes jugent cette crise des vocations passagère et susceptible de s’améliorer rapidement au vu des nombreuses possibilités d’emploi qu’offre le secteur. Ceci étant, en dépit des qualités qu’ils prêtent à ces professionnels, les parents sont conscients du caractère épuisant de ces métiers (94 %). Ils ne seraient d’ailleurs que 29 % à recommander à leurs proches d’y envisager une carrière (contre 38 % des Français).
D’une manière générale, l’influence de la question salariale sur cette crise des vocations est connue : 48 % des Français sont ainsi conscients que le faible niveau de rémunération de ces professions a des conséquences sur les pénuries de recrutement. Et 49 % jugent primordiale la reconnaissance de ces métiers pour leur valeur éducative, humaine et sociale.
De leur côté, 29 % des professionnels de la petite enfance évoquent le salaire comme principale raison de cette perte d’attractivité. 11 % évoquent des conditions de travail dégradées et 9 % pointent l’insuffisance de moyens qui leur sont alloués pour exercer leur mission. Au total, parents comme professionnels partagent les mêmes constats : ces métiers sont insuffisamment rémunérés (84 %), mal reconnus par la société (82 %) et n’offrent que peu de perspectives d’évolution (67 %).
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"Pas une priorité des politiques publiques"
Pour autant, cette pénurie de compétences a tendance à questionner sur l’avenir. 85 % des parents indiquent qu’elle aura des répercussions graves sur le fonctionnement du service de la petite enfance, 81 % sur la qualité de vie et de l’accompagnement des enfants, 81 % sur l’avenir de la société, 73 % sur la santé physique et psychique des enfants et 65 % sur l’implication des familles. Mais, paradoxe supplémentaire, la crise que traverse le secteur n’est pas pour autant considérée comme une priorité en matière de politiques publiques. Le soutien à la natalité, à la petite enfance et à la famille se place beaucoup plus bas dans l’échelle des préoccupations des familles (21 %) que la pénurie de soignants (66 %) ou le renforcement du système éducatif (56 %). « De manière contre-intuitive, le secteur de la petite enfance inquiète moins que celui du grand âge », constate-t-on chez JBM.
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