« La négociation d’un dossier de siège doit être stratégique, politique, active, ne pas se limiter à une pure et simple demande de reconduction à l’identique. » C’est fort de cette conviction que, en 2018, Prosper Teboul, directeur général d’APF France handicap, a renégocié auprès de l’agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France les contours du siège autorisé de cette association nationale, gestionnaire de 550 établissements et comptant près de 15 000 salariés. Il a décroché de nouveaux postes, et un taux de frais de siège assez nettement supérieur au précédent. Un projet d’une telle ampleur ne peut être porté par une seule personne. « L’enjeu consiste aussi à fédérer les équipes pour mener ces négociations. Le projet se doit d’être collectif et offre l’occasion d’expliquer à tous les différentes options possibles », observe Guillaume Fritschy, directeur de l’Uriopss Occitanie (union régionale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux). Un préalable et un effort de pédagogie indispensables aussi, selon Marie Aboussa, directrice de l’offre sociale et médico-sociale chez Nexem, pour éviter par la suite la « dichotomie » entre siège et établissements. La réflexion commune autour du document unique de délégation peut offrir cette opportunité, note sa collègue Sophie Bourgeois, conseillère « gouvernance et développement associatif ».
Autant dire que lorsque les associations gestionnaires sont dotées d’un siège, son rôle, ses contours, bien sûr aussi les sommes dévolues à son financement, deviennent un enjeu central. Mais une forme de flou subsiste : il règne une relative confusion entre sièges sociaux des associations gestionnaires, et sièges autorisés, négociés avec les autorités de tarification. De plus, l’article R. 314-88 du code de l’action sociale et des familles qui traite des frais de siège, date de 2004 et mériterait, de l’avis général, un dépoussiérage. Enfin, s’il n’existe pas de taille minimale pour disposer d’un siège, en pratique, peu de gestionnaires ayant la charge de moins d’une dizaine d’établissements s’en dotent. Ce qui amène les secteurs de l’hébergement et de l’insertion, de la protection de l’enfance, ou les Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), à en être moins fréquemment pourvus que les établissements et services en lien avec le handicap.
Multiples missions
Choisir de mettre en place un siège autorisé ne garantit pas aux associations de disposer de davantage de moyens financiers, avertit Guillaume Fritschy, d’autant que l’important dans la négociation avec les financeurs ne tient pas uniquement au taux de frais de siège qui sera accordé (compris entre 2,8 % et 6 % au sein des structures ici interrogées) mais aussi au nombre des fonctions qui lui incomberont. Autrement dit, une association qui décrocherait 5 % de frais de siège mais devrait assurer des fonctions, y compris logistiques, au sein des établissements pourrait finalement bénéficier de moins de moyens financiers que son homologue qui s’en serait vu accorder 3 % mais dont certains besoins des établissements pourraient trouver d’autres sources de financement dans le cadre de leurs budgets de fonctionnement. En somme, tous les cinq ans, plane une forme d’épée de Damoclès au-dessus des directions des associations gestionnaires. Guillaume Préveraud, directeur de l’Adapei Charente (association départementale de parents et amis de personnes handicapées mentales), vient justement de déposer son dossier de renouvellement auprès de l’ARS Nouvelle-Aquitaine, et pour tenter d’affiner sa demande, il a réalisé lui-même une enquête empirique auprès de diverses structures du département.
Car le flou sur les contours des sièges complique la donne. Malgré tout, ils agrègent de plus en plus de missions. « Des fonctions jadis perçues comme accessoires ou support commencent à prendre de l’ampleur, comme les directions des achats, des systèmes d’information ou les services de soutien au réseau et de recherche de mécénat et financements alternatifs », remarque Marie Aboussa. De façon générale, les associations gestionnaires laissent aux structures qui les composent la charge de l’opérationnel et rassemblent au sein de leurs sièges le contrôle interne, la qualité, et des fonctions « régaliennes » (paie, patrimoine, finances, parfois communication…). Une organisation qui doit permettre une « harmonisation entre les établissements », explique Prosper Teboul, appuyé par Guillaume Fritschy, qui y ajoute la notion de « mutualisation ». Magali Monnier, fondatrice et dirigeante du cabinet MGP Conseil confirme, estime qu’un siège doit permettre à la direction générale « d’anticiper, de prendre les meilleures décisions possibles et de disposer d’une bonne visibilité ».
