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Chronique : Tu tires ou tu pointes ?

Crédit photo Angès Druesne
Avec sa plume ironique et tendre, Pinki Blenders raconte sa vie d'assistante sociale chaque mois dans les ASH. 

C’est la dernière séance de l’année, alors on s’est dit avec les voyageurs qui participent à l’atelier d’apprentissage de la lecture, qu’on pourrait bien fêter ça. Une dizaine d’hommes et de femmes se mobilisent une fois par semaine pour apprendre à tracer son nom, rédiger une lettre ou lire un article. C’est toujours dans la bonne humeur, entre les blagues de Jacky, le doyen, et les maladresses de Tyson, le plus jeune de la bande, on ne s’ennuie jamais, mais on apprend toujours. Entre deux dictées, je commence à mieux les connaître, l’un raconte son week-end, l’autre les dernières bêtises du petit dernier, un autre ses envies d’acheter un terrain rien qu’à lui. Pour la travailleuse sociale que je suis, c’est un formidable champ d’observation. La discussion informelle fait tomber les barrières. On est détendus. On a confiance. Une sorte de lien privilégié se crée même :

– Tu sais Pinki, si un jour, t’es en panne sur la route, tu nous appelles, on arrive illico !

– Merci les gars.

Avec les femmes, on échange sur les recettes de cuisine, et aussi sur les aspirations secrètes en aparté, comme les prémices de nos prochains entretiens individuels. L’espace des échanges informels est un espace unique dans la rencontre et contribue grandement à rendre plus efficace un accompagnement global de la personne. L’intervention collective est un vecteur privilégié de l’échange informel.

Mais aujourd’hui, c’est la fête ! Bryan a apporté sa guitare et Mélinda chante sous le balcon de l’Ehpad. Du coup, les résidents sortent le bout de leur nez et frappent dans leurs mains. James se remet au tressage de panier avec son père. Jacky, l’air débonnaire, déballe ses boules de pétanques :

– Je suis le roi de la pétanque ! Je vais vous montrer comment on joue, moi !

Tout le monde rit parce que Jacky, c’est surtout le roi de la frime. Paolo m’apprend quelques mots de vocabulaire manouche, mais tous éclatent de rire lorsque je tente de les prononcer. Ils redoublent de rire lorsque je demande bêtement comment ça s’épelle avant d’oublier :

– Ah tu nous fais rire ! Chez nous, ça s’épelle pas ! Ça se parle !

Roxana ouvre une boîte pleine de gâteaux au chocolat confectionnés maison avec une pointe d’appréhension puis, devant les compliments de l’équipe, une fierté non dissimulée. Moi, je remplis les tasses de café. A présent tous connaissent mon addiction à la caféine :

– Ouais, une assistante sociale sans café, dit Bryan le poète du groupe, c’est un peu la statue de la liberté sans la flamme !

Roxana s’assoie près de moi. Nous parlons. Nous rions. Puis le ton devient plus feutré :

– Je sais pas si je serai capable de conduire un jour…

– Eh ! Tu tires ou tu pointes ! crie Jacky à Tyson qui s’apprête à faire un carreau…

Une petite phrase au milieu de nulle part, comme une perche tendue que j’accueille et conserve pour les instants où nous serons seules. Nous nous reverrons dans l’intimité de mon bureau, pour accompagner ce désir d’émancipation. Parce qu’à ce moment précis, c’est dans ses yeux que je vois la flamme de la liberté.

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