Le couperet est tombé. Le montant du reste à charge sur le coût d’une formation CPF – c'est-à-dire la fraction que l’acheteur doit financer sur ses propres fonds – devait s’élever à 10% de son prix. La menace était dans les tuyaux depuis la loi de finances 2023 qui en avait fixé le principe, mais le tarif, lui, faisait l’objet d’incessants arbitrages entre Bercy et le ministère du Travail.
Cette décision, associée à l'annonce d’un nouveau rabotage des coûts-contrats, met les organismes de formation du travail social en danger, explique David Cluzeau, délégué général du Synofdès, le syndicat des organismes de formation à but non-lucratif et d’Hexopée, une fédération professionnelle des employeurs de l’éducation populaire. David Cluzeau est également, depuis janvier 2024, président d’Uniformation, l’opérateur de compétences (Opco) des branches de la Cohésion sociale.
ASH : Thomas Cazenave, le ministre des Comptes publics, l’a indiqué le 19 février : le reste à charge sur le CPF devrait se fixer autour de 10%. Comment accueillez-vous cette annonce ?
David Cluzeau : C’est une mauvaise idée qui a de quoi inquiéter non seulement les organismes de formation, mais surtout les salariés ayant recours à ce dispositif pour se former. Comme ce reste à charge ne sera a priori pas soumis à des conditions de revenus [seuls les demandeurs d’emploi devraient en être exemptés, NDLR], nombre de salariés aux revenus modestes ne seront pas en mesure de payer les 200, 300 ou 500 euros correspondant au dixième du montant de la formation souhaitée, particulièrement en cette époque de forte inflation où les gens réfléchissent à deux fois avant d’engager une dépense importante. En outre, cela va rendre plus difficile la construction des parcours de formation entre salariés et employeurs, notamment si la capacité de co-financement sur les fonds conventionnels par les branches n’est pas sécurisée. En effet, ces politiques de co-investissement constituaient un mécanisme de construction des plans de développement des compétences prisé des entreprises depuis que seules celles de moins de 50 salariés sont éligibles aux ressources mutualisées des Opco. Bref, cette décision risque de restreindre l’investissement en formation de tous les acteurs, alors que l’objectif initial de la loi Pénicaud était justement de faire du CPF un outil d’aide aux individus pour choisir librement leur avenir professionnel.
Existait-il des accords d’entreprises ou de branches dans les secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux visant à co-construire les plans de développement des compétences des employeurs via la mobilisation du CPF des salariés ?
Je ne dispose pas de données exactes, mais les entreprises y avaient parfois recours pour compenser la diminution des fonds des Opco. Deux branches du secteur social, celles de la mutualité et du régime général de la Sécurité sociale, avaient construit des mécanismes de co-financement intéressant impliquant le CPF des salariés. Tout cela risque d’être revu à la baisse puisqu’à ce stade, rien dans les déclarations gouvernementales ne prévoit que ces mécanismes de co-construction soient exempts de reste à charge. Rien ne le prévoyait d’ailleurs non plus dans le projet de loi de finances pour 2023 qui instaurait le principe de ce ticket modérateur.
Etiez-vous opposés au principe du reste à charge ?
Lorsqu’il nous avait été présenté comme un mécanisme de régulation visant à limiter les fraudes au CPF et les abus commerciaux, non. Moraliser son marché en interdisant le démarchage commercial ou en réduisant la liste des formations éligibles sur la plateforme Mon Compte Formation au cours des années 2022 et 2023 était une bonne initiative. Mais ici, c’est différent. Il ne s’agit plus de réguler un marché, mais de participer au plan de 10 milliards d’économies demandé par Bercy dans lequel salariés et organismes de formation deviennent les variables d’ajustement des politiques de l’Etat.
Quelles conséquences le reste à charge risque-t-elle d’entraîner pour les organismes de formation au travail social ?
Il risque d’accroître les difficultés qu’ils rencontrent déjà à l’heure où plusieurs régions réduisent leur volume de commandes, que les contrats de plans Etat-Régions qui détermineront les budgets dédiés à la formation ne sont pas encore négociés et que la nature de leur future relation avec France Travail leur est encore inconnue. Il leur fait également courir le risque de devoir réduire leur volume de prestations sur des certifications spécifiques éligibles au CPF et, à terme, les faire disparaître de leurs catalogues.
Le gouvernement choisit d’imposer cette restriction financière au CPF après y avoir rendu éligible, le 1er janvier dernier, le permis moto, que certains acteurs de la formation accusent déjà d’assécher les fonds disponibles… Quelle conclusion en tirez-vous ?
C’est une attitude très paradoxale de sa part. Autant il est indéniable que le permis B est indispensable pour une insertion dans l’emploi, autant le permis moto est un choix discutable. Le gouvernement demande aux organismes de formation de se mobiliser pour réaliser son projet de plein emploi, mais diminue leur capacité à agir par manque de financements. Cela pose question.
Justement, l’apprentissage doit aussi constituer une source d’économies pour Bercy. Un nouveau projet de réduction des niveaux de prise en charge financière des contrats d’apprentissage doit permettre d’économiser 200 millions. Qu’en pensez-vous après les précédents coups de rabot de 2022 et 2023 ?
Ce n’est évidemment pas une bonne nouvelle. Là encore, c’est une forme d’ajustement économique décidé sans concertation. Certains niveaux de prise en charge décidés par les branches professionnelles étaient sans doute trop élevés, mais il aurait été préférable d’en discuter, de prendre en compte les particularités territoriales de certains établissements de formation, les spécificités de certains publics accueillis en CFA et l’accompagnement dont ils ont besoin. Au lieu de cela, Bercy a choisi de tailler dans les dépenses, mettant en danger certains centres de formation et certaines filières d’apprentissage. D’ailleurs, le Synofdes a réagi en collaboration avec cinq autres têtes de réseaux de l’apprentissage (Fnadir*, Conférence des grandes écoles, Anasup, Entreprises éducatives pour l’emploi et Fnep**) pour proposer un mode de financement durable et plus juste de l’apprentissage. Un système simplifié qui propose deux étages de financement, associant un socle financement de base assuré par l’Etat (d’au moins 6500 euros) à un financement complémentaire permettant de prendre en compte les spécificités des cursus dans le cadre des politiques prioritaires qui serait, lui, plafonné à 12500 euros. Il y aurait aussi un travail à faire sur l’harmonisation des niveaux de prise en charge en fonction des branches en alignant les coûts des cursus sur celui défini par les secteurs qui y recourent le plus. Je pense par exemple au diplôme d’éducateur spécialisé, très utilisé dans la branche sanitaire, médico-sociale et sanitaire à but non lucratif (BASS) mais existant aussi de façon marginale dans d’autres branches qui ont défini des coûts-contrats différents.
Avez-vous déjà rencontré Catherine Vautrin pour lui faire part de vos inquiétudes ?
Pas encore, mais nous allons nous efforcer d’organiser un rendez-vous avec elle.
*Fédération nationale des directeurs de CFA
**Fédération nationale de l’Education populaire.