CERTAINS VIENNENT TOUT JUSTE DE RETROUVER LES SALLES DE CLASSE quand d’autres s’y préparent, bûchent pour les rattrapages ou posent un pied en établissement. Malgré la diversité des situations, pour la plupart des étudiants en travail social, un parfum d’incertitudes plane au-dessus de cette rentrée. Quelles seront les modalités d’accueil en centre de formation et chez les employeurs ? Comment seront reconnus les diplômes si la crise ne permet pas de remplir toutes les conditions requises pour leur validation ? Comment s’en sortiront les plus précaires, fragilisés financièrement et parfois psychologiquement avec les risques de décrochage que cela suppose ?
La crise sanitaire bouscule à plus d’un titre les étudiants du secteur social. « On a peu d’informations : les cours se feront-ils en présentiel ou à distance ? Comment valider mes compétences si je suis contrainte au télétravail ? », s’interroge, à deux jours de la rentrée, Chloé Pichon, étudiante monitrice-éducatrice. Admise à l’institut régional de travail social (IRTS) Poitou-Charentes, elle a décroché un apprentissage à La Croix-Rouge française. Une chance que n’a pas eu sa future camarade de promotion. Clémence Gourlain, 24 ans, a déjà essuyé une vingtaine de refus de la part des établissements sollicités. « Je souhaitais privilégier l’alternance, pour l’aspect financier, mais je risque de me rabattre sur les stages. Auquel cas, j’envisage de faire un prêt étudiant pour financer mes études. »
Aux difficultés structurelles à trouver des lieux d’accueil des étudiants, notamment depuis 2008 et l’obligation de gratifier les stages, s’ajoutent cette année les craintes liées à la crise sanitaire. « Les stages sont généralement contractualisés en juin-juillet, ce qui permet une rentrée sereine, explique Diane Bossière, directrice de l’Union nationale des acteurs de formation et de recherche en intervention sociale (Unaforis). Cette année, les employeurs, qui ne disposaient pas encore des normes sanitaires et des conditions d’accueil et d’encadrement des stages pour le mois de septembre, ont eu des difficultés à se projeter. »
Dans les centres de formation, certains s’affolent : « L’accès au stage va être catastrophique, anticipe Marc Rousseau, directeur général adjoint d’Askoria, en Bretagne, qui accueille 2 500 étudiants chaque année. Nous émettons, au plan régional aussi bien que national, une alerte rouge. Nous redoutons un vrai danger de repli des employeurs, certes explicable… » A l’Association régionale du réseau des instituts de formation en travail social (Arrifts) des Pays de la Loire, on relativise. « Pour la plupart des formations, les carences en stage vont se résorber. Lorsqu’ils refusent, les établissements mettent rarement en avant la question sanitaire, mais il est vrai qu’on constate une plus grande difficulté cette année à trouver un stage pour tous. Pour le moment, il en manque particulièrement pour les assistants de service social (ASS), constate Christine Mary, directrice d’établissement du pôle formation initiale à Angers. Les ASS ont besoin de s’isoler, d’avoir un bureau. Les établissements n’ont pas toujours la place pour accueillir des stagiaires selon les protocoles en vigueur. C’est plus compliqué que d’accueillir un éducateur dans une maison d’enfants à caractère social (MECS) par exemple. »
Du côté des employeurs, l’Adapei de Loire-Atlantique se veut rassurante. Le directeur des ressources humaines, Xavier Dondey, l’affirme : il n’envisage pas de remettre en cause la politique d’accueil de stagiaires. « Il est vrai qu’ils seront astreints aux obligations réglementaires, comme tous les salariés, qu’ils devront respecter les gestes-barrières, le port du masque. Mais on accueille chaque année près de 300 stagiaires, tous secteurs confondus, et on continuera à le faire dans les mêmes proportions. »
