L’an dernier, alors que le gouvernement planchait sur une révision à la baisse des aides destinées aux employeurs d’apprentis, la FNAPSS tirait déjà la sonnette d’alarme sur un nouveau fléchage qui favoriserait les seules structures de petite taille et les qualifications de plus bas niveaux.
Aujourd’hui, si le barème présenté par la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet (2 000 € pour chaque embauche d’apprenti dans les structures de plus de 250 salariés, 5 000 € en deçà et 6 000 € pour un apprenti en situation de handicap) se révèle moins chiche que redouté, il demeure cependant bien inférieur aux besoins d’un secteur aux métiers en tension comme le sanitaire et social. Pour Robert Dufour, président de la fédération et directeur du CFA Adamsse (Pays de Loire), il y a urgence à repenser les politiques d’aides aux employeurs d’apprentis comme un investissement, et plus seulement comme une dépense. Interview.
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ASH : Comment jugez-vous le nouveau barème des aides à l’embauche d’apprentis ?
Robert Dufour : Malheureusement, il repose sur une vision purement comptable de l’apprentissage. La loi du 5 septembre 2018, qui a libéralisé le système, avait instauré une forme de parité entre le développement de l’apprentissage et la nécessité d’accompagner financièrement les employeurs qui acceptaient d’accueillir les jeunes pour les former. A la FNAPSS, nous ne parlons d’ailleurs pas d’« aides à l’embauche », mais d’« indemnités compensatoires à l’effort de formation des employeurs d’apprentis », parce que cela correspond mieux au temps et à l’investissement que consacre le maître d’apprentissage à former l’alternant qui est un professionnel en devenir.
Ce que révèle ce nouveau barème, qui instaure notamment une différence de traitement entre les entreprises de moins de 250 salariés et les plus grandes, c’est que le ministère du Travail considère encore l’apprentissage comme une simple dépense pour les caisses de l’Etat plutôt que comme un moyen d’insérer les jeunes dans l’emploi.
C’est particulièrement inquiétant dans le secteur sanitaire et social qui présente la double spécificité de souffrir d’une pénurie de personnel formé et où nombre d’employeurs sont des structures associatives de plus de 250 salariés relevant du secteur non marchand et donc incapables de dégager des marges financières pour compenser le désengagement de l’Etat.
Pour celles-ci, l’indemnité compensatoire, qui vient d’être ramenée à seulement 2 000 € par apprenti, ne suffira certainement pas à maintenir la dynamique en faveur de l’emploi d’alternants constatée depuis la réforme de 2018. Dans ces conditions, il existe un vrai risque de diminution du nombre d’apprentis dans nos établissements.
Avez-vous déjà commencé à chiffrer cette baisse ?
Il est encore trop tôt. Mais n’oublions pas qu’en matière d’apprentissage, la loi de finances pour 2025 n’évoque pas uniquement les aides à l’embauche. Elle comporte aussi des dispositions mettant en place un reste à charge pour l’employeur de 10 % du montant de financement des contrats pour tout diplôme de niveau Bac +3 et plus.
Dans notre secteur, plusieurs diplômes sont dans ce cas : ceux d’infirmier, d’éducateur spécialisé, d’éducateur de jeunes enfants, etc. Cela risque aussi de se traduire par un recul de l’apprentissage.
Certains reprochent à l’enseignement supérieur de consommer la majorité des crédits de l’apprentissage au détriment des niveaux de qualification plus bas. Est-ce votre avis ?
Non. Cette idée, c’était celle du député Renaissance Marc Ferracci [aujourd’hui ministre délégué à l’industrie, ndlr]. Nous l’avions rencontré en 2022, alors qu’il était l’un des porte-drapeaux de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron. Il considérait alors que les fonds de l’apprentissage devaient être fléchés massivement vers les premiers niveaux de qualification pour les jeunes en situation d’échec en fin de troisième. C’est une vision du siècle dernier… Aujourd’hui, la réforme de 2018 a permis que l’apprentissage se développe dans le supérieur, et c’est tant mieux.
Lors de la période Covid, nous nous sommes aperçus que beaucoup de nos étudiants en IRTS ou dans les sections universitaires dédiées au travail social avaient eu besoin de prendre un petit boulot pour pouvoir vivre.
Or, en leur offrant un salaire comme le permet l’apprentissage, on maximise leurs chances d’obtenir leur diplôme. L’apprentissage n’est pas une voie d’insertion pour les élèves en échec scolaire : c’est une façon d’apprendre qui associe cours théoriques et pratique professionnelle chez un employeur. Ce n’est pas un mode de formation réservé aux métiers de l’artisanat.
Certains avancent aussi la responsabilité des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage (NPEC), jugés trop généreux par rapport au besoin des pouvoirs publics de réduire la voilure financière. Partagez-vous cette opinion ?
Pas du tout. Pour commencer, depuis l’application de la réforme, France compétences a gagné une place considérable dans la définition des NPEC. Grâce aux remontées des centres de formation (CFA) basées sur la comptabilité analytique, l’organisme a fini par se rendre compte qu’il existait une grande disparité financière entre les CFA et une grande difficulté à établir un « coût au contrat » en fonction des diplômes. Ce qui est normal puisque, initialement, la fixation des NPEC était à la charge des branches en fonction de leurs priorités en matière d’emploi et de recrutement.
Aujourd’hui, on se retrouve avec une grande hétérogénéité d’acteurs impliqués dans l’apprentissage. Parmi lesquels des CFA de branches, des CFA publics, des CFA consulaires [dépendant des chambres de commerce et d’industrie, d’artisanat ou d’agriculture, ndlr], des grandes écoles et des universités. Or il est très difficile d’établir un coût unique pour les contrats d’apprentissage au vu de cette diversité.
Par exemple, la prise en charge financière accordée à un CFA pour un apprenti doit non seulement couvrir les coûts pédagogiques, mais aussi l’investissement dans le matériel ou dans les locaux (deux pôles de dépense que les Opco ne prennent pas en charge). L’université ne se pose pas de telles questions puisque c’est l’Etat qui paie l’entretien des locaux et le salaire des enseignants. On a négocié quelques solutions d’amortissement avec France compétences, mais l’Etat doit tenir compte de cette disparité.
Certains éléments pourraint être repensés comme l’attribution de la taxe d’apprentissage ou les fonds accordés au CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale). On pourrait aussi tenir compte des recettes des entreprises qui accueillent des apprentis pour déterminer les indemnités compensatoires à leur verser. Veolia, qui dégage d’importants profits financiers, doit-il vraiment recevoir la même prime pour l’embauche d’un apprenti qu’un groupe d’Ehpad associatif qui relève du secteur non marchand ? Ces questions méritent d’être soulevées.
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