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Exercer en libéral : l’extension du domaine du travail social

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Caregiver with senior woman in nursing home

Photo d'illustration.

Crédit photo Pixel-Shot - stock.adobe.com
Bien qu’encore marginal, l’exercice libéral du travail social gagne du terrain. Hier circonscrit aux assistants de service social en entreprise, il s’étend aux éducateurs comme aux conseillers en économie sociale et familiale. Innovation sociale ou dérive du secteur ? Pour beaucoup de professionnels, il s’agit avant tout de redonner du sens à leur métier.

 

Libéral… Le mot, à lui seul, évoque un tabou. Celui de l’argent, de la rentabilité, de la dérégulation pour ne pas dire de l’ubérisation. L’exercice du travail social en libéral n’aurait rien à voir, en somme, avec l’ADN des professionnels pour qui prime une relation d’aide désintéressée et dépourvue d’échanges financiers. Pourtant, le phénomène n’est pas nouveau. Dans les années 1990, déjà, des assistants de service social (ASS) spécialisés dans le monde du travail commençaient à exercer à leur compte avant de mettre leurs compétences au service des particuliers. Aujourd’hui, des éducateurs et des conseillers en économie sociale et familiale (CESF) sont venus grossir les rangs des indépendants.

Combien sont-ils à avoir quitté l’institution pour s’installer à leur compte ? Plusieurs centaines, quelques milliers tout au plus ? « On n’a pas de chiffres précis, mais la pratique se développe, notamment avec les pôles de compétences et de prestations externalisées (PCPE) qui font appel à des indépendants, estime Isabelle Madeline, formatrice indépendante à l’institut régional du travail social (IRTS) de Perpignan et auteur d’un travail de recherche sur le sujet. On observe beaucoup de demandes de personnes à la porte des institutions, comme celles porteuses d’autisme par exemple. »

 

L’illustration d’un ras-le-bol

La pratique reste marginale au regard des effectifs des travailleurs sociaux qui exercent, pour l’immense majorité d’entre eux, comme salariés d’une collectivité, d’un établissement public ou d’une association. Si elle n’est pas toujours bien vue d’une profession étrangère à la culture de l’entrepreneuriat, elle n’en cesse pas moins d’évoluer et de se structurer. Surtout, cette pratique est révélatrice d’un ras-le-bol persistant chez les professionnels, nombreux à décrire une institution à bout de souffle, minée par le manque de moyens.

« J’ai travaillé comme assistante de service social dans différents services d’hôpitaux ou en Ehpad [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes], pendant une dizaine d’années. A chaque fois, j’ai eu la même impression de ne pas faire le métier dont je rêvais, explique Aurélie Bonnin, 37 ans. Je percevais une violence institutionnelle, de la maltraitance auprès des usagers et des professionnels, parce que la rentabilité avait pris le pas sur la qualité du travail. J’avais le sentiment de ne pas pouvoir travailler en profondeur, de poser un vernis sur la situation des personnes qui allait craqueler au bout de six mois. »

Libéral… Pour ceux qui font l’expérience de l’indépendance, le terme sonne avant tout comme liberté. Liberté de réinventer son métier, sans les carcans de l’institution. « Je pourrais comparer l’ASS à un peintre. Il peut composer avec plein de couleurs. Moi, j’étais bornée aux couleurs primaires, explique l’assistante sociale qui a créé sa propre structure, La Plume sociale en 2016. En institution, on est missionné. On est obligé d’arrêter l’accompagnement et de passer le relais à d’autres collègues alors qu’on aurait intérêt à continuer le travail. On reste borné à un plan d’action de court voire de moyen terme. Dans le libéral, on peut travailler en profondeur sur la situation de la personne, de manière globale et sur plusieurs années parfois. On connaît la famille et on développe un lien plus personnel. »

Ses publics ? Essentiellement des personnes âgées. Aurélie Bonnin les aide à faire valoir leurs droits, dispense un soutien psycho-social et propose de transformer les maux en mots, à travers un travail d’écriture de biographie. « Au fil de mes expériences, j’ai ressenti un vrai besoin de travailler sur la transmission des savoirs, de faire parler les personnes âgées de leur époque, avec l’objectif de lutter contre l’isolement et la solitude. Ce travail thérapeutique d’écriture de biographie, je ne pouvais pas le faire en institution. En libéral, je peux développer des projets alignés avec mes convictions et être complémentaire de l’établissement. »

 

Des publics différents

Répondre à des besoins non satisfaits, c’est souvent ce qui motive les travailleurs sociaux à s’installer à leur compte. Educatrice spécialisée, en libéral depuis quatre ans, Brigitte Lacoste a, elle aussi, éprouvé ce désir d’exercer autrement : « Dans les établissements, on accompagne l’enfant et non pas la cellule familiale. Aujourd’hui, je propose du soutien parental auprès de familles rencontrant des difficultés comportementales avec leur enfant. J’interviens auprès d’enfants qui ont des troubles de l’apprentissage, des handicaps, de la dysphasie, de la dyslexie, et je fais pas mal d’aide aux devoirs. » Installée dans la région lyonnaise, elle a lancé son activité avec une collègue, pour s’épauler dans la prospection et la recherche de financements pour les familles. Pour elle, ses services s’adressent à de nombreuses familles qui ne trouvent pas de places en institution. Et ses missions, forcément, sont différentes : « J’interviens davantage en prévention. Mais je n’hésite pas à orienter les familles vers l’institution lorsque les pathologies de l’enfant le nécessitent. »

