Ce fut un élan de solidarité spontané. Dans les Bouches-du-Rhône, des citoyens ont réalisé un journal de bord en ligne pour répondre aux besoins des enfants polyhandicapés. Dans le Vaucluse, ils ont créé une émission quotidienne de radio, flash et quizz à la clé, pour les résidents d’une maison de retraite. Dans l’Eure, ce sont des artistes qui ont apporté du baume au cœur des personnes en situation de handicap. Et un peu partout dans l’Hexagone, des citoyens ont livré au domicile des plus fragiles des courses ou des médicaments, proposé une aide à la garde d’enfants ou au bricolage, apporté un soutien moral au téléphone.
C’est un fait, la crise sanitaire a suscité un renouveau de l’engagement bénévole et démontré la capacité des citoyens à s’auto-organiser. En témoigne le site Covid-entraide, qui rassemble près de 650 groupes, constitués autour d’initiatives collectives locales : on y trouve de multiples propositions d’aide, des fils d’information et des boucles de discussions sur Telegram ou WhatsApp. En témoigne, bien sûr, la mobilisation des bénévoles au sein d’associations existantes. Parmi eux, des personnes engagées de longue date mais aussi un nombre significatif de nouveaux bénévoles. Alors que les plus âgés étaient assignés à domicile pour éviter toute contamination, des actifs en chômage partiel, des étudiants disposés à donner du temps, ont pris le relais, découvrant à leur tour la précarité en France. Aux Restos du cœur, dont un tiers de ses 73 000 bénévoles a plus de 70 ans, le président, Patrice Blanc, a lancé un appel à bénévolat dès le début du confinement. « On a reçu plus de 10 000 candidatures sur notre site Internet, sans compter les propositions sur les réseaux sociaux et par téléphone », comptabilise Bruno Dumas, au pôle « bénévolat » de l’association.
Au Secours populaire français, un bénévole actif sur dix a intégré l’association pendant la crise. « Beaucoup d’étudiants qui n’ont pas repris leurs activités universitaires et qui n’auront pas de job d’été continuent à agir, » se réjouit Jean Stellitano, secrétaire national de l’association. Pendant la crise, il a vu de nouvelles initiatives fleurir comme cette centaine de collectes virtuelles lancées le plus souvent par des jeunes sur les réseaux sociaux. « Des personnes extérieures au Secours populaire qui portent notre message auprès d’un entourage qui n’est pas sensibilisé, c’est très intéressant. Auparavant, on avait vu ce type d’initiatives seulement dans le cadre de projets tutorés. »
La crise a modifié le profil des bénévoles et de fait, parfois, les activités de l’association. Des services de livraison à domicile ont été créés, les maraudes de jour se sont développées tout comme le soutien scolaire assuré pendant le confinement mais aussi pendant l’été. Les fédérations se sont mobilisées pour équiper les familles en ordinateur et en connexion Internet, et éviter le décrochage scolaire.
Preuve de cet engagement spontané, la réserve civique lancée en mars par le gouvernement a vu s’inscrire 315 000 personnes. Une offre de bénévolat considérable. Qui n’a pourtant pas croisé la demande. Car les associations, elles, ne se sont pas bousculées sur la plateforme. Difficile de dire combien de bénévoles ont réellement trouvé une mission. « Mais on pense que ça a généré beaucoup de déception, tranche Hubert Pénicaud, vice-président de France Bénévolat. Le monde associatif émet des réserves sur cette plateforme depuis que le sujet a émergé en 2015. Il faut prendre le temps de l’animer et la positionner. Il y a en France 13 millions de personnes engagées, pas toujours actives. Notre préconisation est de faire reposer cette réserve sur ces personnes, et on aura la capacité de faire de la place à d’autres. La question centrale de l’engagement, c’est l’intermédiation active. Or cette plateforme n’accompagne pas les ressorts de l’engagement. Il faut aider les associations à imaginer et adapter les missions, travailler à l’accueil des bénévoles, aider à créer du lien. »
Une chose est certaine : la crise du bénévolat est une chimère. « Toutes les études l’ont montré ces 15 dernières années, souligne Hubert Pénicaud. On est dans un moment de la société où il y a une envie très forte de s’engager, en particulier chez les 15-30 ans. Il va falloir apporter des réponses à la hauteur de la demande. » Disposer d’une armada de bénévoles, c’est bien. Savoir les accueillir, c’est encore mieux. Surtout en période de crise. Equipes réduites pour éviter les contaminations et amputées de ses bénévoles âgés souvent expérimentés, formations en présentiel interdites, réorganisation des activités : face aux contraintes, les Restos du cœur n’ont pas pu satisfaire toutes les demandes. En Loire-Atlantique, par exemple, sur 600 candidatures, seules 150 personnes ont rejoint les effectifs de l’antenne départementale. Pour les accueillir, ces nouveaux bénévoles ont été invités à suivre un module d’apprentissage en ligne. Résumant l’organisation et les valeurs de l’association, il a été imaginé en urgence pour remplacer la formation d’une journée habituellement dispensée.
