L’assistante sociale de l’Education nationale m’interpelle au sujet de Medhi, 14 ans. L’ado, vif et intelligent, risque l’exclusion définitive après avoir récolté moult blâmes, avertissements, exclusions temporaires, et j’en passe. La maman accepte ma visite à domicile. J’y passe un soir de décembre, après que le car a déposé Medhi. D’ailleurs, je vois une lumière qui clignote sur le bord de la route. Je ralentis :
– Tu ne serais pas Medhi, par hasard ?
Il hoche la tête.
– Ah bah, je suis Pinki, l’assistante sociale. Ta mère t’a dit que je passais te voir ce soir ?
– Oui, je sais.
– Aller, monte dans la voiture, tu vas me montrer où tu habites.
Son regard noisette, espiègle, sous une mèche châtain m’observe, tandis que son corps un peu dégingandé se loge dans l’habitacle de la voiture de service.
– Tu sais pourquoi je suis là ?
– Ouais.
Je lui demande tout de même sa version des faits. Il se présente comme la victime. Un camarade qui le frôle dans la cour le fait dégoupiller. Il le scotche contre le mur à coups de poing. Un prof qui le réprimande le fait vriller et il l’insulte.
Il soupire.
– Ouais, je sais que ça ne se fait pas mais je peux pas m’en empêcher. Ils font tous chier. Je voudrais juste être tout seul sur Terre.
Finalement, cet entretien dans la voiture me paraît bien engagé. Puis on échange sur son quotidien à la maison. Son beau-père, qu’il a quasiment toujours connu et qui représente sa figure paternelle, travaille beaucoup et ne se mêle pas de son éducation. Il me dit à demi-mot que ça l’emmerde, genre :
« Il s’en fiche pas mal de moi »…
L’entretien se poursuit dans la cuisine entre Madame et Medhi, quand je vois passer Monsieur discrètement, avant de s’éclipser. Je lui propose de se joindre à nous. Nos échanges entrent dans une sorte de phase de médiation où il s’agit d’encourager les protagonistes à verbaliser leurs ressentis.
Ce n’est pas toujours aisé, tant le ressenti des émotions et des sentiments est profondément enraciné dans une certaine pudeur. Mais lorsque la lumière perce à travers les armures de chacun, une authenticité touchante se dévoile. Monsieur peut dire qu’il considère Medhi comme son fils et qu’il aime bien passer du temps avec lui. Medhi, les larmes aux yeux, avoue qu’il aime bien faire du quad avec lui et qu’il tient à lui. Madame dit qu’il est convenu que Monsieur ne s’implique pas dans l’éducation de Medhi… Je l’encourage à développer, et à ce que tout le monde donne son avis à ce sujet.
Je me dis que, jeune professionnelle, je n’aurais probablement pas eu tous les codes, l’assurance, les techniques, et que sais-je encore. Alors, ce soir, j’ai l’impression d’avoir mille ans mais je me sens bien, une pointe de fierté d’avoir réussi à dénouer quelques nœuds, même s’il y a encore beaucoup à faire.
En sortant de la maison, nous nous disons au revoir. La porte se referme. Je me vautre dans la cour et me retrouve le genou égratigné, comme une gamine de moyenne section. Bah voilà ! Ça remet les choses à leur place.