Recevoir la newsletter

« Les métiers du social ont évolué comme les métiers ouvriers »

Article réservé aux abonnés

Romain Dostes, vice-président du Conseil départemental de la Gironde.

Crédit photo DR
Et si les travailleurs sociaux étaient la nouvelle classe ouvrière ? Face à la paupérisation des métiers et à la dévalorisation de l’image du secteur, une note pour la Fondation Jean Jaurès propose de nouvelles pistes originales pour relancer l’attractivité du travail social. Entretien avec l’un de ces auteurs, Romain Dostes, vice-président du Conseil départemental de la Gironde.

C’est une compile de terribles constats, mais c’est surtout une véritable boite à idées inédites pour réenchanter le travail social. Ecrite à cinq mains dont trois girondines (1) à commencer par celle Jean-Luc Gleyze, le président du Conseil départemental, l’étude « Société du lien, société de demain » publiée par la fondation Jean Jaurès mérite qu’on s’y attarde.

En attendant, la publication sans cesse repoussée du Livre Blanc du Haut conseil du travail social, les auteurs tracent un tableau cru et réaliste d’un secteur en crise ; les premières pages sont d'ailleurs presque un livre noir du travail social. Mais ils ne s’arrêtent pas à ce constat déprimant. Ils proposent un véritable petit livre blanc sur l’attractivité et préconisent des solutions qu’on n’a pas toujours l’habitude de lire : de la tenue d’une convention citoyenne à une campagne de com’ digne de celle du ministère de la Défense.

Vice-président à la politique des ainés et au lien intergénérationnel au conseil départemental de la Gironde, Romain Dostes revient pour les ASH sur les pistes explorées dans cette note.

 

Dans votre étude, vous prenez le parti pris de mélanger les métiers du lien au sens large : du social au « médical » pur. C’est une position qui n’est pas toujours comprise… Qu’il y a-t-il de commun entre un éduc de prévention spécialisé dans les cités et une infirmière en unité de soins palliatifs ?

On a choisi ce parti pris pour deux raisons. La première, c’est qu’on se rend compte que le cloisonnement fait partie du problème. On a des gens qui aimeraient pouvoir passer d’un secteur à l'autre et qui, par des mécanismes divers, se retrouvent coincés dans une filière. La deuxième, c’est qu’on a voulu prendre un peu de hauteur en intégrant le rapport au travail et cette dimension concerne l’ensemble des métiers du lien. Le travail de services à la personne, au sens du contact social et de la relation humaine, est clairement dégradé sur l’ensemble des métiers. C’est pour cette raison que nous avons souhaité élargir notre analyse au-delà du travail social.

On découvre dans votre étude que les ESMS sont les champions de France de l’absentéisme (une journée d’absence tous les 10 jours). C’est le symptôme d’un secteur qui décourage ses salariés ?

C’est lié à la dégradation des conditions de travail, aux rythmes de plus en plus effrénés. Avec des métiers qui peuvent être aussi éprouvant physiquement quand on a des charges importantes à soulever – et on insiste pas assez sur ce point. Les aides à domicile, les auxiliaires de vie s’en plaignent. Elles ont un niveau très élevé de maladies liées au travail.

Il n’y a pas que les charges physiques. 97 % des professionnels déclarent que leur métier est dur au plan émotionnel. C’est énorme !

Dans le cadre de cette mission, on est allé en immersion auprès des travailleurs sociaux. Je pense notamment à une MECS… Quand on entend les récits de vie, c’est impossible de ne pas être affecté au plan émotionnel. Je m’occupe des personnes âgées donc la protection de l’enfance est un secteur que je maîtrisais moins. Mais j’ai été surpris, voire pétrifié par la plupart des récits que j’entendais. Les professionnels savent garder une certaine distance. Cependant, ils ne sont pas non plus imperméables à ce qu’ils entendent car ils sont plein d’empathie. Mais il y a aussi des prises de conscience, des moments où c’est plus difficile à digérer. D’où ce chiffre…

Parmi les points que vous abordez dans vos constats, il y a celui de la féminisation du secteur. On sait que les métiers du Care ont toujours été majoritairement féminins mais cela touche désormais les métiers traditionnellement masculins comme les éducs. Quelle est votre explication et comment y remédier ?

Ce constat, c’est un miroir des inégalités de genre. Il y a une forme de corrélation entre féminisation de ces métiers et leur précarisation. Les études de la DRES soulignent que les femmes restent majoritaires dans les métiers du lien : jusqu’à 97 % des effectifs pour les assistantes sociales ! Parmi nos préconisations : montrer plus d’hommes dans les campagnes de communication et valoriser ces exemples. Non pas parce qu’on a besoin d'hommes mais parce que on a besoin de rééquilibrer les images de genre de ces métiers-là. Alors on a fait de grosses campagnes en Gironde pour recruter 250 personnes dans les métiers de la protection de l’enfance, de l’ASE. Nous avons notamment conclu des partenariat avec des Youtubeurs comme Camille et Miguel de la chaîne « Maintenant, j’aime le lundi ». Quand ils ont fait une vidéo sur le métier d’assistantes familiale, c’est un homme qui témoigne. A chaque fois qu’on fait une manifestation, on a ce souci en tête. On part de ce postulat que mécaniquement, la masculinisation contribue aussi à une meilleure attractivité pour ces métiers. On a d’ailleurs observé dans d’autres secteurs que quand un métier se masculinise, les salaires augmentent.