Pour la commission inter-associative de France Bénévolat, qui réunit une trentaine de structures, cette question de l’intégration des nouveaux bénévoles est l’une des leçons de la crise. « Si la mobilisation des bénévoles déjà engagés a bien fonctionné, cette crise sanitaire révèle une plus grande difficulté à prendre en compte la générosité et l’envie d’agir des nouveaux volontaires, créant parfois de la frustration de part et d’autre », souligne-t-elle dans un bilan publié en juin(1). « Accueillir de nouvelles forces vives nécessite de disposer des missions adaptées permettant une bonne découverte de l’action associative, avec l’encadrement adéquat. Cela nécessite de prendre le temps d’une connaissance mutuelle pour s’assurer d’une relation claire, dans laquelle chacun se retrouve. Parfois, il faut savoir dire non parce que les conditions ne sont pas réunies à cet instant, sans pour autant couper le lien. »
Maintenir la dynamique
Ne pas couper le lien, maintenir la dynamique qu’a suscitée la crise, c’est tout l’enjeu des mois à venir. Le Mouvement associatif de Bretagne le sait : il axera ses assises régionales de la vie associative, qui doivent se tenir le 7 novembre, autour des effets de la crise et de l’engagement bénévole. « Cette réflexion va devenir une priorité nationale, explique aussi Bruno Dumas aux Restos du cœur. On a ces jeunes sous la main, on va avoir un afflux considérables de personnes accueillies. A nous de conserver ces candidatures en essayant d’adapter nos activités aux contraintes. La crise a montré qu’ils étaient prêts à faire du bénévolat. Seulement, ils sont présents à d’autres créneaux horaires, en soirée, dans les maraudes par exemple. A Grenoble, un centre a été ouvert le samedi matin grâce à une étudiante bénévole et ça a fonctionné. Avec l’avantage que certaines personnes accueillies sont des travailleurs pauvres, plus disponibles, eux aussi, le samedi. »
Beaucoup d’associations craignent la rentrée de septembre. « On va avoir une décrue de bénévoles avec la reprise universitaire », anticipe Jean Stellitano au Secours populaire français. Sans compter les plus âgés qui, après plusieurs mois d’absence, ont pu occuper leur temps libre autrement. « Les associations devront rassurer leurs adhérents en mettant en place les normes sanitaires », recommande Gwendoline Beniddir Conan, du Mouvement associatif de Bretagne. « Le risque, estime pour sa part Hubert Pénicaud à France Bénévolat, serait de tourner la page, sans prendre la mesure de ce qui s’est passé pendant cette période. On préconise de tirer les enseignements et de se raconter, entre bénévoles les nouvelles solidarités mises en place, les difficultés identifiées. Si on ne prend pas la mesure de ce qui a été vécu, des manques, des initiatives, on risque de passer à côté de l’essentiel. Pour fidéliser les bénévoles, il faut prendre le temps de donner du sens à ce qu’ils ont fait. »
En filigrane, se dessine un autre chantier. Pour mieux accueillir les bénévoles, il faudra redonner de la capacité d’agir aux associations sociales et médico-sociales souvent cantonnées à des rôles de gestionnaire de l’action publique. « Ce ne sont pas les procédures d’appel à projet qui créent l’innovation sociale, justifie Michel Jézéquel, directeur de l’association Don Bosco à Landerneau (29). Nos organisations, contraintes par les protocoles et les financements de l’Etat et des collectivités territoriales, n’attirent pas les jeunes. Pour mobiliser ces acteurs, il faut faire émerger cette capacité d’initiative. » Son association, qui compte 1 200 employés, a montré la voie en renforçant la participation des salariés et des bénévoles, multipliant par dix le nombre de ses adhérents. Elle a mis en place un fonds de dotation pour financer des actions de sa propre initiative auprès des mineurs non accompagnés. Elle a aussi créé trois sociétés coopératives d’intérêt collectif dans les secteurs de la petite enfance, de la restauration collective et de l’insertion. « Toute la construction de l’action sociale est née de l’engagement de personnes qui font émerger des questions invisibles dans la sphère publique et donnent naissance à des projets sociaux et médico-sociaux. » Le constat est partagé par de nombreux responsables associatifs : alimenter le vivier des bénévoles et leur capacité d’initiative passera aussi par une émancipation vis-à-vis des pouvoirs publics, pourtant peu enclins à reconnaître leur rôle dans la société.
(1) L’engagement bénévole en temps de crise sanitaire : bilan et enseignement, juin 2020.