En somme, selon Prosper Teboul, le maître-mot est la subsidiarité. « Nous devons nous assurer de l’effectivité, du nombre et de la qualité des services rendus aux établissements pour qu’ils considèrent que le prélèvement réalisé sur les établissements au nom des frais de siège est légitime. Nous devons les accompagner pour faciliter leur quotidien. » « Le siège est un outil au service du fonctionnement des établissements, y compris lorsqu’il exerce sa mission de contrôle », insiste Guillaume Fritschy, rejoint par Marie Aboussa qui n’hésite pas à les qualifier de « plaques tournantes », dont l’expertise technique garantit une cohérence d’ensemble.
Mais les sièges doivent aussi s’extirper de la gestion du quotidien. On les voit ainsi souvent à la manœuvre lorsqu’il s’agit de coopérer avec d’autres associations, soutenir les plus petites qui ne disposeraient pas d’un siège, ou répondre ensemble à des appels à projets.
Ils portent également les projets de transformation de l’offre et les innovations. Prosper Teboul les qualifie de « leviers d’agilité », et liste des exemples : le déploiement du numérique en santé, que les établissements ne pourraient opérer seuls ; l’habitat inclusif, qui a nécessité des investissements pour être expérimenté ; la mise en place d’une politique de responsabilité sociale des organisations (RSO), qui requiert une impulsion de la direction générale. Seuls, les établissements ne disposeraient ni des moyens humains ni des ressources financières pour innover.
Enfin, les sièges offrent aux pouvoirs publics un interlocuteur unique, identifié. « Cela rassure les financeurs », confirme Magali Monnier, même si certains renâclent à accorder des frais de siège en dépit de ce qu’ils en attendent.
De quoi décourager certaines demandes ? L’Association belmontaise de service et d’accompagnement pour personnes handicapées (Abseah), qui réunit 120 équivalents temps plein et gère dans l’Aveyron cinq ESMS et une entreprise adaptée, a en tout cas choisi de se passer d’un siège. Son directeur général, Jean-Marie Faugier, préfère centraliser un certain nombre de fonctions administratives, sans aller plus loin, pour conserver « de la souplesse sur le plan budgétaire ». Il lui paraît plus simple de financer tel poste de secrétariat ou telle fonction transversale temporaire directement au travers des excédents de budget des établissements. Il revendique aussi de conserver une organisation à dimension humaine.
Possible confusion des rôles
C’est l’un des reproches parfois adressés aux sièges : leur caractère hors-sol, éloigné du terrain, dont tous se défendent pourtant, qui en pointant l’existence de directions régionales pour y remédier, comme APF France handicap, qui en évoquant de nombreuses visites de terrain, comme l’Agapei (voir ci-contre).