Vous préconisez une campagne de com' comme celle des armées…

C’est une suggestion qu’on nous a faite. Et c’est vrai que l’image est parlante. Il y a urgence autour des métiers du lien. Et nous avons comme eux besoin d‘une forme d’énergie nationale.

Il y a un paradoxe fondamental. Ce sont des métiers de première ligne et on a reconnu pendant le covid leur utilité sociale. Mais en même temps, ces métiers sont complètement en bas de l'échelle sociale aussi bien en termes de salaire que de représentations sociales. Parce qu’aujourd'hui, si un enfant dit « Ben moi je vais être travailleur social » où « Je veux être AESH », on ne va clairement pas lui dire : « Vas-y mon fils !».

Un peu comme les ouvriers ou les mineurs qui étaient fiers de leur métier mais qui ne voulaient surtout pas que leurs enfants deviennent ouvriers ou mineurs…

La comparaison est juste car historiquement les métiers du social ont évolué comme les métiers ouvriers. D’ailleurs il y a aujourd’hui une forte corrélation entre le monde ouvrier et celui du social. Les auxiliaires de vie sont souvent des personnes qui vivent dans des bassins ouvriers. Il y a une logique de reconversion vers ces métiers-là. On a fait un fait un forum avec Pôle Emploi sur les métiers du grand âge. Et les auxiliaires de vie nous ont dits que lorsque Pôle emploi adressaient des profils, ceux-ci n’était n’étaient pas qualifiés. Systématiquement, ce sont des gens extrêmement précarisés avec un niveau de connaissance et de compétences extrêmement bas. Le secteur en souffre et cela provoque des effets boules de neige. Des profils assez peu qualifiés font que les autres ne trouve pas le métier très attractif.

Vous préconisez également de réduire le temps administratif… Les litanies contre la paperasse envahissantes sont des leitmotivs du secteur…

C’est symptomatique des gens qui sont dans le métier depuis longtemps. Ils nous disaient qu’avant, il n’y avait pas autant de compte rendus à donner. Cette lourdeur du rendre compte, notamment auprès des autorités de tutelle, a tendance à exploser. Mais je dois dire qu’en tant qu’autorité de tutelle, nous avons eu un certain nombre de scandales, dans la protection de l’enfance, le handicap, les personnes âgées… et nous avons besoin de plus de contrôles, de compte rendus pour être certain que les choses soient faites avec application et dans les clous. Là honnêtement, sur ce point, rien n’est tranché, nous avons besoin de pistes de réflexion. Ce qui est certain, c’est que cette lourdeur administrative est ressentie comme un problème majeur pour s’inscrire dans le métier sur le long terme.

Le temps de travail effectif (ou pas) et sa rémunération sont des éléments importants de votre rapport. Comment faire pour que tout le monde soit au minimum au smic même à temps partiel ?

Dans certains métiers comme les auxiliaires de vie ou des AS, on a des métiers en dessous du smic car on ne leur propose pas des temps pleins mais des temps morcelés. L'idée, c’est de généraliser toutes les possibilités pour faire en sorte que plus personne ne soit en dessous du smic. Ça signifie par exemple de ne plus considérer les modèles à l’heure comme c’est le cas pour l’aide à domicile où les personnes vont travailler de 8 h à 10 h, puis s’interrompre et reprendre à midi. Il faut intégrer les temps morts dans le salaire.

Dans vos préconisations, vous proposez aussi d'intégrer le temps de transport, le trajet dans le salaire…

Pour les aides à domicile, ça changerait tout. Le but, c’est comment faire pour que plus personne ne soit en dessous du smic quand il travaille.

Mais ça coûte quand même un « pognon de dingue » d’intégrer les temps de trajet dans les salaires ou de faire des campagnes de com hollywoodiennes…. Est-ce que vous avez chiffré ce que vous demandez ?

Nous n’étions pas sur ce travail-là. Nous étions plus sur une série de préconisations qui prennent le parti de l’écoute et de l’attention portée au secteur. On était moins dans une logique budgétaire, même si, d’après moi, on s’y retrouve à l’arrivée si on investit dans le social. C’est aussi une réduction sur les coûts de la délinquance, de précipitations, de la dépendance… Notre parti pris, c’est de se dire que le social est bon investissement.

>>> "Société du lien, société de demain", note pour la fondation Jean Jaurès

Notes

(1) Jean-Luc Gleyze, président du Conseil départemental de Gironde, Loan Diaz, collaborateur du premier et « agitateur poétique », Romain Dostes, vice-président à la politique des aînés et au lien intergénérationnel du Conseil départemental de Gironde. Giorgia Sebregondi, directrice de la communication, du mécénat, de l’innovation et de la prospective de la Fondation Cognacq-Jay et Robin Troutot, consultant spécialiste des questions sociales.

 

 

 

 

Métiers et formations

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur