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Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale : « Le plan B est un plan humain »

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Président du Conseil pour l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique à l’université de Paris-Saclay, directeur de l’Espace de réflexion éthique de la région Ile-de-France, Emmanuel Hirsch est l’auteur d’une Démocratie confinée. L’éthique quoi qu’il en coûte (éd. érès, 2021).

Crédit photo Espace de réflexion éthique Ile-de-France
Référence en matière d’éthique médicale, Emmanuel Hirsch revient sur les processus décisionnels à l’œuvre depuis le début de la pandémie, lesquels n’ont pas pris en compte les savoirs expérientiels des acteurs de terrain.

Actualités sociales hebdomadaires : En quoi la démocratie est-elle confinée, comme l’évoque le titre de votre ouvrage ?

Emmanuel Hirsch : Dans un contexte d’incertitude, il faut faire appel à la confiance et à l’intelligence humaine, qui permettent de conserver quelques repères pour ne pas laisser les plus vulnérables sur le bord du chemin. Cet engagement recouvre d’autres exigences, et particulièrement l’explication, la transparence, la loyauté. Or, depuis le début, des louvoiements apparaissent selon des considérations qui échappent parfois à la rationalité. En ce qui concerne la vaccination, par exemple, le ministre de la Santé a déclaré au départ qu’il ne s’agissait pas de confondre vitesse et précipitation. Puis, du jour au lendemain, il a changé de doctrine. Cela a créé une opacité entre le discours politique et l’intérêt général. Les citoyens ont le sentiment d’être piégés par des choix dont ils ne comprennent pas sur quelles bases ils sont fondés. D’où les controverses et la défiance. Nous évoluons dans un arbitraire à solennité présidentielle. Les médias ont été la seule enceinte d’expression, sans, pour autant, que nous ayons tous les éléments d’interprétation. Nous avons baigné dans le « commentarisme » au jour le jour. A la gravité et à la complexité d’un phénomène inattendu s’est ajoutée une gestion chaotique, hiératique et solitaire de la crise. Il n’y a pas que la démocratie qui soit confinée, mais une part déterminante de ce qui constitue la vie en société. Nous ne pouvons nous résoudre à des données quantitatives.

ASH : À quoi pensez-vous concrètement ?

E. H : Certaines familles ont souhaité qu’un hommage national soit rendu aux morts de la Covid-19. Le refus du président de la République m’a choqué. Ce geste pouvait représenter un moment charnière pour partager nos émotions, nos valeurs de respect et de mémoire. Tout ce qui est essentiel d’humanité aurait pu être convoqué. L’absence de ces personnes justifiait de la considération et méritait mieux qu’un tweet du chef de l’Etat annonçant que la France avait passé le seuil des 100 000 victimes. C’est comme si ces décès étaient déjà mis dans la balance des pertes et profits, sans qu’aucune leçon ne soit tirée. En Allemagne, des bougies ont été allumées pour honorer les disparus. La pandémie représente un traceur fort – dont on ne mesure pas encore toute l’ampleur – qui touche à l’intime, à nos représentations de ce que constitue la vie, la mort, la souffrance, l’altérité. Nous sommes collectivement marqués. Nous avons besoin de retrouver de la cohésion sociale et un projet qui nous donne envie de vivre ensemble, et ce qui pourrait être le plus constitutif de ce travail de réparation est bafoué. Le pari repose sur l’espoir d’enrayer le coronavirus et que les gens oublieront. Certes, à condition de ne pas se heurter aux variants et à une crise sociale.

ASH : N’avons-nous vraiment rien appris de cette pandémie ?

E. H : Dans un premier temps, l’urgence consistait à agir. Nous n’avions pas d’autre possibilité que d’accepter les mesures de restriction, dans un consentement présumé. Ensuite, il était fondamental d’associer les citoyens aux délibérations relatives à l’« après », car nous savions que la chronicité allait s’installer. Cela n’a pas été le cas et ne l’est toujours pas. Face à l’impréparation du début, les espaces relégués de notre société – que ce soient les établissements accueillant les personnes handicapées, âgées, précaires, exilées, les hôpitaux psychiatriques, les prisons – ont vécu l’inacceptable. Pourtant, ils ont su se mobiliser très vite. Tous les « invisibles » de notre démocratie, et pas seulement les équipes soignantes, ont témoigné d’une intelligence pratique, d’une réactivité sans faille. Depuis, les attentes, les besoins, les propositions de ces acteurs de terrain n’ont engendré aucun débat, aucune attention. Héros pendant quelques semaines, applaudis, salués, ils sont passés aux oubliettes. C’est omettre que les choix politiques exigent des arbitrages démocratiques qui conditionnent leur recevabilité. La vie culturelle a été jugée non essentielle. Pour moi, elle est suressentielle. Le seul registre pour communiquer a été l’infantilisation et la culpabilisation. L’éthique, c’est la faculté d’un questionnement.

ASH : Les scientifiques ne sont-ils pas les seuls experts dans un tel contexte ?

E. H : L’épidémie n’est pas qu’une affaire d’expertise médicale. Elle frappe la société à tous les niveaux et agit comme un révélateur de nos fragilités, mais aussi de nos forces. A côté du conseil scientifique, un conseil en sciences humaines et sociales aurait pu être mis en place. De même, le gouvernement aurait pu répertorier les actions locales innovantes. Les patients guéris auraient pu être sollicités pour que nous apprenions d’eux, ils avaient une expertise légitime. Tous les savoirs expérientiels ont été considérés secondaires. Nous aurions pu nous appuyer sur ce qui s’était produit pendant les années « sida », où tout a été inventé, où les malades se sont mobilisés et ont permis à la société d’avancer en l’éclairant avec l’aide des soignants, des intellectuels, des artistes, des bénévoles. Cette dimension est rejetée aujourd’hui. En ne s’ouvrant pas à l’humilité et à l’écoute de l’autre, nous sommes passés à côté de choses importantes. Comme tombés dans l’amnésie. Pourtant, chacun a eu le temps de revenir à lui-même, à un état très existentiel. Il y avait donc une opportunité à consulter la société, à prendre en compte la diversité des points de vue afin que chacun soit responsabilisé face aux enjeux. Au lieu de cela, les décisions ont été prises dans une sorte de huis clos pouvant déboucher sur du ressentiment.

ASH : Vous dites que les élites ne sont pas forcément toujours là où l’on pense…

E. H : Effectivement, nous avons besoin d’élites, mais celles qui sont le plus engagées, au plus près de la réalité, sont peut-être les plus importantes. Le combat des auxiliaires de vie, des aides à domicile, par exemple, est digne des élites. Elles assument dans l’indifférence la plus totale des fonctions indispensables. Elles sont les dernières représentantes de personnes âgées et handicapées dans la cité. Face aux défis à venir, les connaissances de terrain ont une valeur extraordinaire. Durant cette crise, toutes sortes de dynamiques et de capacités à se dépasser se sont exprimées, que ce soit dans les Ehpad ou ailleurs. Dès la fin du premier confinement, on avait à conjuguer la lutte contre la pandémie et la vitalité d’une société, qui pouvait aboutir à une reconstruction de notre contrat social. Nous ne sommes pas faits pour comprendre seuls ce que nous devrions appréhender à plusieurs. Cette culture du dialogue manque. Des états généraux ont été lancés sur la laïcité. Pourquoi ne pas en organiser sur la crise sanitaire ? Ce n’est pas avec des milliards que l’on refera société. Le plan B est un plan humain.

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