Autre risque associé à l’existence d’un siège : celui de la confusion entre le rôle hiérarchique de la direction générale et sa fonction de service aux établissements, selon Guillaume Fritschy. « Au travers des fonctions de contrôle, de qualité, ou de la direction des achats, certains peuvent avoir le sentiment de perdre de leurs prérogatives », reconnaît Guillaume Préveraud. Pour écarter cette tentation de tout vouloir diriger depuis le sommet de la pyramide, Bérangère Lauren Szostak, professeure des universités à l’université de Lorraine, invite à respecter les « situations uniques » de chacun, à impulser des « principes directeurs plutôt que des règles strictes » : « Les valeurs de l’association se déclinent différemment, en fonction des contextes. »
Pour la chercheuse, la multiplication des sièges s’inscrit dans la « tendance à la managérialisation du secteur ». De quoi l’inciter à la vigilance et à recommander que les sièges offrent un « espace démocratique, de dialogue et de réflexion globale ». Dernière préconisation : « Ne jamais oublier la raison d’être initiale de l’association, se souvenir collectivement de ses valeurs et de son projet politique. »
Alternative : les groupements de coopération sociale et médico-sociale
Les unions départementales des associations familiales (Udaf) de l’Hérault et du Gard ne disposent pas de siège et ont choisi de créer ensemble un groupement de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS). Le point de départ a été la volonté de chacune de recruter un responsable des ressources humaines (RH), mais aucune des deux ne pouvait en assumer la charge à elle seule. Espace du Sud est né en juillet 2019, après un an et demi de travail acharné, entre autres de négociation avec pas moins de trois autorités de tarification. Au-delà du recrutement du responsable RH, nombre de fonctions sont désormais mutualisées. Marc Pimpeterre, son administrateur, y voit l’opportunité de répondre à des appels à projets. Autres perspectives : la mise en place d’un délégué à la protection des données, la réflexion autour de nouveaux logiciels métier, un possible travail commun autour de la qualité… « Le rôle d’administrateur est chronophage, concède Marc Pimpeterre, mais il nous en fera gagner ensuite. » Rien n’entache l’enthousiasme du professionnel devant ce projet abouti, mais il prévient toutefois qu’une telle construction requiert une confiance mutuelle entre les associations qui la composent et donc, sans doute, de bien se connaître au préalable.
Fréquentes visites aux établissements
« Si les établissements n’existaient pas, nous ne serions pas là. L’inverse n’est pas vrai. Il convient de se souvenir de qui est au service de l’autre. » Sébastien Pommier, directeur général de l’Agapei, s’appuie sur cette idée pour éviter l’un des écueils que peuvent, selon lui, rencontrer les sièges des associations : « l’amnésie du dernier kilomètre ». L’Agapei (Association de gestion des établissements des associations départementales de parents et d’amis des personnes handicapées mentales), née de la fusion des Adapei du Tarn, du Gers et de la Haute-Garonne, pourrait d’autant plus affronter ce danger que pas moins de trois heures de route séparent le siège de l’établissement qui en est le plus éloigné.
Bien sûr, les fonctions présentes au siège, qui vient de renouveler son autorisation pour la deuxième fois, assurent qu’il s’avère utile aux structures médecine du travail, formation, ressources humaines, qualité, systèmes d’information, services financier, juridique et du patrimoine, ou encore communication. Mais Sébastien Pommier estime indispensable que lui-même et les autres cadres dirigeants visitent régulièrement les différents établissements. Pour sa part, tous les deux mois, il effectue un déplacement dans l’un d’entre eux et les laisse déterminer l’ordre du jour, les personnes qui participeront aux échanges… Une façon aussi d’éviter le deuxième piège qui pourrait se présenter à sa direction générale : « le jacobinisme », une centralisation excessive.
Toutefois, il veille à assurer une cohésion des équipes et réunit deux fois par an les 80 cadres intermédiaires, autour d’une thématique, en mai la réforme Serafin-PH et la transformation de l’offre.
Il profite de ces déplacements pour échanger avec les pouvoirs publics locaux car, souligne-t-il, les sièges ont aussi une fonction de représentation, de même qu’un rôle d’interface entre salariés et administrateurs. En somme, résume-t-il, un siège doit « impulser, accompagner, contrôler » et largement s’adapter aux contextes locaux. En l’occurrence, il doit jongler entre un environnement très rural ou tout à fait urbain, selon qu’il se préoccupe d’un de ses établissements toulousains ou d’une structure du Gers.
Et pour cela, il tient à ce qu’ils conservent une part de liberté. Et contrairement à nombre d’autres dirigeants interrogés, lui estime qu’il conviendrait de ne pas trop réguler ni trop définir précisément ce que doivent regrouper les sièges des associations.