Le 5 décembre 2023, le président du Haut Conseil du travail social, Mathieu Klein, remettait le Livre blanc du travail social à la ministre des Solidarités, Aurore Bergé, et au ministre du Travail, Olivier Dussopt. Depuis, les portefeuilles ministériels ont changé de main et les préconisations du Livre blanc sont restées lettres mortes. Jusqu’à quand ? Quelques éléments de réponse avec Mathieu Klein.
ASH : Le livre blanc avait été reçu avec une certaine bienveillance de la part du gouvernement. Cinq ministres avaient répondu… qu’ils allaient y répondre. Quatre de ces ministres ont disparu ou ont changé de poste. Depuis, vous avez rencontré Sarah El Haïry, la nouvelle ministre chargée des familles et l’enfance. Quel a été son accueil et quel sera l’attitude de l'exécutif face aux recommandations du Livre blanc ?
Mathieu Klein : Il me semble que la prise de conscience de la gravité de la situation sur l’attractivité des métiers de l’ensemble du secteur social et médico-social est encore aigüe au plus haut niveau politique. Et si tel ne devait pas être le cas, la relance de la mobilisation intersyndicale dans les tous prochains jours devrait y contribuer à nouveau.
Les administrations centrales, comme les différents hauts conseils du champ social et médico-social que j’ai pu réunir récemment, permettent de maintenir un niveau de mobilisation fort, avec différents chantiers ou propositions d’évolution : la CPC s’est emparée du chantier de l’architecture des diplômes ; la lettre de mission de la préfiguration du futur Institut national du travail social est signée et les réflexions vont pouvoir officiellement s’enclencher ; des instances telles que le CNPE lancent aussi des propositions concrètes sur les métiers et leurs évolutions pour faciliter leur attractivité.
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Par ailleurs la négociation sociale sur la question des salaires porte vraiment sur le métier. En dépit du refus d’agrément par la ministre Vautrin de la recommandation émise par Axess, le souhait de voir aboutir le dossier de la revalorisation des bas salaires et, plus loin, de la convention unique, a quant à lui bien été pris en compte. Une rencontre est prévue à Paris, en juin.
Que comptez-vous demander à Catherine Vautrin lors de votre prochaine rencontre ?
Si toutes les transformations proposées par le Livre blanc ne dépendent pas uniquement de l’arbitrage ministériel, j’attends de la ministre qu’elle puisse donner le ton d’un engagement collectif concret, phasé et financé. Nous devons cranter des solutions ou le lancement de certains chantiers. Cela nécessite un engagement politique fort, au plus haut niveau, capable de faire l’ensemblier des acteurs. Ensuite, tout le monde a un rôle à jouer : les associations de collectivités, les acteurs du secteur…
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L’exemple des comités de filière dans certains secteurs du travail social, à l’image de celui de la petite enfance, semble être le format qui permet de faire catalyseur pour la négociation collective et la prise de décisions. La mise en place d’un tel comité de suivi par la ministre pourrait être le signe d’un passage à l’action.
Les récentes coupes budgétaires qui touchent pour plus d’un milliard le secteur social et médico-social ne remettent-elles pas en cause toute possibilité d’action concrète ?
Il y a un grand nombre de propositions du Livre blanc qui ne prennent assises sur aucune question budgétaire et qui reposent plutôt sur une redéfinition du management, du fonctionnement interne des organisations, des modes d’exercices – aussi par les professionnels. D’autres mesures réclament effectivement de l’investissement et des moyens. La reprise du chantier des revalorisations Ségur semble être une étape nécessaire, si ce n’est essentielle, pour mettre de côté les frustrations engendrées et faire aboutir totalement les engagements pris.
Après votre passage à l’Assemblée, un projet de loi est en préparation qui reprendrait certaines recommandations du Livre blanc. Savez-vous lesquelles ?
L’initiative est prise par un groupe politique de l’Assemblée nationale. Elle s’appuie sur les propositions posées dans le Livre blanc. Je pense qu’elle en reprendra de larges parties.
Êtes-vous optimiste pour dégager une majorité sur ce texte ?
Lors de mon audition par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, j’ai reçu une bonne écoute de la part de presque tous les groupes politiques. Les représentants de la Nation, tous rattachés à un territoire, mesurent parfaitement les difficultés des établissements et services qui manquent de personnels. Avec en répercussion, la baisse de la qualité, voire l’altération de la réponse faite aux demandes sociales des familles, des personnes… Je suis sûr de la possibilité que nous avons de dégager une majorité large sur ce texte.
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