Cela fait des années que les profondes lacunes dans la reconnaissance de l’utilité du travail social sont pointées du doigt par les acteurs de terrain et les têtes de réseaux. Les gestionnaires associatifs d’établissements et de services voient leurs ressources humaines se tarir. De leur côté, les professionnels de la formation constatent que nombre de jeunes se détournent de ces métiers difficiles dont la perte du sens des missions dans le débat public et le peu d’espoir de les voir mieux reconnues ne motivent pas l’engagement.
Pourtant, à l’heure notamment du vieillissement de la population, du réchauffement climatique, du numérique et des inégalités sociales et territoriales qui demeurent, l’utilité des métiers de l’action sociale et médico-sociale pour prendre soin et accompagner est un enjeu pour toute la société.
Or, dans un contexte de pénurie d’étudiants et de professionnels pour accompagner des personnes dont le nombre et les besoins vont en augmentant, le risque est grand d’aller vers plus de démotivation des professionnels en exercice, plus d’absences justifiées par des conditions de travail dégradées, des risques accrus d’accidents du travail, d’invalidité et une érosion progressive de la qualité globale de l’emploi. Cet état risque de concourir au départ du secteur des solidarités de nombreux professionnels de terrain comme en statut d’encadrement.
Et bien entendu, ce sont les personnes les plus fragiles et vulnérables, celles et ceux qui n’ont pas les moyens financiers pour payer des services devenus plus rares, celles et ceux qui sont aussi les plus isolés socialement qui subiront le plus cette situation. Il ne s’agit pas de nombres ou de statistiques, mais de conséquences concrètes, à court et moyen termes, sur des vies : notre pays déciderait de fait, si rien ne change, de ne plus être en mesure d’accompagner une personne en manque ou en perte d’autonomie du fait du grand âge, d’un handicap ou de problèmes de santé, de protéger un enfant victime de violences intrafamiliales ou encore de soutenir des personnes et des familles laissées sans ressources par le chômage ou un accident de la vie. Qui va choisir alors celles et ceux qui seraient secourus ? Qui décidera de fermer la porte aux autres ?
Ainsi, au moment où le Haut conseil du travail social adopte son Livre blanc, nous souhaitons alerter fortement, d’une même voix, les décideurs publics comme l’ensemble de la société sur cette situation : il est urgent que des réponses à la hauteur soient enfin décidées !
Aucune politique publique de solidarité, aucun discours sur les droits des personnes ne peuvent en effet se traduire en réalités concrètes sans professionnels qualifiés et suffisamment nombreux. C’est un choix de société d’avoir ou non en France des professionnels reconnus, revalorisés, soutenus, avec des parcours de formation initiale et continue mieux pris en compte et financés. C’est aussi un choix financier collectif, de la nation toute entière comme de chaque citoyen de savoir quel budget nous pensons utile d’engager pour ces actions.
Car ne l’oublions pas : les acteurs associatifs sont entièrement dépendants financièrement de leurs autorités de tarification et de contrôle que sont l’État et les départements, ainsi que des régions qui ont la responsabilité des formations sociales et médico-sociales. Nous les appelons donc, au niveau national et par grand territoire de vie, à se saisir ensemble et de manière coordonnée de cette situation, en associant les acteurs de terrain, à la recherche et à la mise en oeuvre de solutions.
Et parce que la formation est un formidable espace pour expérimenter, pratiquer la démocratie participative et renforcer le pouvoir d’agir de chacun, les écoles de formation en intervention sociale doivent avoir toujours la possibilité de concevoir la formation des travailleurs sociaux comme un projet d’émancipation et constructeur de sens. Cela est d’autant plus vrai lorsque les étudiants et les professionnels qui arrivent dans les lieux de formation ne savent plus précisément le sens et les fondements des métiers auxquels ils vont être formés, du fait notamment de l’évolution des procédures d’affectation dans l’enseignement supérieur.
Par ailleurs, l’ancrage dans les réalités professionnelles passe par des parcours promotionnels, en particulier pour les étudiants en apprentissage d’une part, et pour les qualifications infra-bac d’autre part.
Cette vision d’un investissement du pays dans le travail social est celle d’un choix de société dans laquelle chaque citoyen – personne accompagnée, professionnel, acteur associatif – est reconnu comme un acteur essentiel. C’est là que les droits fondamentaux des personnes accompagnées, leur pouvoir d’agir et celui des professionnels dans et sur leur exercice quotidien, tout comme le rôle et la place prépondérants des acteurs associatifs et de formation, forment un même tenant d’une vision solidaire et inclusive de la société.
Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’imaginer des perspectives ou d’énumérer des ambitions pour le travail social et ses acteurs. Il convient de décider et d’agir avec conviction pour que celles-ci se réalisent. A défaut, il faudra constater le choix néfaste d’une société qui deviendra de fait insensible aux vulnérabilités de beaucoup.