Le monde de la formation en travail social représente un champ à part entière à l’instar du secteur dans lequel les travailleurs et intervenants sociaux œuvrent quotidiennement. Au cours de ces dernières décennies un déferlement gestionnaire et concurrentiel est venu se substituer progressivement aux logiques de l’« Etat social solidariste » qui constituait jusqu’alors le nord magnétique de l’intervention sociale et médico-sociale. Depuis la sortie de la période de professionnalisation du travail social, les acteurs de la formation n’ont cessé de devoir s’adapter aux transformations qui les ont enjoints de s’inscrire dans une logique du marché. Ainsi, au même titre que les professionnels du social et médico-social, les établissements de formation en travail social (EFTS) sont aujourd’hui mal reconnus, maltraités, insécurisés tout en étant conduits à se conformer aux logiques évaluatives des contrôles qualité plébiscitées par le New Public Management.
Les EFTS se confrontent à un processus d’injonction paradoxale : d’un côté, ils s’inscrivent dans un « processus de régionalisation » qui les relie au pouvoir politique local et, de l’autre, ils vivent un « processus d’universitarisation » qui les oblige, notamment, dans le cadre de conventions avec des universités ou établissements équivalents (décret n° 2018-733 du 22 août 2018 relatif aux formations et diplômes du travail social et arrêté du 22 août 2018 relatif au socle commun de compétences et de connaissances des formations du travail social de niveau II), à faire valider les parcours de formation supérieure de leurs étudiants au sein de commissions pédagogiques présidées par des universitaires.
Mettre en œuvre des programmes d’« initiation à la recherche »
L’universitarisation des formations sociales met aussi en perspective un processus de sujétion dans lequel les EFTS se trouvent engagés puisqu’ils doivent composer avec des partenaires universitaires plus ou moins enclins à coopérer. En effet, alors que la loi oblige les EFTS à établir des conventions cadres et pédagogiques avec les universités mais également à mettre en œuvre des programmes d’« initiation à la recherche » afin de pouvoir continuer à préparer les diplômes d’Etat de niveau VI, rien n’a été prévu dans la loi pour leur permettre d’établir un réel rapport d’égalité et de réciprocité avec les universités. Par conséquent, le processus d’universitarisation des formations sociales conduit non pas à renforcer des liens de coopération équitables et de production de connaissances collaboratives mais à imposer une sorte de « partenariat concurrentiel ». Dès lors, des EFTS amenés à signer des conventions partenariales avec les universités peuvent légitimement craindre des « mariages arrangés » dans un contexte où, depuis 2021, la réforme des diplômes universitaires technologiques (DUT) propose un bachelor universitaire de technologie (BUT) gradé licence, notamment en « carrières sociales ».
A l’inverse, les partenariats entre EFTS et universités peuvent également être affaiblis, voire remis en cause, par des stratégies de formateurs en travail social qui résistent au processus d’universitarisation des formations sociales.
Dans ce contexte, nous considérons que l’universitarisation des formations sociales ne devrait pas se réaliser au détriment des EFTS mais au profit d’un renforcement des coopérations et des relations de respect réciproque entre ces établissements et les universités. Dès lors, la construction d’un espace de formation supérieure en travail social refusant la mise en concurrence entre les EFTS et les universités est d’abord conditionnée à la volonté de l’Etat de permettre aux écoles du travail social d’établir des relations partenariales non asymétriques en matière de formation et de recherche avec les universités.
Institutionnaliser un statut de « formateur-chercheur »
Il est nécessaire que les EFTS, avec le soutien financier, politique et juridique des pouvoirs publics (Etat et régions), puissent avoir les moyens de participer pleinement au monde de l’enseignement supérieur et de la recherche dans un cadre public ou associatif avec une délégation claire de service public. Cette dynamique est alors conditionnée à plusieurs éléments dont l’institutionnalisation d’un statut de « formateur-chercheur » dans les établissements de formation reconnus par l’Etat et les conventions collectives ; la légitimation des EFTS comme producteurs de savoirs scientifiques et praxéologiques grâce à l’octroi de moyens dédiés à la recherche afin que ces établissements contribuent à l’amélioration de la formation des étudiants en travail social par l’apprentissage de la recherche, par la recherche dans une relation partenariale et de réciprocité avec les universités.
Notre manifeste souligne donc l’importance de dépasser « adversité et complicité adverses historiques » entre les mondes des écoles en travail social et des universités. Nous défendons l’idée d’une rupture avec les logiques concurrentielles dans l’intervention sociale, la formation supérieure en travail social et la recherche sociale par la construction d’un véritable espace de coopération dans les champs de la formation sociale et universitaire nécessitant de donner les moyens financiers, politiques, académiques et juridiques aux EFTS de s’inscrire dans un processus d’universitarisation sans crainte de devoir renoncer à leurs spécificités, en particulier la pédagogie de l’« alternance intégrative » productrice de savoirs professionnels et théoriques.
Les signataires du manifeste :
Manuel BOUCHER (Professeur des Universités en sociologie, administrateur d’un IRTS), François SENTIS (Directeur général d’un IRTS), Philippe FOFANA (Directeur général d’un EFTS), Jean-Yves BOULLET (Directeur général d’un EFTS), Jean-Sébastien ALIX (Directeur des études d’un IUT Carrières sociales), Jean-Yves DARTIGUENAVE (Professeur des Universités en sociologie, responsable d’un Master Intervention et Développement Social), Michel CHAUVIÈRE (Directeur de recherche émérite au CNRS), Hervé MARCHAL (Professeur des Universités en sociologie, responsable d’un Master), Brigitte BALDELLI (Maître de conférence associée et responsable de la recherche dans un IRTS), Gérard PETIT (Président d’un IRTS), Pierre LOURDEL (Directeur général d’un IRTS), Albert MAROUANI (Professeur émérite des Universités en Sciences économiques, Président d’un EFTS), Mohamed BELQASMI (Chargé de recherche dans un IRTS), Camille THOUVENOT (administratrice d’un IRTS), Romain BAUMSTARCK (Président d’un IRTS).
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