A quoi ressemblerait la formation des étudiants si les circonstances sanitaires venaient à la perturber à nouveau ? Si un cluster se déclarait dans un lieu de stage, une école ? Si les cours devaient se dérouler à distance ? Depuis le printemps, l’Unaforis négocie avec la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) pour aménager les référentiels des diplômes, notamment si les temps de stages ne pouvaient être effectués dans leur totalité. « On attend encore l’instruction officielle. Mais on s’est entendu sur des assouplissements diplôme par diplôme, explique Diane Bossière. Tout doit être fait pour que la totalité des stages soit effectuée. Si cela ne devait pas être le cas, un minimum incompressible, selon les diplômes, d’environ 70 % du temps de stage serait requis. Et on propose, sous la responsabilité des organismes de formation, de compenser via une reconnaissance d’expérience, un projet collectif ou d’autres formes de stage comme un encadrement différent, réunissant plusieurs étudiants. On souhaite que soit pris en compte la totalité du parcours de l’étudiant et de ses compétences. »
Pourquoi ne pas reconnaître les contrats de travail et les expériences de bénévolat des étudiants ? « La période de confinement a montré combien les étudiants se sont investis et se sont rendus disponibles pour aider dans les secteurs de la protection de l’enfance notamment, constate Christine Mary à l’Arrifts. Pour ces étudiants, ça a été une formation en accéléré et il faut pouvoir prendre en compte ce type d’engagement. »
L’enjeu : lutter contre le décrochage des étudiants. « Si on ne peut pas proposer de la formation de terrain ou d’autres compétences aux étudiants pour qu’ils acquièrent les capacités requises dans les référentiels, et s’ils voient que, même avec des assouplissements, ils ne pourraient pas se présenter au diplôme, on risque d’en perdre en route », appuie Diane Bossière. D’autant que le confinement a laissé des traces dans la population estudiantine. Selon une enquête de la Fédération nationale des étudiants en milieu social (Fnems), menée au printemps auprès de 5 000 personnes, 60 % des stages n’ont pu être honorés. Des étudiants ont dû renoncer à leur gratification, voire, pour certains, à une activité salariée pendant cette période, fragilisant leur situation financière. Près de 10 % d’entre eux exprimaient à l’époque une souffrance psychologique. « Il faudra être vigilant sur les conditions d’accueil des étudiants, souligne le président de la Fnems, Romain Birolini. Les formations en travail social bousculent beaucoup notre identité, notre vision du métier. Les étudiants doivent avoir la possibilité d’exprimer ce qu’ils ressentent auprès de leurs pairs et de leurs formateurs. »
Malgré les incertitudes de la rentrée, pointent des notes d’optimisme. « Tout le monde est ravi de revenir à l’école, les professionnels comme les étudiants », souligne Christine Mary, à l’Arrifts Pays de la Loire, qui s’attend à une rentrée très studieuse. « Il y a beaucoup d’appréhension qu’une telle période puisse réapparaître, mais il faut aller de l’avant, on va trouver les stages des étudiants. L’école est prête ! »
En concertation avec les différents acteurs de la formation en travail social, la DGCS a assoupli les modalités de certification des diplômes de 2020, annulant les épreuves terminales pour privilégier le contrôle continu. Mais la crise n’a pas été sans conséquence sur la validation des diplômes. Dans certaines formations, on constate une recrudescence d’échecs malgré l’indulgence des jurys. « Sur une promotion de 13, on est 7 étudiants à avoir passé le rattrapage. Ce qui n’arrive jamais, explique Maxime Ropert, 23 ans, étudiant près de Vannes (56) en brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport (BPJEPS). On est censé monter un projet en lien avec les problématiques identifiées dans la structure d’accueil et l’évaluer. Sur un contrat de six mois en alternance, en enlever deux n’est pas sans incidence. On ne peut pas rendre un bon dossier. » Certains observateurs craignent par ailleurs de voir plus de décrochage chez les étudiants de première année, recrutés sur simple lettre de motivation. Et pour tous, la fin d’année fut particulière : « On était tous très perdus. On a repris notre stage à la fin du confinement puis un dernier cours en présentiel à l’école. J’avais l’impression de ne plus être scolarisé », se souvient Tiyi Briand, qui entre en troisième année à l’Association régionale pour la formation, la recherche et l’innovation en pratiques sociales (Arfrips) de Lyon.