Jean-Louis Laville : On a assisté à la déclinaison gestionnaire du néo-libéralisme. Ces quinze-vingt dernières années, les associations se sont vu imposer un ensemble de nouveaux outils pour contrôler leurs activités avec des évaluations quantitatives et technicistes, très axées sur des indicateurs sommaires de mesures d’impact. Elles ont été soumises à un ensemble de consultants qui leur ont proposé de se rapprocher des grandes entreprises. Or, pendant la crise, tous les pilotes managériaux qui se vantaient du monopole de la rationalité ont perdu leur crédibilité. A l’image de ces agences régionales de santé qui, interrogées par les associations, n’avaient pas de masques à fournir, déclarant qu’ils ne servaient à rien.
JL.L : Elles ont prouvé leur capacité à être en première ligne pour résoudre les besoins basiques de la société (alimentaires, mais aussi de lien social). Elles sont allées au front de manière improvisée. Prenant conscience que des personnes étaient vulnérables et isolées, elles ont répondu sans directives aux défis de la crise, en s’auto-organisant. Il s’est passé ce qu’on a constaté dans le service public hospitalier : les formes de management omniprésentes depuis des décennies ont révélé leur incapacité à prendre des décisions et on a redécouvert des formes de coordination horizontales, plus efficaces. On a redécouvert les capacités d’entraide de citoyens qui mettent ensemble leurs compétences.
JL.L : D’une part, on a constaté une très forte capacité de réaction des associations déjà constituées et qui fonctionnaient bien. Ce réseau a su mettre en place des formes de coordination interassociatives, travailler de façon horizontale en sortant des logiques de concurrence. Ces initiatives donnent des leçons pour envisager l’organisation de ces structures demain. D’autre part, des associations se sont créées. Et des réseaux comme Covid-entraide, qui rassemblaient notamment des personnes issues des « gilets jaunes », ont essayé de faire valoir cette capacité d’auto-organisation.
JL.L : Un scénario négatif consisterait à continuer à faire appel aux associations quand on en a besoin sans reconnaître le rôle qu’elles jouent dans la société. C’est le scénario qui se dessine quand on les renvoie à des formes de néophilanthropie. De la part des pouvoirs publics, c’est une façon de se défausser qui peut paraître inquiétante.
Un autre scénario, plus positif, repose sur une nouvelle forme d’action publique, fondée sur la co-construction entre réseaux associatifs et pouvoirs publics. Cette nouvelle coopération suppose de sortir de cette période où les pouvoirs publics ont voulu contrôler les associations. Elle suppose une confiance mutuelle. Et, pour cela, une articulation saine entre bénévoles et salariés, les salariés devant conclure des contrats de droit commun et le bénévolat être distingué du salariat. Aujourd’hui, le déficit de moyens entraîne souvent la précarisation des emplois et une forme de sous-salariat.
JL.L : Une partie du secteur associatif n’est plus dupe des modèles privés. Les associations font un travail de plus en plus important pour renforcer leur identité, être codécideuses et redevenir des structures autonomes, certes financées par les pouvoirs publics mais sans être soumises à des injonctions. Les associations ne doivent pas être mythifiées : elles sont conscientes de leurs problèmes, mais une partie du monde associatif est lancée dans une réflexion. Et cette montée en puissance de la société civile, alors que des institutions connaissent une crise de légitimité importante, constitue un mouvement planétaire. Une démocratisation est possible si l’on met en place une meilleure articulation entre les pouvoirs publics et les associations.