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Livre blanc du travail social : penser le genre

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Le travail social reproduit des normes de genre.

Crédit photo DR
Le Haut Conseil du travail social (HCTS) poursuit ses auditions en vue de la rédaction du « Livre blanc du travail social », qui devrait être remis en juillet au gouvernement. Lundi 15 mai, cinq chercheurs interrogeaient les questions de genre. Une réflexion essentielle pour favoriser les mutations du secteur.  

Un « impensé », un « angle mort » du travail social… En s’attaquant au concept du genre, lundi 15 mai, lors de l’acte 4 de la préparation de son Livre blanc, le Haut Conseil du travail social (HCTS) a choisi de mettre en lumière une problématique rarement abordée. Impensée parce que la recherche française accuse encore du retard par rapport à d’autres pays, selon Marc Bessin, directeur de recherches au CNRS. Impensée parce que les formations initiale et continue, mettant l’accent sur les violences sexistes et sexuelles, « passent sous silence la dimension structurelle du genre », objecte Coline Cardi, maîtresse de conférences en sociologie à l’université Paris 8. Impensée, et pourtant ô combien essentielle.

Le genre, comme le rappelle Véronique Bayer, directrice de l’institut de formation de l’Essonne (Irfas), citant le Manuel des études sur le genre (1), peut être défini comme un « système hiérarchisé entre les sexes (hommes/femmes) et entre les valeurs et représentations qui leur sont associés ». Le travail social, dans ses pratiques professionnelles mais aussi dans la conception des politiques publiques, n’échappe pas à la règle : il reproduit des normes de genre, particulièrement dans les domaines de la protection de l’enfance et du soutien à la parentalité, de l’accompagnement des personnes âgées, des femmes victimes de violences ou encore des sans-abri.

9 professionnels sur 10 sont des femmes

D’abord, l’organisation du travail social est particulièrement genrée. Qu’on en juge : neuf professionnels sur dix sont des femmes. Plus les secteurs sont proches du soin (vieillissement et handicap notamment), plus ils sont féminisés. A contrario, les hommes occupent plus souvent des postes d’encadrement. Les valeurs du travail social, liées au « care », au soin et au « prendre soin », sont elles aussi genrées.

De manière schématique, Marc Bessin identifie deux pôles : le masculin, qui « agit à partir de lui-même », et le féminin, qui « agit en fonction des autres ». Aux hommes l’efficacité et la rationalité ; aux femmes, le tact et le soin de l’autre, en quelque sorte. « Les hommes voient leur action valorisée lorsqu’ils exercent leur autorité grâce à leur force physique, par exemple dans les centres éducatifs fermés », détaille Véronique Bayer. Elle ajoute : « Les métiers du secteur social et médico-social souffrent d’un manque de reconnaissance et d’une invisibilisation des compétences parce qu’ils sont associés aux tâches effectuées dans la sphère privée. »

Des femmes SDF invisibilisées

Ces constructions sociales ne sont pas sans conséquences sur la prise en charge des publics. En témoigne le travail de soutien à la parentalité. « Le droit et les politiques sociales reconnaissent la possibilité de “faire famille” différemment. Or, sur le terrain de la protection de l’enfance, subsiste une forme de résistance où le modèle traditionnel de la famille reste très actif, avance la sociologue Coline Cardi. De manière générale, la figure de la mère au foyer a été mise à distance. Mais c’est au regard de cette figure que les femmes des milieux populaires restent jugées. » Aussi le poids des stéréotypes dans le travail social interroge-t-il son rôle émancipateur.

Dans son intervention, Marie Loison montre combien la prise en charge des femmes sans-abri s’avère androcentrée. « Les dispositifs qui leur sont dédiées connaissent des taux d’occupation importants mais ils n’ont pas accueilli les femmes qui en étaient destinataires. Les besoins de première nécessité– le repos, l’hygiène, l’alimentation – y sont en partie assouvis. Mais ces femmes, aujourd’hui majoritairement étrangères, se distinguent des profils de “grandes cassées”. Elles sont plus sans domicile que sans abri, et cherchent davantage un accès à la santé et aux droits. » Formulant une série de recommandations, l’universitaire propose de manière prioritaire d’interroger « les catégories et les représentations androcentrées ». Elle suggère également de réserver aux femmes des espaces de non-mixité : « Quand on laisse la mixité s’opérer, elle devient une non-mixité masculine. »

Le piège des stéréotypes de genre

Soulignant la nécessité de ne pas culpabiliser les acteurs, Marc Bessin invite à « engager des temps de réflexivité qui posent la question des stéréotypes de genre et des inégalités ». Il met en garde contre le piège de la « masculinisation » du métier : « Souvent, la mixité est abordée sous le prisme de la complémentarité des sexes. Un homme est introduit au sein d’une équipe féminine pour apporter de la rationalité. Cela ne fait que perpétuer les stéréotypes de genre. » Pour l’universitaire, il est essentiel de revaloriser les salaires et les conditions de travail pour attirer des hommes, tout en veillant à ne pas privilégier les valeurs dites masculines du management, fondées sur la rationalité, au détriment du « care ». « Il faut dégenrer la société pour aller vers des valeurs construites au féminin dans une société de l’être plutôt que de l’avoir, d’interdépendance et non pas de vitesse et de gain. »

Après avoir abordé les évolutions du rapport au travail, la valorisation des métiers de l’humain dans les politiques publiques, l’expertise des acteurs du secteur sur les politiques de solidarité et, donc, cette quatrième séance sur le genre, le HCTS tiendra une cinquième et dernière séance sur la transition écologique. A nouveau accessible en webconférence, elle se déroulera le 1er juin.

Le Livre blanc, qui prolonge le précédent « livre vert », doit être remis en juillet à la Première ministre et à la ministre des Solidarités.

 


(1) Introduction aux Gender Studies. Manuel des études sur le genre, de Laure Bereni, Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait et Anne Revillard (éd. de Boeck, 2008).

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