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Il faut requalifier les EFTS (Manuel Boucher)

Manuel Boucher est professeur des universités et président du Groupement national des Hautes écoles et instituts du travail social.

Crédit photo DR
[TRIBUNE] Suite à la publication de la tribune du sociologue Daniel Verba en faveur des « social work studies », le professeur des universités Manuel Boucher propose une autre approche. Pour le président du Groupement national des Hautes écoles et instituts du travail social, la requalification des Établissements de formation en travail social (EFTS) est l’unique voie vers un processus d’universitarisation équitable des formations sociales.

Le monde de la formation en travail social représente un champ à part entière à l’instar de celui dans lequel les travailleurs sociaux œuvrent quotidiennement. Au cours de ces dernières décennies un déferlement gestionnaire et concurrentiel est venu se substituer progressivement aux logiques de l’« État social solidariste » qui constituait jusqu’alors le cadre des travailleurs sociaux et de leurs formateurs. En effet, depuis plusieurs décennies, les acteurs de la formation n’ont cessé de devoir s’adapter aux transformations qui les ont enjoints de s’inscrire dans une logique du marché. Aujourd’hui, les Établissements de formation en travail social (EFTS) se confrontent donc à un processus d’injonction paradoxale : d’un côté, ils s’inscrivent dans un « processus de régionalisation » qui les relie au pouvoir politique local et de l’autre, ils vivent un « processus d’universitarisation » qui les enjoint (Décret n° 2018-733 du 22 août 2018 relatif aux formations et diplômes du travail social et Arrêté du 22 août 2018 relatif au socle commun de compétences et de connaissances des formations du travail social de niveau II), à faire valider les parcours de formation supérieure de leurs étudiants au sein de commissions pédagogiques présidées par des universitaires plus ou moins enclins à coopérer.

 

En effet, alors que la loi oblige les Établissements de formation en travail social à établir des conventions cadres et pédagogiques avec les universités afin de pouvoir continuer à préparer les cinq diplômes d’État de niveau 6 (éducateur spécialisé, assistant de service social…) rien n’a été prévu dans la loi ni proposé par le « Livre blanc du travail social » pour permettre aux EFTS d’établir un réel rapport d’égalité et de réciprocité avec les universités. Par conséquent, le processus d’universitarisation des formations sociales commencé depuis 2021 conduit, dans certains cas, non pas à renforcer des liens de coopération et de production de connaissances collaboratives mais, à imposer une sorte de « partenariat concurrentiel ».

>>> Lire aussi : Les « social work studies », une troisième voie interdisciplinaire pour le travail social

Ainsi, plutôt que d’opposer des approches de formation en travail social purement académiques ou praxéologiques, d’envisager la création d’une discipline propre au travail social, voire même de proposer, à l’instar des pays anglo-saxons, de constituer des « social work studies » contribuant ainsi à l’hyperspécialisation des sciences sociales plutôt qu’au développement de l’interdisciplinarité, il nous apparaît d’abord essentiel de mettre en œuvre les conditions d’une universitarisation équitable des formations sociales. Cela signifie que l’universitarisation des formations sociales ne doit pas se réaliser au détriment des écoles et instituts du travail social mais au profit d’un renforcement des coopérations et des relations de respect réciproque entre ces établissements et les universités. Il s’agit alors de faire en sorte que les EFTS consolidés dans leurs capacités à produire une formation émancipatrice appuyée sur la production de connaissances scientifiques et de savoirs praxéologiques participent conjointement avec les universités (grâce à des systèmes d’équivalence, de co-diplomation et de co-production de la recherche – et pas seulement « appliquée » ou de « recherche-action ») à la formation critique des travailleurs sociaux.

En effet, au sein du processus d’universitarisation des formations sociales, à quelles conditions est-il possible de construire un espace de qualification propre au travail social ne mettant pas pour autant en péril l’existence des EFTS dont l’approche pédagogique dite de « l’alternance intégrative » a fait ses preuves ?

Deux conditions au moins nous semblent devoir être réunies : la légitimation des EFTS comme producteurs de savoirs scientifiques et praxéologiques grâce à l’octroi de moyens dédiés à la recherche afin que ces établissements de formation contribuent à l’amélioration de la formation des étudiants en travail social par l’apprentissage de la recherche par la recherche dans une relation partenariale et de réciprocité avec les universités. Dans cette optique, il est alors fondamental que le financement de la « mission de recherche » assumée par des enseignants et formateurs chercheurs qualifiés dans les EFTS devienne une obligation réglementaire pour les pouvoirs publics ; l’institutionnalisation d’un statut de « formateur-chercheur » reconnu par l’État et les conventions collectives. Ce statut de formateur-chercheur étant conditionné par l’acquisition de savoirs pédagogiques et épistémologiques validés par la possession de diplômes de niveau master et/ou doctorat.

 

En définitive, au-delà de la création salutaire d’un Institut national du travail social dont l’un des objectifs annoncé est de favoriser la réalisation de travaux de recherche interdisciplinaire sur le champ social, les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités pour sécuriser l’appareil de formation en travail social afin que les EFTS accèdent à une réelle reconnaissance académique indispensable pour garantir, face aux logiques politiciennes, clientélistes et financières, l’autonomie professionnelle des travailleurs sociaux et des formateurs en travail social. Cette requalification et sécurisation des EFTS est indispensable que les acteurs de la formation ne cèdent pas aux logiques marchandes et de la « managérisation » et soient en capacité de penser par eux-mêmes les ambivalences du travail social pris en tenaille entre des logiques normatives et émancipatrices.

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