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Catherine Galopin : “Les émotions ne se gèrent pas, elles se partagent”

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Membres de l’Association nationale des assistants de service social (Anas), Catherine Galopin (à gauche) et Alexandrine Laizeau (à droite) sont co-auteures de l’ouvrage Engager ses émotions dans la relation d’aide, éd. Presses de l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP).

Crédit photo DR
Très peu abordées dans la formation des travailleurs sociaux, les émotions sont pourtant au cœur de la relation d’aide comme le rappelle Catherine Galopin. D’où l’importance de les identifier et de les écouter pour en faire une force et donner du sens à l’intervention sociale.

Comment la question des émotions est-elle abordée dans le travail social ?

C’est précisément parce que ce sujet n’est pas vraiment abordé que ma collègue Alexandrine Laizeau et moi avons décidé d’écrire ce livre. On a partagé le même bureau pendant cinq ans et on a beaucoup parlé des situations que nous rencontrions, de la manière dont nous les vivions. Paradoxalement, on avait l’impression que c’était quelque chose qui restait entre nous. Ce n’était ni discuté, ni évoqué au niveau des équipes. Je ne sais pas comment le sujet est abordé dans les formations initiales aujourd’hui. Mais il y a une trentaine d’années, on nous enseignait implicitement ou explicitement à ne pas exprimer nos émotions. Il fallait rester le plus neutre possible, être un miroir. Ce positionnement ne fonctionnait pas avec moi. A mon insu, je laissais passer mon étonnement, ma tristesse quand une situation me touchait… Et c’était justement cela qui permettait d’amorcer la communication avec la personne en face de moi. D’où l’envie, avec Alexandrine, de creuser ce sujet d’autant que, en 2015, nous avons participé aux Etats généraux du travail social lors desquels cette question a émergé.

 

Quelles sont les conséquences de ce tabou dans la relation d’aide ?

L’idée est que les professionnels restent le plus objectif possible. Mais la neutralité n’existe pas dans la relation d’aide. Nous ne pouvons pas traiter toutes les situations de la même manière, c’est un fantasme. Le sociologue David Le Breton écrit très justement dans son livre Les passions ordinaires (éd. Payot 2004, ndlr) qu’un homme qui pense est un homme affecté. Les émotions sont une façon d’avoir confiance en ce qui est le plus humain chez nous. Les récits des travailleurs sociaux sur des situations cliniques transpirent de ce qu’ils ressentent même s’ils ne le décrivent pas. Dans un premier temps, nous avons réfléchi sur les représentations des émotions et leur évolution. Il subsiste une méfiance et une dichotomie entre raison et émotion comme l’illustrent des expressions comme « la peur est mauvaise conseillère ». Ce n’est peut-être pas tout à fait vrai. Une émotion est un signal. La peur peut indiquer un danger dont il faut se protéger, la colère peut être l’indice d’une injustice, de nos limites. Certaines colères ont changé le monde. Les émotions permettent non seulement d’évaluer ce que l’on vit mais aussi d’amorcer et d’accrocher une relation. On est touché, choqué, dégoûté, rassuré… Notre propre histoire compte aussi. Je m’occupe de personnes âgées dépendantes donc je suis en contact avec la maladie, la fin de vie, cela me renvoie forcément des choses.

 

Quelles émotions reviennent le plus souvent dans la pratique ?

Toutes. Mais il est essentiel de les identifier, de les nommer, de les conscientiser. On peut être dans le déni de nos propres émotions, vivre des situations de blocage : on parle de « nœud émotionnel ». Il y a des situations dans lesquelles, sans savoir pourquoi il nous est difficile de travailler avec une personne ou d’aller chez elle. La première des choses est d’essayer de comprendre pourquoi on ressent cela. A partir de là, la sensation dégonfle. Mais effectivement, on peut être traversé par la colère, en avoir marre d’un usager, ne pas le supporter ou, au contraire, être content de le voir… Il ne faut surtout pas faire comme s’il ne se passait rien. Le travail social est d’abord un métier de la relation, de la sensibilité à l’autre. Sans empathie cognitive, sans curiosité envers l’autre, c’est difficile. Il faut toujours avoir en tête que celui-ci est différent de nous. Sa culture, son expérience, ne sont pas les mêmes et si tout le monde ressent des émotions, chacun a sa manière de les exprimer et même peut-être ses propres solutions. Les émotions ne se gèrent pas contrairement à ce que l’on essaie de nous inculquer pour les contenir, notamment dans le développement personnel. Elles se partagent. L’émotion est un sens au même titre que la vue l’ouïe, le toucher… Parfois, on éprouve une dissonance avec ce qu’une personne nous relate et ce que l’on perçoit. Les travailleurs sociaux mais aussi les aidants développent, en général, des compétences émotionnelles. Dans certains cas, lorsqu’il y a surcharge de travail, lorsque l’on perçoit des messages contradictoires, lorsque l’on se sent constamment « sous pression », l’empathie peut se perdre… Dans ce cas, on arrive à un brouillage émotionnel pouvant entraîner de graves répercussions physiques et psychiques.

 

Cela vous est-il déjà arrivé ?

Oui, dans des situations de surcharge de travail et d’accélération du temps avec les outils numériques. On ne peut plus se poser. Or on ne peut pas rester insensible à certains moments dans la protection de l’enfance, la dépendance, l’exclusion. Chaque travailleur social exprime ses émotions à sa manière mais je ne pense pas que l’on puisse les taire. Parfois, j’étais tellement touchée que cela se lisait sur mon visage. Cela peut aider l’autre dans le sens où c’est une reconnaissance de sa propre souffrance. Mais il faut être vigilant. Ainsi, si je ressens de la sympathie pour quelqu’un, peut-être que je vais occulter quelque chose. Concrètement, les émotions excluent le savoir tout fait. Elles permettent d’aller au-delà des procédures ou des dispositifs qui sont des outils. On a tous remarqué que lorsque l’on consulte un médecin qui prend le temps de nous écouter, on ressort peut-être avec peu de médicaments mais on va les prendre parce qu’il s’est passé quelque chose entre lui et nous. Une confiance s’est installée. Tout travailleur social est partie prenante de l’institution. Il en est le produit et le producteur. Et, parfois, il se retrouve écartelé entre son engagement et les exigences institutionnelles. Le travail social a toujours été confronté à cette fracture, ne serait-ce que parce qu’une loi peut avoir des effets injustes. Il faut prendre conscience de ses limites et être le plus honnête possible avec la personne accompagnée.

 

Finalement, ces réactions sont-elles un atout pour le travailleur social ?

Elles représentent une force potentielle et une compétence à valeur égale de la technique et de savoir-faire lorsqu’elles sont conscientisées et partagées. Elles peuvent faire émerger le caractère inopérant du « prendre en charge ». Elles dévoilent les inégalités sociales, nous obligent à questionner notre rôle et nos postures vis-à-vis de l’usager. Mais tout se passe comme si cette subjectivité était mal vue, comme si en parler ne « faisait pas sérieux », comme si c’était une histoire de femmes un peu hystériques… Quand les émotions sont échangées, entendues, respectées, elles sont le terreau de l’amélioration de la qualité du travail. Le fondement de l’intelligence de notre métier.

 

 

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