Les indépendants s’adressent aussi à des personnes qui, parfois, n’osent pas pousser les portes de l’institution, parce qu’elles ne veulent pas être stigmatisées malgré leurs besoins. Celles qui souhaitent choisir le professionnel avec qui se faire accompagner. Comme on choisit un médecin ou un psychologue. Conseillère en économie sociale et familiale, diplômée en 2003, Elodie Quérard-Fichot a commencé son activité libérale en juin dernier, après avoir notamment passé 13 ans dans un service de tutelle. Ses cibles : les particuliers, les Ehpad ou encore les services de mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM). « Dans mon projet, j’avais à cœur de pallier l’augmentation des guichets virtuels, comme les démarches en préfecture ou les déclarations d’impôts, pour aider celles et ceux qui ne sont pas à l’aise pour les accomplir seuls. Je m’adresse aux particuliers mais aussi aux structures. Les Ehpad n’ont parfois pas un seul travailleur social pour accompagner les résidents et leurs proches. Avoir recours à une intervention libérale constitue pour eux un risque limité, avec une possibilité de résilier le contrat facilement. Et pour les services de protection des majeurs, faire appel à un professionnel est une manière de répondre au besoin social et éducatif des personnes, sans se concentrer uniquement sur les aspects administratifs. »

Avant de se lancer, elle a effectué une formation en entrepreneuriat chez Humacitia, le réseau le plus important de travailleurs sociaux libéraux. « Une solution pertinente, juge-t-elle. Le réseau permet d’éviter la solitude, de suivre les évolutions législatives et de faire une veille sociale, d’échanger entre professionnels à travers des visioconférences. » Surtout, cette société, agréée entreprise solidaire d’utilité sociale (Esus), référence les professionnels qui le souhaitent dans un annuaire (encadré page ?).

 

Tarification solidaire

Créée en 2015, Humacitia se définit comme le réseau de l’innovation sociale et non pas du libéral. « Les travailleurs sociaux de notre réseau sont des professionnels diplômés qui mettent à profit leurs compétences et leur expérience pour répondre à des besoins non assouvis, en fabriquant des réponses sur mesure qu’on essaie par la suite de pérenniser. C’est la définition de l’innovation sociale », défend son directeur général Grégory Fidile. Face à la perte de sens qu’éprouvent les professionnels, il résume à grands traits les options qui s’offrent à eux : se plaindre ou devenir acteur en décidant de faire autrement. « C’est le profil des libéraux : des personnes expérimentées, issues de structures sociales ou publiques, qui veulent agir pour continuer à développer leurs compétences au service des publics. Aujourd’hui, on souffre d’une absence d’évolution de carrière. Travailler en libéral permet d’inventer ce qui nous tient à cœur, de se réconcilier avec son métier en prenant du plaisir et en développant sa créativité. »

Reste à financer cette activité libérale. Dans le champ du handicap, la demande est forte : le secteur bénéficie de dispositifs financiers au travers les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Certaines mutuelles peuvent rembourser l’accompagnement des assistants de service social libéraux. « Nous sommes considérés comme des professionnels de santé non conventionnés, avec un numéro Adeli et enregistrés auprès de l’agence régionale de santé », rappelle Aurélie Bonnin. Mais, dans l’ensemble, le risque de l’exercice libéral reste de ne s’adresser qu’aux personnes aisées.

Certains professionnels font le choix d’adapter leur tarification aux finances de leurs clients. C’est le cas de Claire Le Boucher, assistante de service social. « On se voit une première fois pour évaluer les besoins. Je fais des propositions de devis que les personnes valident ou pas. Et je peux, dans certains cas, demander une microparticipation de 5 € à 10 € pour les personnes qui ne peuvent pas payer. » Aurélie Bonnin, qui dispense également des formations aux travailleurs sociaux, pratique des tarifs libres pour ceux qui ont de faibles ressources. Elle en fait une question de principe : « De manière générale, la relation d’aide est déséquilibrée avec, d’un côté, l’aidant en position haute et, de l’autre, l’aidé qui peut avoir besoin de se déposséder d’une dette symbolique. Lui donner la possibilité de payer le prix qui lui semble juste permet de se décharger de cette dette », justifie-t-elle.

A Humacitia, Grégory Fidile appelle à un changement de paradigme : « Les parents ne sont pas forcément opposés à assumer tout ou partie de l’accompagnement social. Il vaut mieux avoir une action sociale modulable selon la capacité financière des gens plutôt que des services engorgés qui ne répondent plus à leur mission. On ne veut pas la casse du travail social, ajoute-t-il. Il n’est pas question de remplacer le travailleur social historique par une libéralisation du secteur. Il s’agit juste d’apporter d’autres modalités d’accompagnement. » Un moyen, à tout le moins, d’étendre le champ du travail social à d’autres horizons.

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